Silk
Hashimoto, scientifique renégat, conduit des recherches marginales sur l’anti-gravité, en se basant sur l’utilisation d’une éponge de Menger [1] . Celle-ci lui permet en effet de créer une espèce de trou noir, capable de piéger l’énergie qui l’entoure. C’est une étrange application de ses recherches qui donne à Silk son sujet : Hashimoto utilise sa science pour détecter et piéger un fantôme afin de pouvoir l’étudier. Mais la science seule ne peut suffire pour percer le mystère de la rémanensce énergétique d’un petit garçon, qui hante un appartement de Taipei. Le monde des morts et celui des vivants sont hermétiques, les contacts physiques et sonores ne peuvent s’établir entre les deux. C’est pourquoi Hashimoto a besoin de l’aide de Tung, membre d’une force d’élite de la police locale, qui possède une vue surhumaine et la faculté de lire sur les lèvres des gens. Tung va donc devoir pister ce fantôme pour comprendre son existence ; en faisant attention de ne pas croiser son regard, sans quoi l’enfant le verra, et le tuera, alors capable d’intéragir physiquement avec lui au travers d’un lien apparemment créé par un fil de soie, invisible de tous sauf de Tung...
Silk est le fruit de l’imagination de Chao-Bin Su, auteur qui avait signé il y a quelques années, l’étonnant scénario du Double Vision de Kuo-Fu Chen. On retrouve au cœur des deux œuvres des préoccupations similaires, le réalisateur/scénariste conciliant le scientifique et le fantastique pour livrer une histoire avant tout humaine, émotionnelle, en s’appuyant fortement sur les notions d’images, de vision et de perception : ce conteur, à n’en pas douter, est un homme rétinien.
L’image et son « outil » d’appréciation sont en effet au cœur de Silk. C’est par le biais de l’image que Yao, le garçon fantôme, est révélé, capturé sur pellicule. Une façon astucieuse de justifier l’existence du film de genre lui-même, en tant qu’instantané d’une autre réalité. L’image encore, résume les capacités extraordinaires de Tung, capable d’y voir des choses que les autres ne voient pas. Un lien entre différentes réalités par exemple, qui se concrétise par l’interaction de regards, et se matérialise - pour l’œil uniquement - par un fil ténu, qui relie la réalité à la fiction et vice-versa, dans une relation de dépendance qui permet à Silk d’affirmer sa propre et singulière réalité. Celle-ci comme dans Double Vision, est issue d’un postulat dont découle l’ensemble de la narration, sans jamais être remis en question. L’utilisation de l’éponge de Menger (peut-être contradictoire dans ses vertus d’emprisonnement énergétique, étant donné que son volume est nul ?) offre une base scientifique à la fois concrète et abstraite aux périgrinations multi-dimensionnelles de Tung, et permet à Silk de s’extraire du carcan des films de fantômes pan-asiatiques classiques, pour s’affirmer comme plus ambitieux.
Les personnages toutefois, ne sont pas tous à la hauteur de cette ambition. Yosuke Eguchi interprète un scientifique boiteux, au sens propre comme au figuré, dont les veléités de réincarnation paraissent peu crédibles. Karena Lam fait de la figuration, à la fois scénaristique et émotionnelle, usant d’une palette d’expressions à faire palir David Duchovny. Seul Chang Chen tire l’interprétation vers le haut, et Silk repose donc rapidement sur ses épaules. Une tâche dont il s’acquitte avec aisance et prestance, certainement par talent, mais surtout parce que son personnage est le seul à être véritablement écrit, à jouir d’une existence multi-dimensionnelle qui justifie de plus son engagement personnel dans la compréhension et, ultérieurement, la protection du petit garçon. Film fantastique authentique, Silk profite de ce héros hors-normes pour s’affirmer comme une réussite notable, divertissante tout en traitant intelligemment de la perception, qui influence en permanence la vision, aussi bonne soit-elle. Sa description d’un lien dont la véritable nature ne pourra au final être comprise que par le cœur, est faite avec orginalité et une certaine maestria visuelle. Sans être parfait, cette seconde réalisation de Chao-Bin Su s’impose donc comme une œuvre intéressante, une alternative plus que viable au fantastique générique de mise dans la majeure partie des productions asiatiques contemporaines. Quitte à tenir un peu en équilibre, instable, sur un simple fil... de soie.
Silk est disponible en (double) DVD HK, sous-titré anglais, chez Deltamac. La bande-son, efficacement reproduite en 5.1 (et en DTS pour les personnes équipées) multiplie les langues, confrontant de l’anglais, du japonais, du mandarin et du hokkien. La qualité de l’image, maheureusement, n’est pas au rendez-vous.
Site officiel : http://www.silkthemovie.com/
[1] L’éponge de Menger est un solide fractal décrit par le mathématicien autrichien Karl Menger en 1926, qui possède la propriété particulière d’avoir une surface infinie, tout en contenant un volume nul. Pour en savoir plus, voir l’article de wikipedia.



