Tatsumi
Depuis sa dernière rencontre avec Eric Khoo, Sancho attendait du réalisateur singapourien un film de zombies dont l’improbable héros aurait été une hôtesse de l’air de Singapore Airlines contaminant les hommes de la cité-Etat lors de relations sexuelles. Un menu éminemment sanchoien. On en bavait d’avance. Eric Khoo m’a rassuré, le projet est encore en vie. D’un côté, rien que de très normal, les morts vivants ont la peau dure.
Si on ne s’attendait pas à ce qu’il passe au cinéma de genre après des films très ancrés dans la réalité contemporaine, son passage au film d’animation constitue une autre surprise [1]. Eric Khoo a finalement choisi comme sujet de son dernier film, le mangaka Yoshihiro Tatsumi, dont le titre de gloire est d’avoir inventé la version réaliste et sociale du manga, baptisée par lui Gekiga.
A l’image de ses précédents films, My Magic, dont l’acteur exerce la profession de fakir dans la réalité et dans le film (son amitié avec Eric Khoo est aussi à l’origine du projet), ou encore le destin exemplaire de Theresa Chan dans Be With Me, Eric Khoo mélange ici encore réalité et fiction.
Il a adapté pour l’écran l’autobiographie de Yoshihiro Tatsumi, Une vie dans les marges [2], évidemment écrite sous la forme d’un roman graphique, tout en l’entrecoupant de la version animée de cinq de ses histoires courtes.
Le film débute dans le Japon d’après guerre, quand, à l’orée de adolescence, Yoshihiro Tatsumi, passionné de dessin, reçoit ses premières récompenses. La rencontre avec son idole Osamu Tezuka n’est pas la moindre. Cette présentation laisse la place à la première histoire, L’enfer qui se déroule pendant la même période et conte le dilemme moral d’un photographe d’Hiroshima. Le reste du film alterne scènes autobiographiques et fictions.
Dans ses histoires, le dessinateur japonais aborde des sujets très durs, comme la culpabilité, l’inceste, l’obsession... Mais elles ont toutes en commun de parler du destin d’un personnage, dont la vie est dans une impasse. Aussi bien le célèbre photographe dans la première histoire, que le mari méprisé par sa fille et sa femme dans Juste un homme.
Respect
Hommage d’un artiste à un autre artiste, le réalisateur singapourien a souhaité que son film soit le reflet fidèle du style artistique du mangaka. Tatsumi se distingue d’un film d’animation classique dans le sens où il s’agit plus de donner vie aux cases de ses planches que de les fusionner pour permettre le mouvement. Il met ainsi mieux en avant le style particulier du mangaka. Eric Khoo utilise notamment des techniques purement cinématographiques, comme le flou, rarement utilisées dans l’animation traditionnelle.
A la vision du film, on comprend pourquoi Eric Khoo a tenu à rendre hommage à ce mangaka. Les deux hommes partagent des préoccupations similaires. A des époques différentes - Tatsumi invente le Gekiga à la fin des années 50 - ils font des œuvres dont le principal sujet est la difficulté de la condition humaine.
Tatsumi est sorti sur les écrans français le 1er février 2012.
[1] Une rencontre avec le réalisateur me permettra d’apprendre qu’il a été dessinateur de BD dans les années 80.
[2] Le livre a été traduit en français aux éditions Cornélius.



