Shôjo vampire - anata dake konbanwa
Watashi no koibito wa doko ? [1]
Sans doute aurez vous remarqué un retour conséquent de la figure du vampire, redevenu à la mode en partie grâce à l’odieux phénomène Twilight (2008) ; non que le film soit plus médiocre qu’un autre, mais la déferlante médiatique qui l’a entouré avait de quoi rendre hystérique le plus blasé des spectateurs. Aussi, des enfants vampires suédois de Morse (2008) à la saga gothique Underworld, en passant l’affreux melting-pot visuel de Blood : The Last Vampire (2009), au sublime, anarchiste et blasphématoire Thrist (2009) du coréen Park Chan-Wook ; nul territoire ne semble épargné. Même le Japon qui ne fait jamais les choses à moitié, en poussant la parodie vers l’excès gore avec Vampire Girl VS Frankenstein Girl (2009), en détourne les codes avec jubilation pour draguer les désabusés des histoires d’amour.
Mais dans sa quête de chaire fraîche, la dimension sexuelle et érotique du vampire prévalant, je fus incité a fouiller avec une certaine assiduité pour exhumer une variante tant soit peu inédite du vampirisme rose. Certes les grands classiques, de Paul Morrissey à Harry Kumel, en passant par les chefs de file que sont Jess Franco et Jean Rollin, s’y sont jadis brillamment illustrés. Mais le Japon et sa tradition fantastique laisse finalement peu de place à ces corps étrangers. Néanmoins s’il est bien un domaine dans lequel les nippons ont su à peu près tout recycler avec plus ou moins de bonheur, c’est bien le cinéma pink. Nous vous avions récemment donné un avant goût de cette propension à tordre les genres avec une version érotique de Kuchisake de Takuaki Hashiguchi. Aussi restons au sein de l’écurie la plus créative du pinku contemporain, la Shishi Pro d’Hiroshi Mukai, pour nous attarder sur un cinéaste méconnu, Mototsugu Watanabe et son étonnamment fantaisiste Shôjo vampire – anata dake konbanwa (Girl vampire - only you tonight, 1986).
Avant de nous pencher sur Shôjo Vampire, œuvre typique du cinéaste, posons quelques jalons sur le cheminement de cet auteur, qui réalisa son premier film en 8mm en 1ère année de collège. Après un passage à la Nihon Daigaku Geijutsu Gakubu (département d’art de l’Université du Japon), il entre comme assistant d’Hiroshi Mukai à la Shishi Pro en 1980, confiant alors toute son admiration pour les aptitudes du réalisateur vétéran. A la suite de ces trois années d’apprentissage au cours desquelles il sera également assistant réalisateur pour Minoru Inao (aujourd’hui prénomé Akira Fukamachi), il fait ses débuts professionnels derrière la caméra dans le film à sketch Idô baîshun : Itte iitomo (1983), co-réalisé en compagnie de Shûji Kataoka et Yosuke Nishida.
Mais ce qui caractérise le cinéma de Watanabe c’est avant tout son amour inconditionnel des idoles, ces adolescentes pré pubères capables de chanter et jouer la comédie qui ont massivement investi les écrans de l’entertainement nippon dans les années 80. Grand lecteur de shôjo manga [2], il vénère par dessus tout Tomoyo Harada, l’éternelle héroine de Toki o kakeru shôjo (The Little Girl Who Conquered Time, 1983) de Nobuhiko Obayashi ; et Yôko Minamino, la vaillante et mystérieuse jeune fille au masque d’acier qui devient Saki Asamiya dans la seconde saison du feuilleton TV ultra populaire Sukeban Deka (1985-86). Watanabe réalisera même une pariode pink de Sukeban Deka avec Nerawareta gakuen : seifuku o osô (Sexy battle girls, 1986) dans lequel les yo-yo métalliques deviennent de curieux sex toys au pouvoirs étonnants. Dans un registre similaire, mêlant parodie, humour et action, il signe la tétralogie Onna chikan sôsakan (Sexy S.W.A.T. Team, 1998-2001) narrant les péripéties érotiques d’une unité d’élite composée de quatre demoiselle combattant les pervers sexuels de la mégalopole tokyoïte. De par son sens du burlesque et sa légèreté, Mototsugu Watanabe ferait figure de cousin germain de Yôjiro Takita ; d’autant qu’il réalise plus d’une quinzaine d’opus de la série Chikan densha, soit davantage que son emblématique représentant.
Avec Shôjo vampire, Watanabe nous conte l’histoire de Mirai, une jeune adolescente de quinze ans décédée sans avoir pu consommer son union avec son fiancé. Celle-ci revient trente ans après, sous la forme d’un fantôme, hanter les employés d’une petite entreprise de Tokyo dans laquelle travaille Masutaro Komori, se trouvant être le propre fils de son amant disparu. Dans l’espoir de retrouver ce dernier, dont le destin l’a privée, l’avenante adolescente se met en quête de l’heureux élu. Mais comment parvenir à l’identifier... si ce n’est en consommant chaque homme passant à sa portée. Vampirisant ses sujets, trop heureux de voir cette donzelle se livrer ainsi à leur libido, ils ne suspectent pas les conséquences de leur concupiscence. En effet, lorsque l’être élu n’est pas le bon, l’avenante Mirai leur sectionne le chibre en le congelant telle une prothèse en céramique ! C’est alors que Masutaro, assisté d’un docteur farfelu aux compétences avancées en sexologie et ancien ami d’enfance de son paternel, entreprennent de la retrouver dans l’espoir de la libérer de sa malédiction.
Shôjo vampire constitue une réjouissante tentative de marier la comédie loufoque au fantastique à l’intérieure des cannons du pinku. On retrouve ici les ingrédients du fétichisme de l’auteur, amateur de lolitas, dans sa mise en scène de l’héroïne vampire. Celle-ci qui apparait en apparat de shôjo, vêtue d’une jolie robe à volant bleue satin à ceinturon rose bonbon, coiffée d’un petit serre-tête en voilette assorti, semble tout droit sortie d’un film d’Obayashi. A tel point que celui-ci plagie les effets cinématographiques rétro typique du maître dans sa mise en scène du passé amoureux de l’héroïne. Quant à ses apparitions, il manie sans vergogne les clichés d’épouvante avec sa musique de fond et ses plans en caméra suggestive ; sans oublier l’usage abondant de fumigènes masquant avec commodité la pauvreté de la production. Parallèlement, il distille son humour guilleret avec légèreté, parsemant de gags érotiques son récit fantaisiste. Ainsi le docteur incarné par l’inénarrable moustachu Yukijirô Hotaru, affublé d’une ridicule main en acier en héritage d’une blessure de guerre, est toujours aussi truculent dans le rôle d’un docteur aidant les patients au sexe cryogénisé victimes de la vampire à retrouver l’usage de leur membre. Sans oublier de loufoques accessoires, tel que le dispositif de recherche de champ magnétique constitué d’un crâne et de 2 lampes de couleurs, censé localiser la tombe du vampire.
L’intérêt somme toute modeste, tant sur le plan de la réalisation que du scénario de cette variation vampirique, réside plutôt dans l’attestation d’un genre qui offre à chaque cinéaste les moyens d’affirmer sa personnalité à l’intérieure de codes établis. Shôjo vampire constitue néanmoins un exemple éclatant de l’univers singulier du cinéaste érotique Motostugu Watanabe, prince du divertissement rose et enfant bâtard né d’un improbable croisement entre Yôjiro Takita période pink et Nobuhiko Obayashi et son apologie de la nymphette. En somme, un film idéal pour cette période estivale !
Shôjo vampire n’est pour l’instant disponible qu’en téléchargement payant, uniquement au Japon sur les plateformes spécialisées et bien entendu non sous-titré.
Photos © Shintoho Pictures Co.,Ltd.







