Sinking of Japan
Japan, out.
Un tremblement de terre, quelque part au Japon. Toshio Onodera se réveille sous les décombres. Le temps de reprendre ses esprits, il aperçoit une petite fille non loin de lui. Un poteau électrique qui s’écroule, de l’essence qui s’embrase, des voitures qui explosent, d’autres projetées dans les airs... Autour de la jeunette, l’enfer se déchaîne. C’est à cet instant qu’un hélicoptère des secours (des "ultra-secours", même) arrive, et qu’une femme hélitreuillée la hisse hors des flammes. Continuant sa course, la belle Reiko Abe vient renverser Toshio. Un triangle d’amitié est né... Car Misaki, la petite, est désormais seule. Son père ayant péri pendant la catastrophe, et sa mère étant dans le coma, elle s’accroche à Toshio et Reiko comme à un père et une mère. Toshio lui, est opérateur de submersibles à très grande profondeur. Son boulot, c’est de scruter le fond des océans au côté de son ami Yuki, au gré des théories de Yusuke Tadokoro, scientifique génial et caractériel.
Tout a de nouveau l’air pour le mieux dans le meilleur des mondes, et pourtant... Le gouvernement japonais assiste à une simulation américaine qui condamne le Japon à couler à très courte échéance, entraîné par l’effondrement d’une partie du manteau terrestre. 40 ans tout au plus... Ça vous paraît court ? Attendez les résultats de l’analyse de données fraîches récupérées sur de petites îles par Tadokoro, où des roches datant de plusieurs dizaines de millions d’années ont refait surface. Dans 338 jours et quelques heures selon lui, le Pays du Soleil Levant aura sombré, non sans avoir été dévasté par une pléthore de cataclysmes. Et le bougre dit vrai : les éruptions se succèdent, ravageant le pays. C’est parti...
Shinji Higuchi, spécialiste es-effets spéciaux passé metteur en scène (Lorelei), réalise avec Sinking of Japan la seconde adaptation du roman éponyme de l’auteur apocalyptique Sakyo Komatsu [1], à qui l’on doit notamment le Virus qui a inspiré Fukasaku pour son Fukkatsu no hi [2]. Symptomatique - et c’est compréhensible - de la préoccupation nippone pour la survie de son territoire, cette épopée cataclysmique ne pouvait qu’enthousiasmer un réalisateur affectionnant sa nation autant que les défis techniques. Ambitieux, le film qui en résulte démontre toutefois les problèmes d’échelle liés à une telle transposition.
La plupart des films catastrophes en effet, se concentrent sur un seul et unique cataclysme pour construire leur histoire. Celui-ci peut-être prémisse ou épée de Damoclès, mais il constitue le pivot du film, le moteur de la machine humaine qui se met en route autour de lui, pour lui survivre ou l’éviter. Dans le cas de Sinking of Japan, forcément, la chose est un peu différente, puisque la catastrophe ultime est inévitable, et qu’elle est précédée d’évènements qui, d’ordinaire, nous offrent autant d’histoires de survie. Tremblements de terre, éruptions volcaniques, tsunami... tout y passe dans ce tableau de destruction fleuve, et visuellement parlant, tout y passe plutôt bien. A l’exception d’un ou deux effets de vagues discutables, ceux qui critiquaient l’approche visuelle de Higuchi sur son film de sous-marin fantaisiste, trouveront certainement matière ici à le pardonner. Les images de destruction de Sinking of Japan sont saisissantes, simples tableaux fugaces qui constituent, vous vous en doutez, le véritable intérêt du film. Les villes immergées notamment, sont superbes, tout comme cette image récurrente, vue globale d’un Japon en flammes depuis l’espace, qui permet de mesurer l’évolution du drame.
Si les catastrophes chapitrent le film, sur quoi Higuchi s’appuie-t-il pour rythmer son récit d’apocalypse ? Simplement sur les trois protagonistes choisis en pré-générique. Il y a bien quelques personnages récurrents de second plan, comme Tadokoro - un Etsushi Toyokawa qui a du passer de longues heures devant la glace pour apparaître constamment si inquiet - ou la Ministre de remplacement - très belle Mao Daichi - mais gobalement, la non-histoire de Sinking of Japan tourne autour du trio Toshio / Reiko / Misaku. C’est là que le projet montre ses limites. Si je parlais hier des bienfaits de l’évocation à propos de Vexille, il reste que c’est un exercice périlleux. Et suivre seulement trois personnages, avec un héros notamment inutile jusqu’aux derniers instants, pour narrer la disparition de l’archipel nippon, est peut-être un peu trop restrictif.
Conscient de cette limitation, Higuchi essaye de se rattraper en offrant de longues plages émotionnelles, toujours portées par une musique à regarder flotter un drapeau avec fierté, montrant combien les deux amoureux implicites sont symboliques de sa nation. Elle a survécu à la catastrophe de Kobe, a le sens du sacrifice et de la famille, lui hésite à se tourner vers l’étranger, abandonnant son peuple, mais fait au final preuve d’un sens du sacrifice remarquable... Certes, le contexte justifie la caricature, mais l’arythmie du film et son manque d’humanité dans le détail, condamnent notre rapport émotionnel à l’histoire. On se surprend plusieurs fois à se demander d’ailleurs, comment la relation entre les deux jeunes adultes a pu évoluer de la sorte, hors-champ, à notre insu, et on s’en retourne donc au déluge en cours, promesse de satisfaction immédiate qui tient presque, finalement, du documentaire. Car il est évident que Sinking of Japan a principalement pour objectif de montrer, et d’expliquer un peu, mais certainement pas de raconter, en dépit de ce que tente de nous faire croire sa conclusion héroïque, logiquement et scientifiquement aberrante (mais pourquoi ne pas l’avoir fait plus tôt ???).
Sinking of Japan n’est pas un mauvais film à proprement parler, mais il manque cruellement de rythme, de sens des proportions et de personnages vecteurs d’objectifs narratifs. Il constitue de plus un portrait troublant de la tendance isolationniste japonaise, en creux. A l’exception de deux-trois bateaux étrangers, venus assister Tadokoro dans l’exécution de son plan très Armageddon visant à empêcher l’éruption du Mont Fuji, l’assistance internationale est absente de l’histoire. Comme si le Japon était seul au monde. Une projection un peu triste d’un manque de considération nippon pour l’extérieur... Reste de (très) belles images donc, et même des tableaux vraiment effrayants de désolation, ainsi que la toujours charmante Kou Shibasaki (même si j’aurais autant aimé retrouver l’incroyable sirène de Lorelei, Yu Kashii). Mais ces fragments ne sont pas ceux, cohérents, d’une humanité, simplement d’un spectacle longuet, et il reste donc peu d’émotions durables au spectateur à l’issue de Sinking of Japan.
Sinking of Japan est disponible un peu partout en Asie : Japon, bien entendu, mais aussi Taiwan, Hong Kong... les éditions Edko Films de l’ex-colonie ont l’avantage d’être peu onéreuses et sous-titrées dans un anglais très correct. Evitez le VCD par contre, trop compressé (le film dure plus de deux heures et ça saccade sévère), et en plus l’image n’est pas au format, jouissant d’un Super Scope très exagéré...
[1] Le livre est édité en français sous le titre La submersion du Japon, aux éditions Philippe Picquier.
[2] Le premier Sinking of Japan, qui date de 1973, a d’ailleurs connu un sort similaire au film de Fukasaku : les deux ont été remontés pour les USA, amputés de façon considérable. Les américains les aiment courtes, leurs apocalypses.





