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Japon | Nippon Connection 2011

The Hero Show

aka Hîrô shô, ヒ-ロ-ショ- | Japon | 2010 | Un film de Kazuyuki Izutsu | Avec Shûsuke Fukutoku, Junpei Gotô, Chisun, Kosuke Yonehara, Ryôsuke Sakuragi, Tsuyoshi Hayashi, Ryôhei Abe, Ami Ishii, Akira Nagata, Shinobu Yûki, Hiroshi Ômori, Mie Ôta, Shingo Mizusawa, Peyton Chiba, Motoki Ochiai, Tatsuya Kose, Mariko Tsutsui, Hôka Kinoshita, Takeshi Masu, Ken Mitsuishi, Yô Yoshida

Depuis la “génération du soleil”, le seishun eiga (film de jeunesse) s’est imposé comme un genre privilégié du cinéma japonais, indissociable d’une certaine expression de la violence juvénile, faite de bruit et de fureur, qui a connu, dans le sillon des mutations sociales, tous les excès, jusqu’à la banalisation. Des lycéens bagarreurs roulant des mécaniques de Be-Bop Highschool de Hiroyuki Nasu, au désenchantement poétique des premiers films de Toyoda, jusqu’aux récents pugilats héroïques saupoudrés de mélodrame des Crows Zero de Miike, sans oublier un détour par les tréfonds du DTV avec les débordements graphiques outranciers des All Night Long. Qu’elles soient ludiques, impulsives, spectaculaires ou dérangeantes, ces expressions attestent d’une forme de déréalisation du monde moderne. Pourtant, rares sont les films qui, comme The Hero Show, n’accessoirisent pas cette violence, mais en font une matière première propice à en décortiquer la mécanique collective, afin d’en montrer l’effrayante banalité, sa contamination, forcément anti-spectaculaire et autrement plus troublante. Ce qui surprend de prime abord est qu’une telle entreprise soit issue du cinéma dit “mainstream”, qui au Japon, fait habituellement preuve d’une tiédeur plus consensuelle ; puisqu’il s’agit ici d’une production Kadokawa [1]. Néanmoins à bien observer la personnalité de son auteur - réputé pour son franc-parler télévisuel - et ses racines indépendantes, The Hero Show s’inscrit parfaitement dans la trajectoire d’un cinéaste qui a souvent placé la violence au cœur de son dispositif cinégénique.

Kazuyuki Izutsu, comme un certain nombre de cinéastes de sa génération arrivés après la faillite du système des studios, commence par tourner des films amateurs dès le lycée, grâce à la démocratisation du 8 mm. A l’instar de l’oscarisé Yôjirô Takita ou de l’ex-émule de Kôji Wakamatsu, Takahashi Banmei, il entre lui aussi dans le cinéma par la petite porte, en réalisant des films pink dès 1975. Mais ce sera grâce à l’ATG (Art Theater Guild) de l’ère Shirô Sasaki qu’il pourra s’extraire du milieu rose, simple tremplin et champ d’apprentissage, pour s’affirmer comme un cinéaste sur lequel il faut compter. Ceci, grâce au succès de L’Empire des gosses (Gaki teikoku, 1981), un premier film “commercial” pour lequel il se voit récompensé de la distinction du meilleur nouveau réalisateur par la Director’s Guild of Japan.

Dans les années 80, il entame déjà une collaboration avec Kadokawa, et rejoint les rangs de la jeune Directors Company, société de production indépendante fondée en 82 par neuf cinéastes en devenir, pour laquelle il signera l’un de ses grands succès en salles avec Inujini sesi mono (1986), mais aussi son plus grand échec, responsable de la faillite de la compagnie dans laquelle il est impliqué à travers le tournage dramatique de Tôhôkenbunroku (1993), un film d’aventures à gros budget se déroulant durant l’époque Sengoku. Lors de ce tournage épique au pied d’une cascade durant l’année 1991, un jeune figurant jouant un fantassin décède accidentellement de noyade. La sortie du film en salles sera finalement annulée (le film ne sortira qu’en vidéo) par la production, qui dépose le bilan peu après, sous le poids des dédommagements financiers accordés à la famille de la victime. Malgré ces déboires, Izutsu persévère et recommence à tourner quelques années plus tard en signant un retour aux sources, avec la première adaptation cinématographique du roman autobiographique de Riichi Nakaba, Le clan de Kishiwada (Kishiwada shonen gurentai, 1996) [2]. Mais ce sont les années 2000 qui le voient revenir au premier plan suite au succès critique et public de Pachigi ! (2004), chronique en forme de Roméo et Juliette, à la fois drôle, violente et sentimentale, sur fond de discriminations vécues par une communauté d’émigrés nord-coréens dans le Kyôto de Mai 68 ; qui tout comme son premier succès connaîtra une suite indigne.

Dans The Hero Show, Izutsu nous plonge dans le quotidien d’une jeunesse ordinaire en la personne de Yuki (Shûsuke Fukutoku), un apprenti comique bercé d’illusions qui vient juste de quitter l’école de formation que ses parents, modestes petits commerçants, se sont endettés à lui offrir. Mais nulle perspective de succès ne semble poindre à l’horizon pour celui qui rêve un jour de figurer au casting du prestigieux M-1 Grand Prix [3]. Sans travail, celui-ci cède à l’invitation de son ancien camarade Tsuyoshi (Ryosuke Sakuragi), qu’il rejoint au sein d’une petite troupe qui anime des parcs d’attractions, incarnant des super héros modelés sur les Power Rangers, à la grande joie des bambins émerveillés. Mais Tsuyoshi apprend que sa petite amie le trompe avec le jeune minet de la bande. Vexé, sous le coup de la colère, il déclenche une bagarre qui dégénère, en pleine représentation. Sérieusement amoché et pour ne pas en rester là, il demande l’aide d’Onimaru (Ryôhei Abe) et son frangin, deux gaillards aux méthodes de yakuza, qui voient tous deux là une occasion d’extorquer un peu d’argent en intimidant la petite bande. Ces derniers ne sachant plus comment se sortir de cette situation délicate, s’en vont de leur côté trouver Takuya (Tsuyoshi Hayashi), grand frère affable et beau parleur habile, qui sollicite l’aide de Yuki (Junpei Gotô), un camarade ex-sergent dans les forces japonaises d’autodéfense, aujourd’hui ouvrier plombier. Ensemble, la petite bande complote une embuscade afin de donner une leçon à Tsuyoshi et son complice. Dans cette escalade d’intimidations, les événements vont alors dégénérer au cours d’une longue nuit mouvementée.

On peut considérer The Hero Show comme la troisième marche d’une trilogie sur la violence juvénile embrassant trois décennies. Celle des années 80, avec L’Empire des gosses qui décrivait l’anarchie régnant entre bandes se disputant un territoire du quartier chaud d’Osaka. Un film hystérique et décousu qui donnait pourtant une vision brute de la réalité des petits délinquants encore inédite au cinéma. Celle des années 90, marquée par Le clan de Kishiwada, qui valu à l’auteur le prix Blue Ribbon (prix décerné par la presse japonaise) n’en était pas moins turbulente, polarisée sur la vie de deux lycéens du quartier ouvrier de Kishiwada dans le Osaka des années 70. Outre la violence collective, force motrice des trois métrages, l’autre point commun réside dans l’usage à contre-emploi de duos populaires de manzai, faisant ainsi leurs premiers pas de protagonistes au cinéma dans des rôles dramatiques. L’ensemble de ces comédiens étant tous issus de la fameuse écurie Yoshimoto Kôgyô [4], grand pourvoyeur de talents télévisuels. Nul doute qu’un tel choix ne soit pas neutre dans la stratégie de financement des films précités. Ainsi après le duo Shinryu [5] dans L’Empire des gosses, 99 [6] (Ninety-nine) dans Le clan de Kishiwada, c’est au tour des petits nouveaux de Jaru-Jaru [7] d’être projetés dans l’univers cinématographique d’Izutsu.

The Hero Show se démarque pourtant de ses deux prédécesseurs autant dans le ton que dans son traitement anti-spectaculaire. Dans Le clan de Kishiwada les jeunes lycéens s’affrontaient autant pour la gloriole que par pur plaisir. En dépit du personnage du loubard dur au mal Onimaru, remarquablement incarné par un éblouissant Ryôhei Abe (Crows Zero 2, Ashita no Joe), qui semble tout droit sorti d’un Menace II Society nippon, les jeunes désœuvrés de The Hero Show, misérables freeters immatures, se rapprocheraient davantage de l’insouciance inconsciente des Kids de Larry Clark que des chiens fous dictant leur loi au lycée Suzuran cher à Miike. Nul héroïsme bravache ni ralentis stylisés décuplant l’impact des coups sous la plasticité graphique d’une pluie battante. Cette chronique de la violence ordinaire se veut l’illustration froide et implacable des mécanismes qui l’engendrent au quotidien, dans une effrayante banalité. Une violence, parfois arbitrairement excessive - voir le nombre de coups de club de golf qu’encaisse Onimaru ! -, forcément enracinée dans le collectif, à l’image de toute l’anthropologie girardienne [8].

La première partie du film s’attache à décrire cet engrenage d’une violence qui dégénère jusqu’au dernier degré, celui du meurtre. D’une construction précise, elle ne laisse jamais au spectateur présager de l’issue des événements. Izutsu oppose avec intelligence, la virtualité de ces costumes de super héros qui font rire les enfants, avec l’environnement dans lequel évoluent ces jeunes précaires incarnés par Yuki (Shûsuke Fukutoku), dont les rêves se sont brisés sur le mur du réel. Le cinéaste contextualise habilement les personnages dans leur environnement, créant ainsi un lien de suggestion apparent entre l’expression de leur violence et leur propre existence. Celle brutale et effrénée initiée par Yuki (Jumpei Gotô) s’inscrit dans le prolongement d’un mal-être fait d’une vie affective instable et d’un arrière plan familial douloureux. Quant à Takuya, fils à papa désinvolte et manipulateur, il instrumentalise la naïveté inconsciente des plus jeunes, se trouvant incapable d’assumer la responsabilité finale de ses actes.

Au cours du climax du film, enjeu central du récit, dont la durée extensive place ses protagonistes dans un isolement nocturne et social les confrontant à eux mêmes, Izutsu démontre sa capacité d’observateur aiguisé de la nature humaine. Il illustre parfaitement la violence mimétique engendrée par la soumission à l’unité du groupe et à l’autorité, qu’elle provienne du statut (Takuya) ou de la force (Yuki). Ainsi chacun se retrouve à prendre part à un crime qu’il n’aurait individuellement jamais été en mesure d’accomplir. A travers cette obédience aveugle au collectif, dilution perverse de responsabilités, qui soustraie chaque entité à sa propre conscience criminelle, Izutsu dénonce en arrière plan la mentalité collective sociale de ses congénères qui par voie de dépersonnalisation conduit l’humain à accomplir les pires atrocités par acte de soumission aveugle. En filigrane se dessine l’évocation des pages sombre d’une histoire nationale, qui se cristallise dans la guerre. Il n’est d’ailleurs pas anodin que l’auteur emploie des métaphores guerrières, comme les pseudonymes utilisés par le fossoyeur et Takuya, s’appelant respectivement Patton et Montgomery ; ou lorsque ce dernier tente d’impliquer Yuki (Shûsuke Fukutoku) témoin lâche mais involontaire, en le traitant de « criminel de guerre de classe C » [9], afin de pousser le groupe à s’en débarrasser.

The Hero Show emploie habilement une trajectoire hyperbolique, allant de la déshumanisation progressive des comportements, culminant dans la scène de crime, puis vers une rédemption progressive des deux protagonistes principaux que sont Yuki et Yuki, antagonistes accidentels, qui vont inéluctablement se rapprocher à travers une relation interpersonnelle contrainte, mais exclusive au groupe. Idée brillante qui, loin de vouloir soulager le spectateur par un “happy end” de circonstance, permet au cinéaste d’emprunter la voie de la rédemption, restituant sa part d’humanité au duo d’acteurs stars du métrage, tout en préservant l’image “postitive” des deux complices à l’écran. On imagine que le choix de tels rôles pour de jeunes comédiens, dans l’univers aseptisé de l’entertainement, dont l’image est le principal capital, comporte des risques. L’échec commercial relatif du film au Japon en atteste. Rares sont ceux qui, comme Kitano, ont sciemment cherché à briser une image télévisuelle en franchissant les limites de l’incarnation de la bassesse à l’écran. Mais le duo Jaru-Jaru n’est qu’en début de carrière, bien loin de la maturité artistique guidant les ambitions de Kitano au moment de sa transition vers le grand écran.

Dans la deuxième partie du film, Izutsu met à profit l’interaction naturelle existant entre les deux comédiens principaux, apportant ainsi au métrage une dose singulière d’humour noir à l’image du quiproquo sur les prénoms identiques en pleine tension dramatique. Bien que leurs personnages respectifs soient aux antipodes des gags potaches du duo cathodique, ils conservent malgré tout leurs particularismes. Ainsi Junpei Gotô, habitué à jouer le tsukkomi [10], adopte le rôle du jeune ouvrier aux responsabilités familiales pesantes. Alors que Shûsuke Fukutoku, le boke [11], n’est qu’un rêveur pathétique dialoguant sur son PC avec une petite sœur virtuelle. Izutsu respecte donc judicieusement la dichotomie fondatrice du manzai, où chacun peut faire valoir ses propres qualités naturelles tout en les transcendant à l’écran. La séquence chez l’organisme de prêt, où Shûsuke Fukutoku se lance dans un sketch solo improbable, offre même des moments surréalistes flirtant parfois avec la folie. Par leur association heureuse, les deux acteurs, impressionnants de conviction, portent admirablement ce dernier chapitre, qui aurait pu sombrer dans un certain sentimentalisme mièvre, notamment lors de la ballade familiale au parc d’attraction océanique. Et même si le métrage se clôture au son du méga tube "S.O.S." des Pink Lady, diffusé à la radio du cabanon familial qu’a fini par regagner l’aspirant comique Yuki, abandonnant ses rêves de gloire, ce geste n’offre point la rédemption tant espérée au spectateur, dont la mémoire reste à jamais contaminée par l’écho traumatique d’une violence collective déshumanisée.

Relativement anonyme, la mise en scène d’Izutsu empêchera cependant la critique de le considérer comme un véritable auteur. Pourtant, par ce geste, loin du lyrisme à l’œuvre dans Pacchigi !, l’auteur mise sur la sobriété et l’efficacité d’une remarquable direction d’acteur pour se plier au primat de la narration. Limitant son usage de la musique au minimum, il fait le choix du réalisme, accentuant la cruauté du constat, parfois éprouvant, d’une banalisation de la violence à travers la perversité d’une mécanique de groupe. Avec The Hero Show, Izutsu signe un douloureux plaidoyer pour l’empathie et l’affirmation de la conscience individuelle contre le collectif. Une œuvre âpre non dépourvue d’humanisme, exploitant admirablement ses contraintes commerciales. Assurément l’un des films japonais marquants de l’année.

Site officiel du film (en japonais) : www.hero-show.jp

The Hero Show a été présenté en première européenne dans la section Nippon Cinema au cours de la 11ème édition du Festival du film Japonais de Francfort Nippon Connection (2010).

The Hero Show est disponible en DVD au Japon malheureusement sans sous-titres.

[1À l’origine un poids lourd de l’édition, Kadokawa Shoten s’est lancé dans la production cinématographique en 1975, à travers l’adaptation d’auteurs de romans policiers dont elle est en même temps éditrice, tels que Seishi Yokomizo et Seiichi Morimura. Grâce à ses succès elle investit dans des productions à gros budgets (Taisaku), sorte de “Blockbuster” modernes à la japonaise, coïncidant avec l’abandon progressif de la politique des doubles programmes (popularisés par la Tôei et la Nikkatsu) au profit de programmes uniques.

[2Parmi les nombreuses adaptations, signalons celles de Miike, les plus connues, avec Young Thugs : Innocent Blood (1997) et sa suite Young Thugs : Nostalgia (1998).

[3Sorte de Nouvelle Star du comique manzai au Japon, émission produite par le magnat du genre, Yoshimoto Kôgyô.

[4A noter que l’agence Yoshimoto a également produit Le clan de Kishiwada.

[5Duo formé par Shimada Shinsuke et Matsumoto Ryûsuke, deux stars du manzai des années 70/80 ayant popularisé le style “tsuppari manzai” (littéralement le manzai coup d’épaule) dans lequel les comiques se bousculent physiquement ou se mettent des baffes au cours de leurs sketches.

[6Duo formé par Hiroyuki Yabe et Takeshi Okamura, qui font également une apparition dans l’impayable Messengers (1999) de Yasuo Baba.

[7Duo formé en 2003 par Junpei Gotô et Shûsuke Fukutoku

[8Voir notamment La Violence et le sacré de René Girard.

[9Dénomination employée pour les criminels de guerre coupables de crimes contre l’humanité.

[10Personnage rationnel et vif dans un duo manzai

[11Le personnage du clown dans le duo

- Article paru le mardi 10 mai 2011

signé Dimitri Ianni

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