The Suicide Manual
Parent proche du présent film d’Osamu Fukutani, il y a au Japon un autre « Suicide Manual » : celui rédigé par Wataru Tsurumi et publié en 1993, qui détaille dix façons de s’oter la vie (The Complete Manual of Suicide). Bien que l’auteur déclare qu’il « n’y a aucune religion ou loi au Japon qui s’oppose au suicide » et que « le suicide collectif a toujours fait partie de la culture japonaise » [1], ce bestseller morbide a de nombreuses fois été montré du doigt par les institutions et hommes politiques, pour tenter d’expliquer l’effrayante hausse des chiffres du suicide dans l’archipel. Autre cible du gouvernement, une floppée de sites internet traîtant du suicide, dont certains comportant des « chat rooms » visant à l’organisation de séances collectives. Ce sujet, Shion Sono l’a déjà abordé avec virtuosité dans son Suicide Club (2002), inclassable polar hardgore, dont la vocation de sauvegarde de l’enfant s’apparente au final au message si joliment torturé du Neon Genesis Evangelion d’Hideaki Anno. Marchant dans ses pas, Osamu Fukutani s’attaque à une adaptation très personnelle du manuel de Tsurumi l’année suivante.
Suite à un suicide collectif, un producteur demande à l’un de ses reporters, Yu, de réaliser un documentaire sur le sujet, en prenant pour point de départ le funeste fait divers. Yu cependant, plutôt que de choisir la facilité du sensationnel souhaité par son supérieur, tente de percer le mystère qui entoure le suicide dans sa globalité : qu’est-ce qui pousse quelqu’un à vouloir se donner la mort ? Son assistante Rie, amoureuse explicite et pourtant non déclarée, tente de le décourager de suivre cette piste dont la chaîne ne se satisfaira jamais, mais rien n’y fait. Les investigations de Yu et Rie les amènent à croiser le chemin d’une adolescente, présente lors du suicide collectif. Elle leur explique qu’elle souhaitait bien mourir ce jour-là, mais que Ricky, celle qui l’avait encouragée à le faire et leur avait à tous donné rendez-vous, n’était pas là. C’était pourtant à ses côtés qu’elle souhaitait partir... Ricky, cette femme mystérieuse qui, traînant sur des chat rooms spécialisées dans le suicide, fait parvenir aux plus motivés un sombre DVD, sur lequel sont présentées différentes façon de se tuer... Yu fait une copie du document, qui commence peu à peu à l’obséder. Se pourrait-il que lui aussi, soit devenu la proie de l’ « esprit du suicide » ?
Difficile d’aborder un film tel que celui-ci, tant il se situe à la croisée d’un opportunisme malsain et d’un véritable travail de réalisation surréaliste. The Suicide Manual est en effet un authentique film d’exploitation, de ceux dont on ne sait s’ils cautionnent ou condamnent leur sujet, mais sont de toute façon passionnants. Débutant comme un simple film d’investigation, il prend ensuite le chemin maintes fois emprunté de la propagation vidéo à la Ring ; pour mieux choisir cependant - et heureusement d’ailleurs - son propre chemin. La vidéo n’est pas ici en effet lieu de mystère et de résolution potentielle ; elle est au contraire lieu de perdition car par trop explicite. Elle ne nous est pas montrée dans son intégralité mais les divers chapitres présentés - la pendaison notamment - constituent des tableaux dérangeants, dont l’objectif réel est difficile à saisir. Dans le cadre du film toutefois, ils ont une contenance certaine, et entraînent le personnage de Yu le long d’un désespoir forcément partagé par Rie (la belle Chisato Morishita). L’enquête se teinte alors d’onirisme et d’un baroque qui est toutefois très éloigné de celui de Suicide Club, et Fukutani délaisse les faits pour nous infliger une chute destructurée, de l’envie de comprendre vers celle de mourir.
Beaucoup trouveront certainement que cette manipulation plombe le film, car trop elliptique et par conséquent facile. Je trouve pour ma part qu’elle renforce cette impression étouffante, qu’une chappe s’est abbatue sur Yu et qu’il ne peut en réchapper. Intelligemment, pour ne pas (trop) sombrer dans le sordide, Fukutani choisit de teinter la fin de cette chute à la manière d’un cauchemar plutôt que de façon réaliste, le temps de quelques images proprement remarquables pour une production de si faible envergure. The Suicide Manual s’y impose comme une réussite, certes marginale pour le grand public, mais remarquable dans l’univers du v-cinema. Bien entendu, le film ne propose aucune morale tangible et ne prend pas position par rapport à ce fléau qui touche le Japon du 21ème siècle, d’autant qu’il tente de lui attribuer une explication fantastique ; ce manque de courage social se travestit néanmoins, le temps d’un film envoûtant, en un certain courage cinématographique.
The Suicide Manual est disponible en DVD au Japon, sans sous-titres, chez Benten Entertainment.
Site officiel du film (et de sa suite) :
http://www.suicide-manual.com.



