The Texas Chainsaw Massacre
"Come on boy. Bring it. Bring it ! BRING IT !"
Il y a des choses qui ne se font pas. Comme mettre en chantier un remake de Citizen Kane, à destination de la caméra d’Albert Pyun ou de Joseph Zito. Soit, ce n’est pas encore arrivé - mais si Michael Bay peut initier en tant que producteur, une nouvelle version de Massacre à la tronçonneuse, tout n’est-il pas envisageable ? Et bien si ; tout. Comme un remake de Dawn of the Dead, par exemple, à une époque où Romero himself doit se battre pour monter un projet (même avec Sarah Polley au générique, il n’est pas encore évident que la démarche soit ne serait-ce que légale). Voilà je crois, l’état d’esprit de n’importe quel être humain normalement constitué, à l’idée de visionner le Massacre à la tronçonneuse cru 2003 - ci-après dénommé TCM - réalisé par un petit nouveau du nom de Marcus Nispel.
Aurais-je tort ?
Souvenez-vous de l’été 1973 - le 19 août plus précisément. En fouillant la ferme de Thomas Hewitt, les forces de l’ordre de l’état du Texas découvraient les restes de plusieurs dizaines de victimes humaines cannibalisées. Vous ne vous souvenez pas ? Pourtant John Laroquette le déclarait déjà en 1974 (en 1982 en France, et seulement en 1999 au Royaume-Uni !), et il l’affirme encore aujourd’hui : TCM est inspiré d’une histoire vraie [1]. Et, étant donné que le film début le 18 août 1973, vous êtes sur le point de revivre une série d’évènements particulièrement macabres...
Cinq adolescents traversent le Texas en revenant du Mexique, à destination d’un concert de rock. Propriétaires de plusieurs kilos de marijuana dissimulés dans une piñata pour ne pas éveiller les soupçons d’Erin (Jessica Biel - notre héroïne très en formes et petite amie de Kemper, chauffeur de l’expédition), ces emblèmes "pluri-temporelles" (à la fois très seventies, et typiquement nineties dans leurs origines télévisuelles) taillent la route au son de "Sweet Home Alabama" et dans la fumée de quelques joints. Jusqu’au moment où ils manquent de renverser une jeune femme, désorientée et ensanglantée, à laquelle ils décident de venir en aide...
"You’re all going to die."
C’est dans l’oeil d’un tatou estampillé "roadkill", que le spectateur affrontait la mort pour la première fois dans le chef-d’œuvre de Tobe Hooper. Après un générique étouffant, le réalisateur nous confrontait d’emblée à une charogne dont la putréfaction était presque palpable sous la canicule texane. The Texas Chainsaw Massacre premier du nom, se plaçait ainsi sous le signe de la mort ; celle-ci était sale, puante, malsaine.
Marcus Nispel lui, choisit d’entrée une orientation différente. Après un générique en forme de témoignage d’époque (qui constitue d’ailleurs avec sa conclusion, le seul point "facile" de TCM), la version 2003 du film d’horreur le plus pur de tous les temps s’oriente non pas vers le malaise, la crasse et le chaos sonore, constitutifs d’une horreur viscérale, mais vers une violence simple, directe. Comme dans l’original, nos héros introduisent sans le savoir le "mal" dans leur véhicule, mais la démarche de violence de l’autostoppeur - ici vagabonde - est inversée : elle n’est plus dirigée vers le monde extérieur mais, plus pessimiste encore, sur la jeune femme elle-même. Un suicide d’une brutalité effrayante fait donc ici figure d’amorce horrifique ; c’est une modification d’autant plus courageuse de la part de Nispel qu’elle implicite une démarche active des protagonistes pour pouvoir continuer à développer cette perversion agressive.
Heureusement, Nispel parvient à imposer cette démarche active à ses protagonistes sans les transformer en héros/victimes d’un énième slasher, tellement décérébrés que ç’en devient provocateur. Eclaté par la notion de rapport à la violence, le groupe d’adolescents signe sa perte non pas par excès de libertinage comme c’est souvent le cas, mais par son agressivité et sa tendance majoritairement égoïste. Ainsi, Nispel fait d’Erin indirectement, une double victime, à la fois menacée par Leatherface et sa lame mécanique, et héritière des torts de ses congénères. Un martyr d’autant plus vicieux que la jeune femme est la seule à faire preuve d’un semblant d’humanité.
Plutôt que de jouer la carte de l’acharnement au travers de la famille dégénérée, trait caractéristique du film de Tobe Hooper, Nispel recentre son film autour du parcours infernal du personnage d’Erin. TCM la voit ainsi se confronter, au cours de sa fuite impossible, à ce que sont devenus ses amis ; contrairement à l’original, l’implication de l’héroïne dans leur mort ou leur survie est à chaque fois capitale. Si Marilyn Burns était une (fabuleuse) victime, la délicieuse Jessica Biel est une victime "enrichie", en ce sens où le film lui impose de plus de devenir l’un de ses vecteurs de violence et d’horreur. Avouez que de nos jours, c’est une variation plutôt osée.
S’il est moins malsain et effrayant que le film de Hooper, intouchable pour l’éternité, TCM est donc une relecture autrement plus brutale du mythe de Leatherface. Sec, violent, habilement réalisé sans jamais cédé aux effets de surprise "surround", ce Massacre à la tronçonneuse cru 2003 (tout de même teinté Michael Bay au niveau du rendu splendide des images) est sans la moindre hésitation une véritable réussite, un hommage filial à la fois semblable et foncièrement autre (exit notamment le cannibalisme explicite et le mobilier osseux). Doublé, de plus, de l’un des films les plus agressifs sortis sur grand écran depuis bien longtemps. Et bien ça, pour une surprise...
On peut donc souhaiter au Dawn of the Dead revu par Zack Snyder de jouir d’une telle réussite ; mais l’on peut aussi souhaiter aux nouvelles générations, tout de même, d’utiliser leurs talents au service d’une inspiration renouvelée. Car il serait peut-être temps que le "retour aux sources" ne se conclue plus systématiquement par un recours au remake, non ?
Date de sortie en France : le 21 janvier 2004.
[1] La vérité bien entendu est ailleurs, et si l’on doit trouver une filiation à la famille de Thomas ’Leatherface’ Hewitt (rien à voir avec Jennifer Love, rassurez-vous !), c’est du côté du tueur en série Ed Gein qu’il faut la chercher. Cannibale révélé en 1957, Gein et ses abats jour faits de peau humaine ont par ailleurs servi d’inspiration à Hitchcock pour le personnage de Norman Bates dans Psycho. En guise d’ "hommage" indirect à nos amis les anthropophages, le petit ami d’Erin dans TCM emprunte son prénom à Ed Kemper, autre tueur en série "célèbre"...


