Stormriders
Si l’on ne peut que cautionner le choix de l’Etrange Festival d’offrir à ses spectateurs un aperçu de la carrière de Shinichi ’Sonny’ Chiba, il est plus surprenant de trouver, au milieu de films "mythiques" (Streetfighter) ou injustement méconnus (Shinkansen Daibakuha), le fleuron du blockbuster à la sauce hongkongaise que représente aujourd’hui Stormriders. Un film d’Andrew Lau à l’Etrange Festival d’une certaine façon (sans remettre en cause la qualité de certaines de ses réalisations), c’est un peu comme un Michael Bay en ouverture du Festival de Venise - celui-ci tout particulièrement. Un petit voyage dans le temps s’impose...
Nous sommes en 1998, et le cinéma de ce lieu que beaucoup surnommeront longtemps "l’ex-colonie britannique" peine à retrouver son souffle. Délaissés par John Woo, Tsui Hark, Kirk Wong et les autres, Gordon Chan et consorts ne parviennent pas à redresser l’intérêt des hongkongais pour leur propre cinéma, face à l’increvable machine hollywoodienne. Qu’à cela ne tienne : armé de l’un des plus gros budget HK de tous les temps (10 millions de dollars), Andrew Lau décide de combattre Goliath sur son propre terrain et de se lancer dans la course aux effets spéciaux, en parant le Wu Xia Pian d’images de synthèse et autres artifices, propres à réconcilier le public local avec une certaine tradition remise au goût du jour. Le succès potentiel en salles d’un film à Hong-Kong étant fortement lié par ailleurs à son casting, Lau s’entoure de deux acteurs en vogue, Ekin Cheng (qui est un peu son acteur/endive fétiche) et Aaron Kwok, eux-mêmes entourés de Kristy Yeung, Shu Qi, Anthony Wong... et aussi donc, de l’ "outsider" Sonny Chiba, qui sort pour l’occasion d’une longue passe faite principalement de séries télé. Son dernier "vrai" film en effet, remonte à Iron Eagle III en 1992. Je déconne bien sûr, il s’agirait plutôt du Triple Cross de Fukasaku réalisé la même année. Un moyen de donner une meilleure chance au film sur les marchés américains et japonais peut-être ?
Il est peut-être difficile aujourd’hui pour un spectateur néophyte, de trouver à quel niveau dans le projet Stormriders se situait la difficulté principale en 1998. Quiconque a un jour souri des flammes et autres explosions en synthèse de nombreuses œuvres issues de la Film Workshop - ou de tout autre effet numérique dans les films HK des nineties d’ailleurs - sait que, à Hong Kong, on a alors plus d’un métro de retard en matière de CGI [1]. Avant la version animée de Histoire de fantômes chinois et Stormriders bien entendu, je dirais même que nos amis cantonais avaient près d’une décennie de retard en la matière. Comment pouvait-il en être autrement, quand la post-production est réduite à son strict minimum (il suffit d’écouter attentivement la majorité des bandes-son des films de l’époque pour s’en convaincre) ? Heureusement, Centro Digital Pictures (depuis responsable des effets de Shaolin Soccer notamment) met les bouchées doubles et s’agrandit pour produire plus de 550 plans truqués pour le film. La société, qui a débuté sur grand écran sur Spoune (désolé), a fait le bon choix : non seulement Stormriders établit, en 1998, un nouveau record pour le box-office local, mais de plus l’équipe technique remporte le Golden Horse Award des meilleurs effets visuels [2]. Car oui, Stormriders remporte son pari, et à une ou deux exceptions près (notamment ce premier combat dans la montagne aux effets trop visibles) est très impressionnant, rivalisant avec bon nombre de productions américaines (notamment au niveau des effets d’eau et de lumière).
La technique soit - mais le film dans tout ça ? Comme souvent avec le Wu Xia Pian à grand spectacle, résumer la destinée mouvementée de Cloud et Wind tiendrait de l’exploit (tout comme résumer Legend of Zu par exemple), tant les personnages et les liens qui les unissent et se brisent, sont foison dans Stormriders. Tour à tour high-tech, épique, épileptique et parfaitement niais, le film/produit d’Andrew Lau est une réussite non pas cinématographique mais cinétique et technique.
En transformant ce premier essai, le réalisateur s’affirme comme le nouveau maître du film à gros budget tendance numérique de Hong Kong. Une affirmation toutefois prématurée car Lau, privé de l’effet de surprise, n’a pas vraiment réussi depuis à renouveler l’exploit. Il lui aura fallu s’allier à Alan Mak pour convaincre à nouveau de son talent, à l’occasion d’un Infernal Affairs recentré non pas sur les effets, mais sur un véritable travail de réalisation et de direction d’acteurs. Ce qui, avouons-le, n’est pas forcément un mal !
Stormriders n’est donc certainement pas un film d’acteurs, et c’est pour cela qu’on aurait préféré pouvoir découvrir à l’EF XIème du nom, Sonny Chiba dans le Deadly Outlaw Rekka de Takashi Miike par exemple. C’est cependant un film d’action de qualité, visuellement éblouissant, dont l’Histoire se souviendra comme une étape incontournable dans la maturité technique et commerciale du cinéma hongkongais contemporain. Sa vision sur grand écran je dois bien l’avouer, est par conséquent loin d’être complètement inutile !
Il existe tellement d’éditions DVD de Stormriders : double DVD zone 2 UK, zone 2 français, DVD HK superbe et j’en passe... je vous laisse faire votre choix !
[1] Computer Generated Images.
[2] Prix que la société recevra à nouveau l’année suivante pour le décevant A Man Called Hero, en 2001 pour Shaolin Soccer, et en 2002 pour The Eye.


