The TV Set
Destruction du processus créatif.
C’est la saison des pilotes aux Etats-Unis. Non, je ne parle pas ici de course automobile mais de petite lucarne ; à l’heure où les experts en tous genres et autres urgentistes rapportent des millions à leurs producteurs / diffuseurs, la quête du nouveau hit hebdomadaire est devenu une espèce de Graal frénétique. Plusieurs centaines de projets sont à l’étude chaque année, une fraction sont choisis pour être produits, une fraction de cette fraction sont choisis pour la diffusion, et, enfin, une fraction de cette fraction ont le bonheur de devenir des séries à proprement parler. Sans parler du fait que la plupart n’arrivent pas au terme de leur première saison et sont annulées en cours de route [1]... Toujours est-il qu’au terme de ce processus de sélection et d’affinage dicté par une pléthore d’analyses, comparatifs et statistiques, on est en droit de se demander ce qu’il reste des projets initiaux. Une question que se pose justement Jake Kasdan - oui, c’est l’un des fils de Lawrence - au travers de ce portrait cinglant de la destruction méthodique de l’oeuvre d’un malheureux scénariste incarné par David Duchovny.
Mike Klein est un homme comblé - si l’on excepte le mal de dos qui le taraude : le scénario sur lequel il travaille depuis 15 ans est en passe de devenir un pilote de série télé. Le tableau se noircit pourtant à l’approche du tournage, à chaque confrontation créative avec Lenny (Sigourney Weaver) et son nouveau directeur du Prime Time, un anglais fraîchement importé du nom de Richard McCallister (Ioan Gruffudd, aka Mr Fantastique), ainsi que l’illustre l’audition du rôle principal des Chroniques de Wexler qui débouche sur le choix d’un acteur que Mike ne supporte pas. Une opposition qui résume bien la problématique du film : alors que Mike tente de livrer une oeuvre subtile, teintée de noirceur et tout en décalage, ses producteurs désirent lever toute ambiguïté, ne pas plomber le moral de spectateurs qui changent visiblement de scène à la seule mention du suicide, et les faire rire plus gras que la plateau qu’ils dégustent en découvrant le programme...
"Et si le frère ne se suicidait pas ?"
Cette interrogation de l’infâme productrice savoureusement campée par Sigourney Weaver (riche en enseignements de l’accabit de "une épouse n’est pas forcément compatible avec une grille des programmes") va incarner tout le long du film la perte de contrôle du créateur sur sa création. Au travers de scènes bien choisies, peu nombreuses et assez longues, Jake Kasdan s’attarde sur les détails qui plombent le processus créatif télévisuel, des velléités des réalisateurs à l’autonomie incontrôlable des acteurs, en passant par les contraintes budgétaires et autres interventions en post-production. Et Mike - interprété par un Duchovny fantastique de frustration, résignation et honte -, contre sa volonté - ou plutôt dans la seule volonté de continuer à travailler - de se retrouver père acclamé d’une série lourdingue avec des soulignements sonores à la Troma, pets compris. The TV Set est étrangement construit, avant tout écrit plus que réalisé, sorte de sketche arythmique sans objectif narratif que l’on puisse réellement relier à un protagoniste humain (puisque le personnage principal est la série de Mike), mais remplit son contrat avec un talent fortement cérébré... et juste bien que déprimant. Car la question se pose tout de même, de savoir si Lenny ne rend pas un service, profesionnel a défaut d’être personnel, au scénariste en lui donnant un cadre d’expression où conquérir la fortune et la gloire, plutôt que de le laisser mener sa vision à bien pour qu’elle n’aboutisse jamais... Détail amusant qui prolonge involontairement l’analyse latente du film : sur le site IMDB, le premier mot-clé qui caractérise The TV Set à l’heure où j’écris ces lignes est "Fart" [2]. Voilà qui répond, a priori, à la question posée quelques lignes plus haut : ces gens-là connaissent leur public.
Bien que déjà diffusé à la télé sur une chaîne cryptée, The TV Set devrait un jour sortir sur nos écrans.
[1] Souvent les meilleures d’ailleurs. Une petite pensée pour Carla Gugino : Karen Sisco ? Threshold ?
[2] Pet en anglais.



