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Japon

The Blind Woman’s Curse

aka Kaidan Nobori Ryu - Black Cat’s Revenge - Rising Dragon Ghost Story - The Tattooed Swordsman - The Haunted Life Of A Dragon-Tatooed Lass | Japon | 1970 | Un film de Teruo Ishii | Avec Meiko Kaji, Hoki Tokuda, Makoto Sato, Toru Abe, Tatsumi Hijikata, Yoko Takagi, Ryohei Uchida

Le culte qui entoure certaines oeuvres du passé, restées longtemps invisibles si ce n’est via d’obscurs bootlegs, a souvent tendance à en amplifier le mythe, leur conférant ainsi un statut à part, qui survit parfois difficilement à leur re-visionnage, une fois l‘époque révolue. Le Japon demeure un grand pourvoyeur de pellicules de ce calibre, et Teruo Ishii l’un de ses cinéastes emblématiques. Si L’Effrayant Docteur Hijikata (1969), qui s’apprête aujourd’hui à voir le jour sur support vidéo pour la première fois, s’avérait quelque peu surestimé, eu égard à la censure [1] qui frappe toujours l’oeuvre sur le sol de l’archipel, The Blind Woman’s Curse est longtemps resté un fantasme de cinéphile bisseux un brin fétichiste, amoureux de la frimousse de la belle Meiko Kaji, sans oublier ses talents d’escrimeuse hors pair découverts grâce à la mythique série Lady Snowblood.

Si l’histoire secrète du cinéma japonais devait s’écrire, Blind Woman’s Curse y figurerait assurément en bonne posture, malgré ses faiblesses narratives, défaut Ishiien chronique s’il en est, non pour son récit empruntant sa trame aux classiques du ninkyo-eiga, mais pour l’original et audacieux mélange d’éléments disparates empruntés à deux genres a priori hétérogènes : le film de fantômes (le bakeneko en particulier) et le fim de yakuza (ici le ninkyo-eiga) au féminin.

Selon les sources, Ishii ayant co-écrit l’objet de nos émois en compagnie du scénariste et réalisateur Chusei Sone, bien connu des amateurs de pinku, rejette volontairement la paternité de l’idée d’une pareille mixture vers les studios, alors que Meiko Kaji clame que c’est l’esprit tortueux du cinéaste qui en accoucha. Quoi qu’il en soit pour la postérité, la pellicule est désormais accessibles aux curieux de tous bords grâce aux bons soins d’éditeurs consciencieux de déterrer les perles encore enfouies d’une cinématographie injustement ignorée par les prétendus exégètes du cinéma nippon, auxquels des ornières ont du être apposées le jour où ils visionnèrent un film du maître.

Avant de se laisser tenter par cette expérience inédite, réalisée peu de temps avant que la Nikkatsu ne prenne définitivement le sillon du cinéma érotique, avec sa ligne roman porno et ne cesse définitivement de produire tout film d’action, notre trublion dandy avait déjà acquis une solide réputation en la matière, ayant donné naissance aux premiers et outrageux films de la série des Joys of Torture (1968-1973), sans oublier le visuellement délirant, bien que scénaristiquement inepte, L’Effrayant Docteur Hijikata, une année auparavant.

Du au succès rencontré par l’enfant terrible de l’exploit nipponne, l’exclusivité de règle parmi les réalisateurs maison de la Toei fût ainsi amandée, laissant à ce dernier l’opportunité de quelques infidélités (principalement pour la Nikkatsu et la Shochiku) dont la plus célèbre aux bras de la Nikkatsu, éternelle rivale de la Toei en matière de yakuza eiga. Engagé pour une série de trois opus sous l’alléchante appellation de Nobori Ryu (aka Rising Dragon), clairement modelés sur la charpente de la très populaire série rivale des Red Peony Gambler (1968-1972) avec sa star féminine incontestée Junko Fuji. Les deux premiers volets offrent pourtant le rôle titre à la chanteuse et actrice Hiroko Ogi. Ishii, à l’époque au four et au moulin chez la Toei, se limita donc à superviser les deux premiers épisodes, laissant l’assistant-réalisateur Masami Kuzuo (qui fût par ailleurs assistant de Seijun Suzuki) en diriger la quasi totalité.

Des changements internes au sein de la Nikkatsu poussèrent les studios à modifier quelque peu le casting du troisième et dernier volet, offrant à la jeune Meiko Kaji, dont le joli minois était jusqu’alors cantonné à des apparitions secondaires et dont la côte frémissait, son premier rôle de protagoniste. Le vétéran Makoto Sato complétant le tandem en tant que compagnon d’armes bourru. C’est donc par un simple additif, le mot “kaidan” désignant couramment les histoires de fantômes, que le maître de l’ero-guro va transformer un récit somme toute classique, dans la veine du ninkyo-eiga, en un film protéiforme, à la frontière des genres, témoignage de la schizophrénie créative d’un artisan emblématique des années 70.

L’histoire, des plus classiques, met en scène la jeune Akemi (Meiko Kaji), héritant la paternité du clan Tachibana après avoir vengé la mort de son père, non sans avoir trucidé le chef rival et accidentellement aveuglé sa soeur (Hoki Tokuda), - acte qui sera à l’origine de sa persécution - lors d’un sanglant combat donnant lieu à un petit bijou de générique, tant dans sa concision que sa forme. Un modèle qui servira par ailleurs de canevas à celui plus dénudé et racoleur de Female Yakuza Tale : Inquisition and Torture (1973), permettant à la peu farouche Reiko Ike d’irradier l’écran de sa généreuse poitrine.

Si l’on avait expurgé les éléments Ishiien d’un tel métrage, eu égard à la qualité du cast et à l’interprétation de Meiko Kaji, sans oublier la performance sous-estimée d’Hoki Tokuda, force est de constater que l’on aurait abouti à un produit formaté qui trônerait depuis dans un étalage poussiéreux, en attente d’une improbable rétrospective d’un genre alors déclinant. Au lieu de cela il en devient, parfois involontairement, source d’attachement et de curiosité mêlée de fascination, à mesure que le cinéaste dévoile ses cartes et nous laisse entrevoir un monde parallèle que seul un esprit doté d’un imaginaire aussi fécond pouvait enfanter. La qualité des trucages et toute forme de réalisme est ici un critère qui n’a cours ; en effet, nous sommes en plein dans l’artifice.

Car c’est bien dans l’apparence artisanale assumée que se complait le talent du cinéaste autant que dans l’imagerie surréaliste, dont l’ero-guro se nourrit abondamment. L’un des personnages récurrent et dont le physique autant que la gestuelle servent parfaitement l’élément grotesque et horrifique est sans conteste le danseur de butoh Tatsumi Hjikata, dont le rôle le plus mémorable dans la filmographie Ishiienne demeure L’Effrayant Docteur Hijikata. Son personnage grimé d’étrange bossu équarisseur et empailleur au service de la jeune sabreuse aveugle vagabondant au sein d’un cirque de foire possède tout le charme du théâtre d’épouvante cher à Grand-Guignol. Chacune de ses apparitions tranchant avec le réalisme sérieux de l’affrontement inter clan, devenant parfois accessoire. Ishii l’ayant bien compris, mettant parfois quelque peu entre parenthèses son actrice et héroïne, et se délectant des pauses horrifiques comme un enfant découvrant un train fantôme.

Hormis l’inquiétant bossu, ce Blind Woman’s Curse regorge de détails qui portent le sceau du maître, tel que le repère de Dobashi dans lequel celui-ci maintient une poignée de femelles droguées afin d’assouvir ses besoins libidineux, nous faisant à cette occasion montre de son sens particulier des chromatismes kitscho-psychédéliques. Ou encore cet humour particulier qu’il insuffle par intermittence, mi-burlesque mi-scabreux, incarné par le truculent yakuza Aosara (Ryohei Uchida), se baladant en pagne rouge le derrière à moitié nu, coiffé d’un chapeau melon. Le montage parfois grossier usant de faux raccords (voir les séquences où apparaissent le chat noir) amplifie l’atmosphère irrationnelle qui baigne le métrage, culminant dans ce duel final où le chambara reprends ses droits, sur fond de ciel brumeux, dont se dégage une inquiétante spirale qui aurait aisément pu servir de décor à Uzumaki (2001).

Certes ce Blind Woman’s Curse est moins érotique qu’un Female Yakuza Tale, moins violent qu’un Bohachi Bushido, et moins pervers et gore qu’un Orgies Sadiques de l’Ère Edo (1969).
Il n’en reste pas moins la trace d’une étonnante alchimie visuelle et baroque allant à l’encontre de toute logique établie, signe d’un nouveau prototype que seul un auteur comme Teruo Ishii, véritable « térroriste des genres » [2], pouvait nous livrer pour notre plus grand plaisir coupable. Certes il abonde de défauts d’un point de vue strictement technique, et c’est justement là que résident ses qualités, apportant un indéniable charme désuet qui, plus de trente-cinq ans après, demeure intact. Blind Woman’s Curse est à n’en point douter une oeuvre essentielle de la pléthorique filmographie du maître.

The Blind Woman’s Curse est disponible en DVD zone 1 chez Discotek (USA) avec sous-titres anglais optionnels.

[1Une censure qui ne tient nullement au caractère violent, gore ou même érotique, mais à l’usage de certains mots ou expressions aujourd’hui bannies du langage télévisuel et jugées politiquement incorrectes.

[2Reprise d’une formule appliquée à Lucio Fulci dans la monographie que lui ont consacré les auteurs Paolo Albiero et Giacomo Cacciatore (éditions un mondo a parte, 2004).

- Article paru le samedi 7 juillet 2007

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