The Moss
A la poursuite du diamant vert.
Dans les bas-fonds de Hong Kong, flics corrompus, prostitués et membres des triades se côtoient allègrement. Tous ces êtres vivent au jour le jour, se fondant dans le décor décati de cités HLM semblables à des souricières, où même la lumière du jour ne parvient à percer les sombres couloirs. Jan (Shawn Yue), policier infiltré ayant des rapports douteux avec la mafia locale, s’est entiché de Lulu (Bonnie Xian), une jeune prostituée qui héberge sa jeune cousine (Shi Zue Yi) fraîchement débarquée de Chine continentale. Il lui assure sa protection en échange de faveurs sexuelles. Mais la quiétude de Jan se trouve soudainement bouleversée lorsque le fils obèse de la “marraine” (Siu Yam-Yam) d’une triade locale disparaît, ainsi que la pierre précieuse que celui-ci comptait lui offrir en guise de cadeau d’anniversaire. Le jeune flic infiltré se retrouve alors l’intermédiaire bien involontaire d’une inextricable situation impliquant deux gangs rivaux, ainsi qu’un mystérieux mendiant.
Dans le sillage d’un premier long-métrage remarqué, The Pye-Dog (2007), dans lequel l’auteur décrivait déjà la confrontation entre un enfant orphelin et un tueur singulier, mêlant polar noir et éléments dramatiques, le cinéaste se penche cette fois sur les vicissitudes de trois personnages, aux destinées tragiquement liées par d’imprévisibles circonstances. Dès les premières images, on retrouve le style expressif de la photographie toute en contrastes de O Shing Pui, déjà à l’œuvre dans The Pye-Dog, qui, à l’image de son travail pour Fruit Chan (Made in Hong Kong, Hollywood Hong Kong), parvient à restituer l’univers poisseux et étouffant des quartiers populaires de Kowloon [1], grâce à un travail judicieux de la lumière, conjugué à l’usage de filtres aux teintes verdâtres.
En effet, le cinéaste tente ici de dépasser l’apparente banalité d’un récit de vengeance qui s’inscrit pourtant dans les stéréotypes du genre, en apportant une “contextualisation” au drame vécu par ses protagonistes. Le choix du quartier, l’un des plus mal famés de la péninsule, loin d’être anodin se révèle emblématique d’un monde ou les frontières, autant morales que légales, se retrouvent brouillées par les nécessités socio-économiques mêmes, et la topographie particulière de lieux aux inextricables conduits. Grâce à de brefs inserts (les seuls plans d’extérieurs) réguliers de vues d’immeubles filmées au grand angle en contre plongée, le cinéaste signifie l’oppression de ses habitants, n’ayant d’autre choix pour s’en sortir que le crime ou la prostitution. En faisant le choix d’implanter la quasi totalité du métrage dans des intérieurs sombres et délabrés, Kwok accentue d’autant cet effet de claustrophobie ambiante qui ne quittera plus ses personnages.
Au caractère sordide et violent de l’univers du film, Kwok oppose la fraîcheur et l’innocence de Fa, la jeune cousine de Lulu, venue gagner sa vie dans la prostitution enfantine, appâtée par des gains faciles. Ce contraste permanent sur lequel joue le cinéaste, s’avère le véritable fil conducteur du film dont la logique narrative, parfois hachée, peine à convaincre, peu servie par un traitement psychologique des personnages insuffisamment exploité. En effet, l’intérêt de The Moss, outre quelques idées originales telles que l’utilisation de son émeraude verte comme fil rouge narratif de l’œuvre, réside dans la confrontation de ses contraires, telles le yin et le yang, représentés par le tueur mendiant brillamment servi par un Louis Fan (Ip Man, 2008) signant un probant retour sur le devant de la scène Hong-Kongaise, et la jeune Fa au regard touchant de mélancolie. A l’image de la rencontre entre le tueur animal de Dog Bite Dog (2006) et la jeune handicapée mentale, l’humanité du tueur SDF se dévoile progressivement, traduisant une inversion de valeurs que le cinéaste se plait à souligner. Refusant tout manichéisme et ne cédant que rarement à la facilité du mélodrame - la scène du lit d’hôpital entre Jan et Lulu -, The Moss, par sa brutalité, devient l’enjeu d’un questionnement sur la violence dans le contexte de conditions de vie extrêmes d’une urbanité impitoyable. Refusant tout jugement, le cinéaste préfère la distanciation servie par l’usage de métaphores qu’il affectionne, apportant un contre point poétique à la violence bestiale des combats. Ainsi The Moss, dont le titre évocateur renvoi à l’insignifiance d’une plante verte à l’instinct de survie surdéveloppé, capable de pousser dans les eaux les plus saumâtres, tente de s’échapper des figures éculées du polar HK en introduisant des éléments de fable servis par la voix off de la toute jeune adolescente.
Plus dérangeant en revanche, semble être la stigmatisation faite de la communauté indienne à travers l’image du groupe de tueurs incontrôlables croisant fortuitement le chemin de nos protagonistes, dans un final d’une violence sèche et animale, sans oublier l’homme de main trahissant le chef de son propre gang. Il semble donc loin le temps des tueurs venus du mainland, telle la figure de l’étranger bouc émissaire perturbant la quiétude d’une péninsule éprise de liberté à l’approche d’une fatale rétrocession. L’assimilation en marche semble ainsi générer de nouvelles menaces, qui, même si elles correspondent à une certaine réalité sociale, sont parfois mises en scène de façon troublantes dans le cinéma d’action Hong-Kongais moderne. Ainsi l’on songe également au Mad Detective de Johnnie To, certes plus subtile et intelligent, faisant lui aussi un usage partial, quoique plus accessoire, du tueur indien.
Malgré ses faiblesses narratives, l’écheveau de ces destinées se débattant dans les profondeurs des bas-fonds d’un Hong Kong à l’avenir obscurci, traduit les promesses d’un talent capable d’inventivité et de style à l’endroit même où l’on pensait la source tarie. Doté d’un sens visuel certain, jamais outrancier, Derek Kwok parvient à faire de la banalité d’un matériau usé, une œuvre digne d’intérêt par un cocktail dosé mêlant le polar noir, la fable, le drame humain, sans oublier un soupçon d’humour noir.
The Moss a été présenté en compétition dans la section Action Asia au cours de la 11ème édition du Festival du film asiatique de Deauville (2009).
The Moss est disponible en VCD et DVD HK chez Mei Ah avec sous-titres anglais.
[1] The Moss a été tourné dans le quartier de Sham Shui Po situé au nord-ouest de la péninsule de Kowloon.






