The Rapeman
Un Justicier dans la vulve.
Amoureux des Tokusatsu et autres super-héros masqués ayant abreuvés nos paisibles têtes blondes d’une “Génération Bioman” en pleine crise nostalgique, passez votre chemin. Ces pages l’ont maintes fois démontrées, la fantaisie des japonais pour pervertir un genre n’a pas d’équivalent sur cette planète ; que ce soit par cupidité mercantile, ou pour servir de défouloir aux pulsions libidineuses du mâle nippon.
Le cinéma de genre nippon, et plus particulièrement le marché pléthorique du direct-to-video, comportent eux aussi leurs lots de super-héros emblématiques, issus majoritairement de la plume de mangaka à l’imagination fertile. On connaissait le génie coquin et parodique du créateur de manga Go Nagai, maintes fois adapté à l’écran, et dont le versant érotique de l’oeuvre comporte une bonne part d’héroïnes masquées : Kekko Kamen et Maboroshi Panty en tête, dont le sens respectif de la justice est on ne peut plus irréprochable. Mais l’improbabilité de leur existence et leur puérilité, suffit à les faire passer pour des lubies licencieuses, et les confiner au rang de fantasmes masculins inoffensifs.
Loin d’être confiné aux rayons spécialisés, un super-héros d’un nouveau genre fit son apparition cinématographique au début des années 90, le bien nommé The Rapeman. Publié initialement sous forme de série au début des années 80 par SP Comics, et issu de la plume du dessinateur Shintaro Miyawaki, ce Hentai manga allait cristalliser une attitude bien coupable aux yeux des occidentaux : une complaisance malsaine envers le viol, doublé d’un humour noir singulier.
Le pitch ayant à lui seul de quoi hérisser le poil d’une meute de chiennes de gardes, le mangaka Shintaro Miyawaki cru légitime d’aller jusqu’à s’inventer une prétendue scénariste du nom de Keiko Aisaki, afin de faire passer la pilule sous couvert d’une collaboration féminine. En effet, le jeune Keisuke Uasake, professeur dans un lycée pour jeunes filles la journée, dirige avec son oncle Shotoku l’entreprise familiale Rapeman, chargée de rendre la justice d’une manière peu orthodoxe. Les chapitres sont divisés en “target” (cibles), pour la plupart des jeunes femmes adultères, coupables de trahisons ou d’activités illégales diverses, et faisant l’objet d’une vindicte populaire de la part du client/employeur lésé. À chaque fois le même rituel, Keisuke le jeune instituteur de jour, devient Rapeman, vengeur masqué la nuit, enfilant un masque de ski lui conférant un visage à la forme phallique évidente, avec comme accessoire principal une paire de menottes. Attendant le moment propice, il fond sur sa proie insouciante, prenant soi de la menotter, avant de la déshabiller adroitement, pour finir par la violer sauvagement. Et si par malheur... ou bonheur penseront certains, elle finit par aimer cela, alors il lui applique une de ses techniques secrètes, au noms aussi pittoresques que : screwdriver (tournevis en anglais), triangle, double ring, gclef ou encore M36 !
Avec pas moins de treize volumes à son actif, et fort d’un certain succès populaire envers son cœur de cible, il n’en fallait pas plus pour aiguiser l’appétit pernicieux de producteurs de V-cinema, et voir l’anti-héros le plus politiquement incorrect du Japon se matérialiser sur écran. Et c’est justement dans cette transition que l’observateur occidental, au sens moral forgé dans l’héritage judéo-chrétien bien pensant peut s’esbaudir. Si la tolérance et la futilité du manga, qui passe souvent pour un genre mineur, déprécié dans notre culture élitiste glorifiant l’objet littéraire, ne prête pas à conséquence, le cinéma se voit paré d’une toute autre honorabilité.
Alors qu’on aurait pu imaginer un tel personnage cantonné au genre pinku à tendance violente, dans l’héritage des cinq brûlots agressifs de Yasuharu Hasebe pour la Nikkatsu [1], ou encore cantonné aux étagères confidentielles de vidéoclubs spécialisés, ce premier volet de la série prend une toute autre saveur. Aux commandes, et cela s’avère finalement un choix naturel, un spécialiste des super-héros nippons, en la personne de Takao Nagaishi. Ce dernier s’étant fait les dents sur les séries TV Super Sentai de la Toei à la fin des années 80 (Kousoku Sentai Turboranger, Choju Sentai Raibuman, Hikari Sentai Maskman), sans oublier sa contribution au mythe de la customisation de poids-lourds, tradition populaire de l’archipel depuis la série des Torakku Yarô, avec Bakusô Torakka Gundan (1992-1994), série de cinq épisodes avec le patibulaire Johnny Okura, sans oublier sa contribution au récent réveil de l’homme sauterelle avec Kamen Raidâ : The First (2005).
Autant dire un choix consensuel, qui se confirmera dans la durée puisque Nagaishi signera les sept opus que comptent l’infamante série Rapeman (1993-1995), sans oublier les deux spin-off que sont Oedo Rapeman (1996) et Oedo Rapeman - Nyoin shokei nin (1996) dans lequel le personnage change d’époque, mais pas de devise, puisque ce dernier se retrouve projeté dans l’ère Edo - que voulez vous quand l’imagination fait défaut... - curieusement affublé d’un costume de Batman (le succès des adaptation américaines aurait-il déteint sur la production !). On signalera par ailleurs la tentative ratée de lancer en parallèle la série en anime sous la forme d’un OAV de deux épisodes qui virent le jour en 1994, produit par le studio Pink Pineapple, spécialiste de l’anime Hentai.
A cela s’ajoute un casting des plus improbables en la personne du jeune et regretté Hiroyuki Okita [2], propulsé au panthéon des chanteurs idoru de l’âge d’or du début des années 80 par l’écurie Stardust Promotion [3], et également acteur de J-dorama à succès pour la TBS. Autant dire une jolie petite gueule d’ange qu’on a peine à imaginer violant une ménagère infidèle. Flanqué à ses côtés dans le rôle de l’oncle Shotoku, au paternalisme bienveillant, Sakae Umezu, vétéran des seconds rôles, aussi à l’aise dans le mainstream que dans le V-cinema.
Autant le dire de suite, la série Rapeman et son premier opus a autant de valeur cinématographique qu’un épisode de Cordier Juge et Flic. Filmé selon les standards du direct-to-video, doté d’un budget plus que modeste, de décors rudimentaires, et d’effets vidéo cheap datés, The Rapeman ne se distingue en rien de la masse des productions de l’époque. Nagaishi n’est pas à blâmer car en bon tâcheron, il se borne à l’exécution consciencieuse, sans fantaisie mais avec rythme, du scénario écrit spécialement par Jun Furushô. En effet, si les traits des personnages principaux reprennent ceux du manga, le principe du découpage par cibles en chapitres bien commode au gré du format d’un manga sérialisé, est abandonné au profit d’une intrigue dramatique circonscrite dans un milieu défini, ici celui de la politique et de ses liens délictueux avec les Yakuza. Un principe qui sera repris dans les épisodes successifs de la série, ancrant ainsi davantage le réalisme et le cadre social du récit : le milieu des cliniques privées dans Rapeman 2, le trafique de drogue dans Rapeman 3, les sectes religieuses avec Rapeman 4, etc...
Outre ces variations scénaristiques, les accessoires de notre super-héros masqué en service commandé se retrouvent rehaussées au goût du jour. Le masque de ski devient un masque de hockey en plein renouveau de la Jason mania, et dont l’opportuniste et vénal Wong Jing croira bon de repeindre en blanc, pour en affubler Mark Cheng son avocat pervers dans le racoleur premier volet de la saga des Raped by an Angel. Les menottes, autre accessoire indispensable, demeurent ; mais s’y ajoutent un “couteau papillon”, phénomène de mode oblige, très dissuasif et pratique pour sectionner les tissus des sous-vêtements obstacles, sans oublier une tenue cuir noir façon motard.
Dans ce premier volet, après une courte démonstration de ses talents de voltigeur punisseur auprès d’un petite amie indélicate, le scénariste ne tarde pas à nous embarquer dans l’écheveau d’une conspiration politique en pleine campagne électorale pour le Sénat. L’oncle Shotoku reçoit un jour la visite d’une femme éplorée accusant l’ex-secrétaire devenue épouse de Kayama, candidat potentiel sérieux à un poste de sénateur dans l’un des district de Tokyo, d’avoir provoqué sa rupture avec ce dernier. Désireuse de vengeance, cette dernière implore la société Rapeman d’organiser le viol de cette dernière afin dit-elle « de lui faire ressentir physiquement la souffrance que j’ai du endurer ». Tout d’abord hésitant, l’oncle craignant de se confronter à un personnage public, ce dernier se laisse finalement convaincre par les larmes éplorées de la plaintive. Rapeman la nuit venue, se charge d’exécuter le contrat, mais alors qu’il viole la jeune femme dans le sous-sol du parking il est pris en photo à son insu. Ce dernier flaire un lièvre, mais quoi qu’il en soit l’employeuse et accessoirement patronne de bar, règle le contrat rubis sur ongle. L’affaire inquiète néanmoins l’oncle qui, aidé par son neveu, décide d’enquêter afin de récupérer les photos compromettantes.
Pour autant, l’intérêt sociologique de The Rapeman n’est pas négligeable. Epitomé symbolique de l’attitude misogyne ayant court dans le cinéma érotique japonais, la représentation du viol fait partie des conventions du genre depuis toujours, à tel point que dans l’AV (adult-video), une scène sur trois représente un rapport sexuel non consentant. D’une façon générale dans le cinéma pinku, la position victimaire revêt souvent les habits d’une pureté ou d’une droiture morale sans reproche : infirmière, maîtresse d’école, nonne, ou encore secrétaire sont des figures récurrentes ancrées dans l’inconscient collectif masculin et peuplant les nombreuses productions du genre. Ces conventions qui trahissent la psyché tourmentée du mâle nippon, pour ce que la journaliste Agnès Giard nomme “la culture de la honte” dans son remarquable ouvrage L’imaginaire érotique au Japon (édition Albin Michel - 2006), montrent que le modèle de séduction pour l’homme réside avant tout dans la représentation de la jouissance forcée de la femme qui, impuissante, s’abandonne et tombe le masque de ses émotions, sous le coup de l’humiliation.
Mais ce scénario récurrent dans lequel les jeunes victimes finissent en général par tomber amoureuses de leur bourreaux, reste un fantasme masculin qui s’exprime rarement au grand jour d’un cinéma mainstream respectable. Là où réside la perversité géniale de la série Rapeman, c’est dans le détournement de ce code de représentation qui transforme la victime naguère innocente en une coupable proie dont les actes répréhensibles aux yeux de la morale légitiment le viol en toute impunité ; parant ainsi d’une honorabilité choquante un acte qui demeure en toutes circonstance vile et condamnable.
Les créateurs ayant poussé l’ironie jusqu’à faire du protagoniste un honnête et serviable professeur au sein d’un lycée de jeunes filles, on voit donc à quel point la pirouette est provocatrice dans l’implication que revêt le fait de confier l’éducation de jeunes filles innocentes à notre super-héros bien nommé.
La série apparaît donc avant tout comme une longue variation sur le thème de l’humiliation, au cœur de l’imaginaire érotique de l’homme nippon, plus qu’une volonté d’assouvir des pulsions masculines violentes. Ce raffinement dont les japonais font preuve, héritage du Sarashi [4] fortement teintée de voyeurisme, s’exprime dans de minuscules détails, tels que la clé des menottes jetée négligemment hors de portée des victimes, par le protagoniste lorsque celui-ci a terminé sa besogne, et quitte les lieux du stupre. En témoigne le sort réservé à Numata, la machiavélique organisatrice du complot politique envers Kayama.
La déculpabilisation du viol est d’autant plus forte et inquiétante que le film de Nagaishi adopte un ton mélodramatique digne des J-dorama les plus sirupeux, doublé d’un érotisme très soft comparé au pinku contemporain. Le cinéaste parsemant allègrement et consciensieusement des éléments dramatiques dignes des clichés les plus éculés d’un Tora San, autant dans les relations inter-personnages - l’oncle Shotoku ayant recueilli et élevé Keisuke/The Rapeman, ancien pensionnaire de l’orphelinat des Tournesols -, que du but louable de l’entreprise familiale Rapeman : l’argent collecté devant servir à sauver l’orphelinat de la fermeture annoncée.
Ce ton mélodramatique en totale contradiction avec les moyens mis en œuvres et les actes figurés par le protagoniste sont sans conteste les éléments qui font de cette série l’emblème du politiquement incorrect. A la légèreté du ton s’ajoute également un humour noir douteux, sans oublier une amusante satire de la politique montrant ouvertement la collusion entre mafia et hommes politiques, mais aussi le rôle des mizu-shobai [5], sans oublier l’instrumentalisation médiatique des scandales de mœurs, fort répandus au japon.
Au final, The Rapeman se laisse agréablement visionner, telle une comédie légère teintée de mélodrame sirupeux. La conviction des acteurs, dont le jeu s’inspire de ceux du J-dorama et autres séries TV destinée à la ménagère de moins de cinquante ans, reste plausible. Le paradoxe de cette série réside dans le fait qu’elle parvient à toucher le grand public, certes adulte, sa popularité ne faisant ainsi que souligner un trait singulier de la culture érotique japonaise, et d’une coupable attitude masculine dans la déculpabilisation du viol.
En ces temps de consensualité insipide, The Rapeman, en lointain cousin d’Itami Hanzo version Goyôkiba, manifeste en définitive un regard pittoresque et insolite qui, s’il renforcera une certaine image stéréotypée véhiculée en occident, démontrera par ailleurs un sacré sens de l’humour ! Alors... à quand une diffusion en prime sur Canal Jimmy ?
La série Rapeman est disponible en DVD japonais et sans sous-titres chez Pink Pineapple.
A noter que contrairement à nombre de pinku eiga dont on peut aisément se passer de la compréhension des dialogues, la série Rapeman est riche en situations et rebondissements, rendant l’importance de ces dialogues non négligeable.
Remerciements à Agnès Giard et Mikami pour les DVDs.
[1] Yasuharu Hasebe plus connu pour sa participation à la série Stray Cat Rock ayant contribué à la popularité de Meiko Kaji, a notamment réalisé cinq films sur la thématique du viol de 1976 à 1978 : Osou !, Bôkô Kirisaki Jakku, Okasu !, Reipu 25-ji : Bôkan, Yaru !.
[2] Le jeune acteur s’est tragiquement suicidé à l’âge de 36 ans en se pendant le 27 mars 1999. Alors que les causes de son suicide sont inconnues, la tragédie s’est pourtant acharné sur sa famille puisque lorsque la société immobilière gérée par son frère fût au bord de la faillite, son père s’est suicidé. Puis sa mère est morte, et par la suite son grand-père s’est suicidé avant qu’Okita lui-même ne mette fin à ses jours. La boucle sera bouclée puisque peu de temps après son propre frère finit par se suicider également !
[3] Une des société japonaises leaders dans le management de “talento” ou jeunes idoles souvent chanteurs/acteurs/mannequins.
[4] Terme désignant l’exhibition publique des criminels, humiliation publique pratiquée notamment à l’ère Edo par les samouraï sur des prisonniers capturés et attachés à l’aide de cordes.
[5] Littéralement le monde de l’eau ou commerce de l’eau, cette appellation courante, dès le XVIIe siècle, désigne l’ensemble des lieux de plaisirs, dans lesquels par l’entremise d’une geisha en son temps et des hôtesses aujourd’hui se nouent les relations d’affaires au Japon.








