The Vanished
Toile de jute et enfants vides.
Si la littérature générale japonaise contemporaine s’est bien installée dans nos librairies avec les deux Murakami et autres Ogawa, on ne peut pas en dire autant des ouvrages de genre. Certes, Kôji Suzuki a connu l’honneur de quelques traductions rapides pour surfer sur le succès de Ring ; toutefois un grand représentant du genre manque encore cruellement à l’appel : Hideyuki Kikuchi. Maître du fantastique à qui l’on doit l’univers de Vampire Hunter D (une vingtaine de tomes à ce jour [1]), Kikuchi est à l’origine de nombreux succès de l’animation des dernières décennies (Wiked City, Demon City et bien entendu Vampire Hunter D et Bloodlust). The Vanished constitue, à ma connaissance, la première adaptation de l’un de ses textes en live depuis celle de Wicked City par le hongkongais Tai Kit Mak en 1992.
Souta est journaliste pour une version nippone d’Infos du monde. Las d’inventer de toutes pièces des chroniques à sensation, il accepte à contre-cœur d’enquêter sur le décès d’un enfant, dont l’autopsie post-noyade a révélé une inconsistance ahurissante : l’absence chez celui-ci, du moindre organe. Pour le médecin légiste, le trouble vient du fait que ceux-ci ne semblent pas avoir été retirés, mais n’avoir jamais été là du tout... Souta, déjà perplexe, est de plus témoin de la résurrection de ce défunt improbable, qui s’échappe de la morgue. En suivant la trace de cet enfant dénommé Shin Uchida, il découvre une bien étrange affaire. Dans un village éloigné, une trentaine d’enfants ont disparu trois décennies auparavant, au cour d’une excursion en montagne, pour ne jamais réapparaître. Shin faisait partie de ce groupe... Sur place, Souta fait équipe avec une fonctionnaire municipale, Fumio, pour tenter de percer le mystère d’une ville fantôme, dans laquelle réapparaissent les enfants disparus, sans avoir vieilli le moins du monde.
The Vanished s’ouvre sur une scène extrêmement déstabilisante : un petit garçon qui tente de rentrer chez lui, se voit ignoré par un vieil homme, habitant des lieux. Enlevé par un autre homme, il se retrouve enfermé dans une caisse avec un sac en toile de jute sur la tête, puis parvient à s’enfuir en attaquant son agresseur. Déambulant à l’aveugle sur un pont, toujours coiffé du sac, il s’écroule vingt mètres plus bas. Lorsque son ravisseur rejoint le point de chute pourtant, rien d’autre que du sang.
En quelques minutes, Makoto Tanaka installe le spectateur dans un climat étrange sans rien laisser paraître. Pas d’effets de montage ou de manipulation sonore ; le réalisateur filme simplement la scène comme si le décès d’un enfant coiffé de jute était une chose normale, un non-évènement. L’impact du corps s’en retrouve démultiplié, et l’on ne peut réprimer un geste d’effroi au terme de cette ouverture.
Même quand l’on retrouve Shin sur la table du médecin légiste et que le fantastique s’installe de façon thématique, Tanaka persiste à dénuer son film de la moindre teinte explicitement horrifique. Un artifice (ou l’absence de) qui ne fait que renforcer l’étrangeté de l’ensemble ; d’autant que le personnage de Souta, témoin bon enfant, se laisse porter par ces faits absurdes, sans manifester surprise ni émotion. On se glisse rapidement dans la peau de ce personnage, se plie à son incroyable capacité d’adaptation. Une symbiose qui facilite le travail du réalisateur puisque, ce faisant, on accepte comme Souta de ne pas anticiper la narration, et de rester ainsi vulnérable à l’assaut de ces effrayantes enveloppes infantiles.
Il s’avère que le fin mot de l’histoire, abstrait, n’a rien de foncièrement original. Dans la bibliographie de Kikuchi d’ailleurs, on trouve une histoire similaire dans le pitch du second roman du dhampir D, Raiser of Gales. Son traitement toutefois, dans une économie volontaire d’effets et de mises en exergue, fait de The Vanished une expérience inhabituelle, alternative terrifiante à notre normalité. Toshihiro Wada, l’interprète de Souta, est dans son manque d’expressions l’un des atouts de cette fausse banalité. Face à lui, on retiendra la remarquablement belle Yôko Maki dans le rôle de Fumio ; même si son personnage est moins présent, faute à sa réaction trop marquée aux évènements surnaturels, propre à modifier la nature pernicieuse de cette expérience.
The Vanished est disponible en VCD HK sous-titré anglais, au format mais dans une copie pas toujours très définie. Dispo aussi en DVD HK, ainsi qu’en DVD japonais (sans sous-titres).
[1] La série paraît depuis quelques années en anglais chez Dark Horse Press, illustrée, comme les ouvrages originaux, par Yoshitaka Amano (dix tomes parus à ce jour).




