Task Force
Patrick Leung, assistant-réalisateur de John Woo sur The Killer (1989) et Hard Boiled (1992) [1], fait partie de ces hommes trop discrets du panorama cinématographique hong-kongais. Nos lecteurs doivent en effet savoir tout le bien que nous pensons de l’incroyable Somebody Up There Likes Me (son premier film, datant de 1996), et avoir leur propre opinion sur ce chef-d’oeuvre qu’est Beyond Hypothermia (tourné la même année)... Avant de disparaître des écrans pendant quatre longues années, et de revenir avec Born Wild puis La Brassière, Patrick Leung nous avait laissé cette réussite énorme qu’est Task Force, en 1997. L’homme retrouvait pour l’occasion Chan Hing-Ka - scénariste de Somebody Up There Likes Me mais aussi de A Better Tomorrow (Le Syndicat du Crime /1986) -, afin de transcender le concept de film d’action "sitcom" lancé par les films de Gordon Chan [2].
L’appelation "sitcom" peut vous paraître dépréciatrice, mais ce n’est pas du tout le but de son emploi ici ; je l’utilise pour faire référence aux films qui ont suivi l’ (excellent) exemple donné par Gordon Chan dans son Final Option (1994), qui s’interessait à la vie au quotidien des membres du fameux SDU (Special Duties Unit) de Michael Wong. L’intelligence de Chan résidait dans son utilisation pertinente de l’action comme background du déroulement des vies de ses héros, et non de l’attitude inverse, généralement utilisée pour conférer aux actionners un côté humain. Dans ses dérives les plus extrêmes (Beast Cops pour ne citer qu’un exemple), ce genre de films délaisse l’action pendant la quasi-totalité de la narration pour déboucher sur une explosion de diverses frustrations / oppositions, s’intéressant de façon majoritaire aux nombreux petits "riens", qui composent une journée et les relations qui les traversent.
Si Task Force fait donc, à mes yeux, partie de cette "nouvelle génération" HK des années 1994 à 1998 (en gros), c’est toutefois de façon nettement plus subtile. Le film de Patrick Leung se concentre en effet sur la vie des membres d’une... task force - à savoir une équipe de police hong-kongaise - mais la convergence vers une quasi-unique scène d’action se fait au travers de flashs-back a priori indépendants qui trouvent non pas leur sens, mais un sens enrichi dans ces dernières minutes de narration. Mais, pour changer, je suis en train de mettre la charrue avant les boeufs...
Rod (Leo Ku) est l’un des jeunes membres de cette task force. Taciturne, il vit dans l’ombre d’un père - un policier assassiné quelques années auparavant - dont le souvenir s’efface progressivement. LuLu (Eric Tsang), son sergent, est un coureur de jupons incorrigible qui regrettera toute sa vie le jour où sa femme l’a surpris en pleine infidélité - incident qui les a conduit au divorce. Shirley (Karen Mok) est quant à elle une femme gentille qui reporte la frustration provoquée par l’inattention de son petit ami Kelvin, aussi bien sur ses collègues que sur les criminels qu’elle arrête. Avant d’être des flics, Rod, LuLu et Shirley sont donc avant tout des êtres humains... Rod se prend d’amitié pour Fanny (Charlie Yeung), une jeune prostituée qui passe son temps à mentir et rêve de retrouver un assassin qu’elle a rencontré trois ans auparavant. LuLu entretient une relation amicale - inavouée mais très forte - avec une petite frappe du nom de Shen avec qui il se bat très régulièrement, essayant de le décourager d’être un larbin pour les triades. Quant à Shirley, elle est très affectée par la crise cardiaque de son père, et s’efforce toutefois constamment de ne pas perdre la face devant sa mère et ses amis par rapport à son petit ami inexistant. Un microcosme "complet" qui évolue sous nos yeux, vers une collision / coincidence improbable...
La forme "en entonnoir" de la narration est donc le point commun de cette approche humaine du métier de flic avec les films considérés ci-dessus. Mais, comme je vous l’expliquais, l’intérêt de Task Force est de construire la collision au travers d’anecdotes - pour la plupart racontées par Rod -, qui construisent le passé des personnages en même temps que leur quotidien suit son cours. Ces petites histoires a priori anodines se suffisent à elles-mêmes avant d’appartenir à un tout cohérent, et renforcent notre attachement pour des personnages construits, vivants. Leur appartenance rétroactive à un ensemble "supérieur" est cependant ce qui permet à Patrick Leung d’aller au-delà, à la fois d’une simple tranche de vie et des films qui lui étaient à l’époque contemporains, et de faire de Task Force un conte superbe et moderne sur la générosité naturelle de l’homme.
Une complémentarité exemplaire du futile et du nécessaire, mais avant tout une réussite majeure humblement déguisée en film simple, qui marquait un tournant - aujourd’hui encore non éclairci - dans la carrière de Patrick Leung. Ce qui n’est pas une raison pour l’oublier !
Task Force est disponible en VCD et DVD HK chez Universe.
[1] Patrick Leung a aussi co-scénarisé Une Balle dans la tête (1990). On retrouve d’ailleurs John Woo dans un court caméo vers la fin du film.
[2] Chan Hing-Ka travaillera d’ailleurs avec Gordon Chan sur Beast Cops en 1998 - l’un des derniers véritables représentants de ce sous-genre à part entière, aux côtés de Expect the Unexpected. Deux films terminaux et excellents, mais c’est une autre histoire...


