Torakku Yarô - Otoko Ippiki Momojirô
Les routiers sont sympas !!!
Deux joyeux lurons arpentent les routes du Japon de long en large à bord de leur énorme camion. Alcoolos et obsédés notoires, nos deux bons vivants aiment faire la fête et sèment la zizanie partout où ils passent. Tout va bien dans le joyeux foutoir chaotique qui leur sert de vie, jusqu’au jour où l’un de nos deux compères, Momojirô, tombe fou amoureux de la jeune et jolie Masako... Il tente tout pour la séduire, avant de découvrir qu’elle en aime un autre. Qu’à cela ne tienne, notre routier haut en couleur va tout faire pour que la jeune femme puisse retrouver celui qu’elle aime...
Dans le Japon des 70’s, la série des Torakku Yarô est une... institution ! Avec dix films sortis sur une courte période de cinq ans - du premier Goiken Muyô, sorti le 30 Août 1975, au dixième Furusato to Kyûbin, sorti quant à lui le 22 Décembre 1979 -, à raison de deux épisodes par an "programmés", sans exception, au mois d’Août et au mois de Décembre, les aventures de nos deux routiers vont passionner toute une génération de petits et grands "enfants"... Derrière cet attrait fort sympathique, se cache un coup marketing finement calculé par les cadres de la Toei, bien évidemment... oui mais, derrière cet habile calcul pour renflouer les caisses du studio se cache un véritable artisan, catapulté dans un univers qui n’est à priori pas le sien... mais qui va le devenir, pour notre plus grand plaisir ! Cet homme providentiel, ce messie du septième art, c’est Norifumi Suzuki...
...et hop, entrons dans le vif du sujet ! Otoko Ippiki Momojirô, sixième "épisode" de la série est aux dires de certains critiques nippons, celui qui contient le plus de péripéties, en même temps qu’une certaine extravagance... oui, ben le mot est faible ! Nous sommes en présence d’une espèce d’ovni cinématographique complètement barré, à mille lieues de tout ce qu’il peut laisser présager... au premier abord ! Ca commence direct avec nos deux compères à bord de leur engin "énaurme" ; Momojirô voit de jolies jeunes collégiennes courir le long de la route. Tandis que ses yeux se bloquent sur leur buruma (vous savez bien, ces petits shorts bleu marines très... près du corps !) et que l’excitation le gagne, une soudaine envie pressante l’assaille ; que faire ?! Une bouteille vide et hop, le tour est joué... je suppose que vous ne serez pas étonné une seule seconde si je vous dis qu’une fois sa petite commission terminée, Momo-chan offre de bon cœur sa bouteille inopinément remplie à un représentant des forces de l’ordre qui s’empresse de la boire ?!...ça vous rappelle quelque chose ?... oui, à moi aussi (mais j’adore Dumb & Dumber, donc je ne dirai rien !)... Tout ça en à peine deux minutes chrono en main ?!... Oui, c’est indéniable, nous sommes bien loin de Sukeban (1973), Le Couvent de la Bête Sacrée (Seiju Gakuen /1974) ou encore Beautiful Girl Hunter (Dabide no Hoshi - Bishoujogari /1979), mais que voulez vous, tant qu’il y a du plaisir !
...et pendant près d’une heure quarante-cinq, Suzuki s’en donne à cœur-joie (ça, c’est incontestable !) dans le politiquement incorrect, passant de la grosse farce qui tache au drame passionnel en un claquement de doigt... du grand art ! Les moments forts sont tellement nombreux que je pourrais en remplir des pages et des pages. Allez, au hasard... comment résister à Momo-chan qui, battu par la jolie Masako au Kendo, part s’entraîner tel Musashi - tenue à l’appui ! - pendant des jours et des nuits dans une forêt hostile ? Comment résister à ces scènes de bastons outrancières dont la démesure n’a d’égale que le comique affiché d’une mise en scène totalement barrée ?! Ou encore à ce concours où nos héros doivent ingurgiter des tonnes de mochi (en deux mots, pour ne pas m’étaler, il s’agit d’une pâte de riz gluant très... collante !), ou au plaisir de voir Momo-chan pourvu d’un ventre énorme, justement à cause de cet imbécile concours ?!!...
A la vision de cet Otoko Ippiki Momojirô, le spectateur est en droit de se demander si le metteur en scène est sain d’esprit... il va de soi que non ! Norifumi Suzuki se joue de toutes les contraintes en expérimentant tout au long du film, puisque même dans les - rares - moments calmes, il ne peut s’empêcher de zoomer et dézoomer en bougeant la caméra dans tous les sens... nous y voilà ! Il est clair que pour ce type de réalisateur, ce genre de pur "produit" de studio est une terrain d’expérimentation idéal... Mais en dehors du côté ludique de la chose, Suzuki s’amuse à mettre à mal ses anti-héros, en les affublant de tenues frôlant parfois le ridicule, sans parler de leur comportement qui même lorsqu’il est "sérieux", sombre dans la pose outrancière (Aahhh Tomisaburô...) !
Au générique de ce somment du kitsch, sorte de réponse hardcore au très propret et anthologique Otoko wa Tsurai Yo (48 épisodes tournés entre 1969 et 1995), l’excellent Bunta Sugawara (Jingi Naki Tatakai, Taiyô wo Nusunda Otoko) qui laisse éclater un jeu tout en finesse... heu... non, pardon ! Sugawara cabotine, surjoue, se ridiculise de manière éhontée... pour un résultat tout simplement génial, surprenant et inattendu ! A ses côtés, son compère dans les dix épisodes, j’ai nommé Kinya Aikawa (Saraba, Wagatomo - Jitsuroku Ômono Shikeishûtachi, Gokudo no Onnatachi - Kejime - il est également le doubleur attitré de Kamesennin dans Dragon Ball), un peu plus en retrait que son acolyte - cet épisode se focalisant sur Momo-chan - mais suffisamment présent pour nous faire rire de bon cœur ! Egalement bien présent, comment ne pas applaudir des deux mains l’immense Tomisaburô Wakayama (Kozure Ôkami, Ôte) qui nous offre une prestation et un look (casquette/ moustache, ça le fait toujours !) digne d’entrer dans l’anthologie du cinéma en dix volumes !
Aux côtés de ces trois gaillards, le guest de l’épisode, la jolie Masako Natsune, actrice que l’on a pu voir notamment chez Hideo Gosha dans le magnifique Kiryuuin Hanako no Shougai, ou encore dans Nankyoku Monogatari (Koreyoshi Kurahara /1983) et Jidaiya no Nyobo (Azuma Morisaki /1983). Masako apporte au film une certaine fraîcheur, en même temps qu’un brin de mélancolie qui se dégage du regard intense de cette actrice disparue trop tôt, emportée par une leucémie foudroyante à l’âge de vingt-sept ans...
Shôgatsu eiga (film de fin d’année) typique des 70’s, Torakku Yarô - Otoko Ippiki Momojirô nous transporte dans son univers coloré, joyeusement bordélique et ouvertement parodique. Norifumi Suzuki s’offre un exutoire jouissif, limite surréaliste, et totalement déjanté... Cascades dingues, mise en scène sans queue ni tête - ou plutôt un joli foutoir organisé -, mais également de beaux sentiments grâce à nos deux (anti)héros, des bourrins bagarreurs au cœur tendre, cabotins ultra sympathiques, lourdingues et attendrissants, bref Otoko Ippiki Momojirô est un instant de pur bonheur sans prise de tête, un film finalement assez typique d’une époque... Torakku Yarô ?! koufuku daze !!! [1]
Uniquement en VHS au Japon... en attendant une - quasi certaine - sortie en DVD !
Mini-site Officiel de la Toei consacré à nos 2 routiers: http://www2.toei.co.jp/cq
Les géniales musiques des 10 épisodes de Torakku Yarô sont disponibles sur 3 CD (Sugawara Bunta Shuensakuhin Shirîzu - Torakku Yarô Shirîzu) édités par la Toei (réf. ABCS-1034/1037/1038).
[1] Les mecs en camions ?! c’est l’bonheur !!!




