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The Midnight Meat Train

USA | 2008 | Un film de Ryûhei Kitamura | Avec Bradley Cooper, Vinnie Jones, Leslie Bibb, Brooke Shields, Roger Bart, Tony Curran, Barbara Eve Harris

Le cinéma regorge de rencontres, plus ou moins improbables, entre écrivains et cinéastes. Pouvait-on imaginer toutefois, que celle de Clive Barker et Ryuhei Kitamura se fasse sous des cieux si cléments ? A l’origine de leur coopération, une nouvelle écrite il y a plus de vingt ans, publiée dans le premier tome des Livres de sang et maintes fois candidate à l’adaptation cinéma. Véritable réécriture d’une matière première synthétique, loin des envolées foisonnantes des chef-d’œuvres à venir de l’auteur britannique, The Midnight Meat Train permet à Kitamura de briller à sa juste valeur, dans un registre à la fois cinématographique et télévisuel, qui fait la part belle au substrat des mots de Barker : la méticulosité d’une violence sinon nécessaire, justifiée.

Dans la nouvelle d’origine, on suivait un certain Kaufman dans sa traque d’un tueur notoire, sévissant dans le réseau ferroviaire sous-terrain new-yorkais. Une simple ouverture dans un rideau dressé entre deux wagons, pour masquer une sanguinolente besogne, projetait le protagoniste dans l’univers de Mahogany, boucher au service d’un appétit ancestral, et l’entrainait au terme d’un voyage autant qu’au début d’un autre. Ce coup d’œil malsain prend, dans le film, une dimension toute autre. Alors qu’aux yeux du héros de la nouvelle, New York est d’ores et déjà une ville de violence et de mort, Leon perçoit cette perversion – la convoite même - mais ne s’y confronte jamais, ainsi que l’illustrent ses clichés noir et blanc, esquisses de collisions, entre la misère et l’aisance, la brutalité et l’innocence. Susan Hoff, mécène illuminée, encourage Leon à aller au bout de son intention, fixer ces collisions – prendre l’âme de New York, symbiose d’urbanisme et d’humanité sombre, en photo.

C’est dans une tentative de viol sur la personne d’une jeune modèle, que le photographe trouve son opportunité, documente tout en dissuadant. La jeune femme est reconnaissante, les trois voyous nettement moins, et Susan trouve dans ces clichés matière à s’extasier d’une monosyllabe - ce qu’elle ne fait jamais. L’enthousiasme de Leon retombe toutefois, lorsqu’il apprend que la quasi victime a disparu après être montée dans le métro sous ses yeux... Plongé dans les archives d’affaires similaires, Leon se lance alors, appareil à main, sur la trace d’un taciturne boucher qu’il suppose rapidement être lié à une quantité improbable de disparitions. Et les destins croisés des mots, accidentels, deviennent alors, en image, une destinée réfléchie.

Il y a derrière The Midnight Meat Train, une parenté très particulière avec son matériau d’origine, de similitudes et de différences. Mahogany dans sa version d’encre, est au même rang que Kaufman, aspire à une filiation pour palier à la fatigue qui s’empare de son corps. Épuisement ici implicite puisque Mahogany version Vinnie Jones, ne pipe mot, se contente de découper, en les collectionnant, les tumeurs qui s’emparent de son corps et marquent son déclin. Le sur poids de l’être de papier a disparu, mais l’étrangeté de son apparence, sa maladresse toute singulière, cintrée et puissante, demeurent. Ses actes ne sont plus force de narration mais contexte, non pas étalés par les médias mais en attente d’être contemplés, assimilés, adoptés par Leon pour être autre chose que des explosions secrètes de brutalité. Son modus operandi, sa signature, sont par contre les mêmes à la lettre près. Une évidence, puisque le soin contre nature qui se dégage des lignes descriptives de la nouvelle, sont identitaires.

Le caractère méticuleux de Mahogany déborde de The Midnight Meat Train, au point de contaminer la mise en scène de sa violence. Ahurissante à l’écran, projetée par le marteau d’acier du boucher, elle est graphique et propre à la fois – un travers du gore numérique ici maîtrisé –, favorise le dégoût curieux plus que le traumatisme. Dans son étalage de brutalité, Kitamura parvient à susciter chez le spectateur la même fascination morbide que celle qui conduit Kaufman/Leon au terminus de la ligne de métro. Ces scènes sont pourtant, d’une certaine façon, gratuites, et prennent le risque – ou tentent ? - de faire de Mahogany une nouvelle figure du slasher ; mais leur rendu les placent au même niveau que les vêtements proprement pliés des victimes, leurs chaussures emballées. Un caractère propre, professionnel. Muy profesional. [1]

La réalisation de Ryuhei Kitamura, qui se nourrit de silences, de temps morts et autres symétries urbaines, a rarement semblé aussi maîtrisée qu’ici ; l’ambiance direct to video lui convenant mieux, dans son rythme quasi télévisuel paré d’une photo de première classe, que le rythme d’un blockbuster triple A, dans lequel il ne parvient jamais vraiment à s’inscrire. Ses acteurs lui rendent tous justice : Bradley Cooper oppose son regard tour à tour chaud et glacial à celui, plus neutre, de Vinnie Jones, dans une confrontation de concentrations - l’une déterminée et méticuleuse, l’autre encore nébuleuse, en devenir. Chacun se définit et se défait, dans cette plaine d’existence qui est celle du regard. Leslie Bibb est charmante – même si elle manque d’entraîner Kitamura sur le terrain de l’érotisme cheap – et Brooke Shields hautaine à merveille... Ensemble, ils portent cet édifice simple, qui sait faire beaucoup de peu de choses, vers un niveau inespéré ; pas vraiment terrifiant, mais terriblement fascinant et malsain, jusqu’à sa conclusion ô combien respectueuse de l’univers de Clive Barker.

The Midnight Meat Train est certainement la meilleure incarnation cinématographique de l’auteur depuis le Candyman de Bernard Rose, autant que le plus beau film de Kitamura. En matière d’adaptation, l’œuvre est exemplaire, servie par sa capacité à faire d’une rencontre une confrontation, d’une affirmation une véritable proposition ; trahisons dispensables pour certains, ici nécessaires à une cohérence plus élevée encore que celle de son modèle écrit.

The Midnight Meat Train est disponible en DVD et autres supports un peu partout ; je peux pour ma part vous recommander l’édition DVD anglaise sans hésitation : peu onéreuse, uncut, dotée de suppléments contractuels mais intéressants, et surtout d’une image sublime.

[1Hommage injustifié à l’Airbag de Juanma Bajo Ulloa.

- Article paru le vendredi 24 avril 2009

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