Sukeban Deka
Sukeban Royale !
Pour infiltrer une université, plusieurs solutions s’offrent à vous. Vous pouvez a) faire appel à Anthony Wong et Sam Lee, en grimant le premier en homme de foi et le second en lycéenne malade (U-Man) ; b) faire passer une détective débutante pour une étudiante caractérielle (She’s on Duty) ; c) faire pression sur une délinquante psychopathe, l’armer d’un yo-yo qu’elle ne maîtrise pas, et la vétir d’un uniforme sailor fétichiste, qu’elle sera finalement la seule à porter. C’est bien évidemment la troisième solution qui est retenue par Kenta Fukasaku pour son Sukeban Deka ; et pour cause la solution, originale, a déjà fait ses preuves dans un manga populaire des années 70-80, une série télé, une autre anime et quelques opus cinéma. Mais pourquoi diable voudrait-on recourir à des méthodes aussi radicales ?
Kira (Riki Takeuchi) possède la réponse à cette question. Connaissance de la mère de la jeune déliquante en question, c’est lui qui hérite de sa garde, lorsqu’elle est déportée des USA façon Hannibal Lecter, après s’être violemment soustraite à un contrôle de visa en envoyant 11 flics à l’hôpital. La Sukeban - ainsi que la surnomme une employée du gouvernement américain, étonnamment au fait des sobriquets japonais pour désigner les jeunes filles déliquantes - n’est bien sûr pas très tentée par sa mission au sein d’une université, où un site web populaire - le tristement nommé Enola Gay - apprend aux étudiant à fabriquer des bombes utilisées pour faire exploser leurs amis en pleine rue. Ce qui inquiète Kira, c’est ce compte à rebours qui ouvre le site, et qui arrivera à son terme dans quelques trois jours... La jeune fille brutale accepte toutefois de collaborer, pour tenter d’obtenir la liberté de sa mère, accusée d’espionnage par la CIA et retenue en prison. Il s’agit en réalité d’une ancienne "Yo-Yo Girl Cop" (d’ailleurs incarnée par Yuki Saito, la Saki Asamiya de la première série télé) ; la jeune idole sauvageonne, donc, rejoint l’unité spéciale de Kira et devient Saki Asamiya. Elle débarque au lycée où elle tente d’imposer sa loi face au gang dirigé par Reika Akamiya (Rika Ishikawa, bien loin des Morning Musume), détestables bullies qui pourrissent la vie de la jeune Taie Kono. Et tente de percer à jour l’identité d’un mystérieux Romeo, "webmaster" d’Enola Gay qui semble diriger l’école vers un suicide de masse...
Kenta Fukasaku, fils de feu Kinji, est un homme insolite, dont il était difficile au terme de sa première (co-)réalisation - Battle Royale II - de décider s’il s’agissait d’un génie dérangé ou d’un redoutable tâcheron. A la vision de ce Sukeban Deka version 2006, on tend plus pour la première hypothèse, avec une petite réserve pour la qualification "géniale". Car Yo-Yo Girl Cop - dénomination anglophone du film, qui met un peu trop l’appui sur l’utilisation, finalement réduite, du yo-yo - est une oeuvre barrée, relativement incorrecte et vulgaire, bourrée de court-circuits et d’ellipses improbables. Un peu comme si Kenta avait décidé d’appliquer l’esprit du final de Battle Royale II, avec la transformation inexpliquable de Riki Takeuchi en rugbyman, à un film entier, volontairement libre et décousu, avec pour seule préoccupation de divertir un public nécessairement ouvert en matière de narration - ou alors simplement préoccupé par l’image.
L’image, c’est certain, est la principale préoccupation de Fukasaku junior. Comment expliquer sinon, que le moindre geste de Riki Takeuchi - flic boiteux qui vit avec une poule ( !?!) - soit vécu avec force 5.1 et découpé comme une scène d’action, qu’il s’agisse de manger, d’être surpris ou simplement de regarder son interlocuteur ? Action et inaction sont abordés à peu de choses près de la même façon dans Sukeban Deka, si bien que même ses passages lents deviennent vivants, puisant de la matière dans leur simple représentation. Saki Asamiya, sukeban limite primitive à l’insulte et la violence facile (mais délicieuse Aya Matsuura) - est elle-même all représentation, substrat culturel fétichiste et poseur d’une réminiscence générationnelle. Il en va de même pour Reika Akamiya, protagoniste uni-dimensionnelle aux motivations secrètes - tout comme celles de Romeo, qui ne pense au bout du compte qu’à se divertir - dont l’unique intérêt est de s’adapter vestimentairement aux différentes situations, pour constituer un vecteur explicite de fan service (ce qu’elle fait, soit dit en passant, à merveille).
Ce fan service n’est au service de personne d’autre que le fan, et certainement pas le film ; puisque c’est l’inverse qui se produit : le film est au service de ses représentations. L’intrigue avance donc de façon arythmique et régulièrement élliptique, sans jamais réellement expliciter quoi que ce soit, laissant le spectateur boucher les trous, s’il en a envie, d’images qui ne sont que ça, vecteurs de plaisir second degré. En cela c’est certain, Sukeban Deka est une réussite car il y a beaucoup de bonheur à y trouver, depuis son générique façon James Bond meets Apple (et l’excellente musique qui l’accompagne) jusqu’à la transformation finale de Saki en véritable Yo-Yo Girl, alors qu’elle était incapable jusque là, d’utiliser son yo-yo aussi efficacement que ses pieds et poings, en passant par les excellentes scènes de combat qui parsèment le film. En tant que film dans le sens traditionnel du terme, Sukeban Deka laisse bien évidemment nettement plus à désirer, épars et incomplet, aussi douteux dans sa thématique de violences scolaires traumatisantes, et dans son approche du suicide lycéen, que Battle Royale II l’était sans son attitude pro-terroriste (il reprend d’ailleurs son motif de contestation violente envers les adultes, en la figure voulue positive d’une étudiante kamikaze). Mais Kenta Fukusaku est peut-être tranquillement en train de créer un cinéma d’un genre nouveau, volontairement dénué de rigueur, où l’image et le plaisir immédiat qu’elle procure prime sur la lisibilité et la compréhension, et devient seul vecteur de narration. Un cinéma d’exploitation chapitré en fonction de ses envies figuratives, sans se préoccuper du moindre liant. Une mutation stylistique forcément contagieuse puisqu’elle est le résultat d’une envie de montrer ; mais tout aussi exclusive puisqu’elle ne possède aucune envie véritable de raconter. Personnellement, je suis touché par autant d’attentions et d’abnégation cinématographique ; mais certains regretteront certainement que Sukeban Deka ne soit rien d’autre que la somme, rebelle et incomplète, de ses nombreux highlights, aussi conscients et assumés soient-ils. Tant pis pour eux ; car comme on dit... heureux les simples d’esprit !
Sukeban Deka n’est pour l’instant disponible qu’en DVD japonais (copie anamorphique éclatante), sans sous-titres, et notamment dans un coffret comprenant un yo-yo. Il sera néanmoins disponible d’ici peu sous-titré en anglais en zone 1.




