South of The Clouds
C’est une courte séquence, mais qui résume bien le regard de Zhu Wen sur la génération de ses parents : deux retraités, la soixantaine, font leurs exercices matinaux, arpentant un vaste terrain vague, "No Man’s Land" du Pékin industriel près d’une étendue d’eau entourée de tours bétonnées. C’est toute une génération, celle du "grand bond en avant" et de la "révolution culturelle", qui se reflète à travers ces deux personnages, perdus dans l’immensité des zones industrielles grisâtres, sans vie et sans racines.
Parmi eux, Xu Da Qin, un veuf qui a consacré sa vie à sa femme, puis à l’éducation de ses enfants, aujourd’hui adultes. Menant une existence monotone aux côté de sa jeune fille qui rêve d’ouvrir un centre de remise en forme, il caresse un vieux rêve : visiter le Yunnan, région du sud de la Chine à proximité du Tibet, où il a jadis souhaité partir s’installer. Se décidant à partir seul, à la faveur de ce voyage, il revient progressivement à la vie et pense enfin pouvoir vivre pour lui-même. Mais c’est alors que, cherchant à aider une prostituée, il est arrêté malencontreusement. Refusant de payer l’amende qu’il juge injustifiée, il est placé en maison d’arrêt, puis assigné à résidence le temps que l’affaire soit réglée. Il prendra le temps de réfléchir et en apprendra davantage sur la vie et la région.
Pour son deuxième film, Zhu Wen, cinéaste à part bien que rattaché à la sixième génération [1], rend un hommage simple et touchant à la génération de ses parents, sacrifiée au travail, et ayant traversé les changements historiques et politiques du pays sans complainte. Réflexion sur les valeurs de la vie, mêlant volontiers des éléments autobiographiques : Zhu Wen se livre, en témoin de son époque, non sans laisser poindre une critique sociale et politique. Lorsque Xu Da Qin se retrouve assigné à son hôtel par la police, à cours d’argent, on lui conseille de demander du travail à l’hôtel pour payer sa note. Xu Da Qin remarquant avec agacement que cela ressemble fort à une "rééducation par le travail".
A une époque où la jeune génération profite à plein des changements économiques opérés ces vingt dernières années, Zhu Wen tente de décrire les aspirations de son personnage, qui semble errer en vain dans une société qui l’a définitivement mis à l’écart (lors de son voyage en train, un jeune l’ignore alors qu’il lui propose de partager son repas). Il ancre son personnage dans la réalité grisâtre et triste du Pékin industriel, la caméra s’autorisant une superbe vue aérienne qui accentue l’isolement social du retraité, dont la souffrance intérieure ne s’exprimera que pudiquement à la toute fin du film. Pointant avec ironie l’incompréhension entre les générations, le regard de Zhu Wen n’oublie pas les suivantes. Ainsi, la fille de Xu Da Qin veut monter son club de remise en forme. Elle se retrouve vite la compagne de son investisseur (l’homme au panda). Les deux hommes se croiseront en silence, dans les couloirs de la salle, se toisant curieusement sans s’adresser la parole. Le père tente bien de la mettre en garde, mais les rêves de la jeunesse ne souffrent aucune barrière. La fille se révélant au final déçue par sa nouvelle vie.
La génération de Zhu est elle à l’image de l’ami de la famille, un homme d’affaires prospère, qui insiste pour être son guide lors de son voyage dans la région. Il se démène pour lui proposer les lieux touristiques à voir mais Xu Da Qin choisit finalement de se rendre dans une petite bourgade perdue, visiter l’ancienne usine où celui-ci travaillait jadis. L’homme mûr retrouve un peu de sa jeunesse et de ses souvenirs, se permettant d’aborder une femme qui accompagne son petit-fils, dénotant son besoin de communication, sentiment que sa fille même, ignorera jusqu’à la fin.
Zhu Wen joue admirablement bien du contraste régional entre la grisaille de Pékin et les couleurs lumineuses des paysages du Yunnan, métaphore idéale des rêves impossibles, où l’excentricité des coutumes locales est propice à tous les espoirs. La séquence du séjour chez les Mosuo [2], près du lac Lugu, est d’une rare poésie mélancolique. Cette expérience, devenant déterminante tant pour le cinéaste, qui cherche à décrire l’expérience de sa rencontre réelle avec ce peuple il y a 10 ans ; que pour son personnage. Xu Da Qin trouve enfin l’occasion de libérer son coeur et ses souvenirs, à travers une touchante confession faite à une femme Mosuo. L’agressivité initiale de la femme, vaincue par le désespoir de l’homme en manque de communication, signifiant les changements liés à l’influence de l’économie de marché, intervenus depuis, au sein de cette communauté.
Le regard tendre et plein de compassion pour son personnage, ne fait pas oublier la critique sociale et politique qui sous-tend l’engagement du cinéaste. Il y dénonce la montée de la prostitution à travers l’emprisonnement de Xu Da Qin, dont la naïveté et la compassion lui seront dommageables. Mais plus encore, il montre la chute des valeurs traditionnelles et l’hypocrisie d’une génération tournée vers la recherche du profit, à l’image de l’ami de la famille, que Xu Da Qin croisera une dernière fois dans l’hôtel, accompagné justement d’une jeune prostituée. L’utopique beauté du Yunnan, laissant alors sa place à la dure réalité de la vie.
D’une oeuvre, sans prétention, Zhu Wen, brosse un portrait aigre-doux et réaliste de la génération de ses parents, au tournant d’une époque où les rêves ne sont à portée de main que pour une jeunesse opportuniste. Témoignage d’un être sensible au temps qui passe, South of the Clouds en dit plus sur la Chine actuelle que n’importe quel reportage ou actualité sur le sujet.
South of the Clouds a été diffusé à Paris dans le courant du mois de juillet 2004, à l’occasion des Rencontres Internationales de Cinéma à Paris, et n’est pour l’instant disponible sur aucun support.
[1] Zhu Wen à la différence de ses confrères, tous diplômés de l’Institut Cinématographie de Pékin a étudié la mécanique, puis a exercé un temps le métier d’écrivain avant de se lancer dans la réalisation.
[2] Les Mosuo, qui ne sont pas considérés comme une minorité, sont un peuple vivant en Chine entre les provinces du Yunnan et du Sichuan, dont la société est basée sur un système matriarcal. En effet, même si la famille existe, il n’y a pas de mariage. Cette conception, dont la compréhension est presque impossible aux yeux de la société modernes, est un fossile vivant de société. L’endroit attirant beaucoup de touristes, savants, artistes chinois et étrangers.




