Sunset Boulevard
Même si vous n’avez jamais vu ou même entendu parler de Boulevard du Crépuscule, je suis pourtant sûr que vous connaissez le procédé narratif utilisé dans le film. Lors de la séquence d’ouverture, le cadavre du personnage principal est découvert dans une piscine, et c’est lui qui sera le narrateur des événements qui ont abouti à son meurtre. Un procédé qui a été repris depuis, notamment par les frères Hughes dans Menace II Society.
Cette édition DVD est l’exemple de ce que l’on peut attendre de ce support. La restauration de l’image noir et blanc est superbe, avec une belle profondeur de noir qui rend hommage à la photographie du film. Le commentaire audio du biographe américain de Wilder, Ed Sikov [1] apporte un éclairage supplémentaire sur le film, et permet de décoder le Billy Wilder dans le texte. Ses dialogues sont truffés de double sens et de références. Ainsi Sikov explique que selon le code Hays - le code de la censure en vigueur à cette époque - il était interdit de dire papier toilette à l’écran ( !), et rajoute que Wilder a sans doute trouvé qu’il s’agissait d’un support tout à fait convenable pour prendre des notes en vue d’un film hollywoodien ! Le supplément d’une dizaine de minutes sur le compositeur de la musique, Franz Waxman est également très intéressant. Enfin, la présentation de la séquence d’ouverture prévue dans le scénario d’origine constitue la cerise sur le gâteau. Le film devait débuter dans une morgue où le corps de Joe Gillis étaient amené, et où celui-ci discutait avec une dizaine de morts des raisons de leurs décès. Cette scène réécrite suite à la réaction du public qui était mort de rire lors du screen test, montre toute l’audace du réalisateur/scénariste.
Le film peut se résumer de la façon suivante : un scénariste, Joe Gillis (William Holden) qui n’a pas réussi à percer fini par devenir le gigolo d’une star déchue du muet, Norma Desmond (Gloria Swanson) - et remplace également l’animal de compagnie de la star, un chimpanzé qui est mort peu avant son arrivée ! Cette dernière verse dans la folie car elle n’apparaît plus sur le grand écran. Elle finit par le tuer, alors qu’il l’a quitte pour la petite amie de son meilleur ami dont il est tombé amoureux.
On retrouve comme toujours la plume trempée dans l’acide de Billy Wilder, avec des répliques devenues célèbres. Alors que Gillis reconnaît la grande actrice du muet qu’elle a été, elle lui répond avec dédain : "Je suis une grande star, c’est l’image qui est devenue petite". Le choix des acteurs par Billy Wilder est également pour beaucoup dans la réussite du film. Le destin de Gloria Swanson, immense star du muet dont la carrière a ensuite périclité, ainsi que celui d’Erich von Stroheim, réalisateur maudit ravalé aux emplois de seconds rôles, entrent en résonance avec leurs personnages. J’ajouterais une mention personnelle à la délicieuse débutante Nancy Olson qui apporte toute sa fraîcheur à son personnage.
La même attention est également portée aux personnages secondaires. Ainsi, on retrouve Cecil B. DeMille dans son propre rôle, mais également un des plus grands acteurs comiques du cinéma muet, "l’homme qui ne rit jamais" Buster Keaton (auquel Jackie Chan a emprunté nombre de cascades).
Billy Wilder nous livre une vision au vitriol d’Hollywood. Dès les premières images, le ton est donné, le titre déjà évocateur du film, "Boulevard du Crépuscule" est peint dans un caniveau... Ce n’est pas un hasard si Joe Gillis est scénariste comme l’était Billy Wilder pendant ses débuts dans le Berlin des années 30, où il a à l’occasion mangé de la vache enragée. Wilder décrit un microcosme du monde hollywoodien qui comme lui est fondé sur le mensonge, sur l’illusion, et qui ne survit pas à la révélation de la vérité.
Son cynisme qui penche parfois vers la subversion même pendant l’époque dorée des années 50 et 60, ainsi que ses dialogues à double sens font de Billy Wilder un des meilleurs réalisateurs américains de cette époque.
Sunset Boulevard est disponible en DVD chez Paramount.
[1] En France, lire Tout le reste est folie, Billy Wilder et Helmuth Karasek.



