Sancho does Asia, cinémas d'Asie et d'ailleurs
Japon

United Red Army

aka The Red Army - United Red Army - The Path to Asama Mountain Lodge - Jitsuroku rengô sekigun : Asama sansô e no michi - 実録・連合赤軍 あさま山荘への道程 | Japon | 2007 | Un film de Koji Wakamatsu | Avec Go Jibiki, Akie Namiki, Maki Sakai, Arata, Maria Abe, Anri Ban, Kenji Date, Yuki Fujii, Len Hisa, Megumi Ichinose, Keigo Kasuya, Junpei Kawa, Etsuko Kizen, Chie Kôzu, Genji Kuroi, Sentaro Kusakabe, Makoto Miyahara, Akiko Monou, Hideo Nakaizumi, Nao Okabe, Erika Okuda, Kaoru Okunuki, Nobumitsu Ônishi, Shima Onishi, Tak Sakaguchi, Yugo Saso, Yasuko Tajima, Hassei Takano, Nobuya Tamaichi, Soran Tamoto, Kazuki Tsujimoto, Takaki Uda, Naoki Yamamoto, Yoshio Harada

Le pleur ravalé s’envole au crépuscule.
Le rayonnement du soleil est aussi très triste.

Même le bruit du vent ...
transperce un cœur de pierre.

Parfait pour une joue brûlante,
un lit d’asphalte glacé.

Je n’ai pas besoin d’une aiguille en argent
pour rapiécer un drapeau effiloché.

Je limerai mes ongles dans l’obscurité.
Notre champ de bataille est ici.

Un front silencieux.
Un sanglot s’envole au crépuscule

dans les rues, à l’aube,
A la réussite de notre transaction !

Des feuilles flottent dans le vent.
Je lance une petite flamme

vers le sang cramoisi clair
dans n’importe quel champ vide.

Brûlez le crépuscule !
Brûlez les rues au crépuscule !

Ceci est un incendie. Ô flamme, ici ...
Ici est notre champ de bataille.

Ceci est un incendie. Ô flamme, ici ...
Ô flamme, ici est notre champ de bataille.
 [1]

Les Années Rouges ou un cinéaste aux prises avec le réel.

Plus qu’aucun autre, le cinéma de Koji Wakamatsu, se trouve intimement lié aux soubresauts politiques et sociaux qui ont agité le Japon de 1960 au début des années 70. Grand parrain du pinku eiga politique, le cinéaste a depuis la fin des années 70 quitté la confidentialité d’un genre qui l’a longtemps marginalisé au sein de l’industrie cinématographique locale. L’importance de sa contribution à l’histoire du cinéma japonais, toujours sous-estimée, est en passe d’être reconnue à sa juste valeur : celle d’un pionnier s’étant joué des contraintes d’un genre, doublé d’un auteur qui n’a eu de cesse de conjuguer engagement artistique et politique, sans compromis.

Après être revenu tout récemment à un cinéma résolument anti-commercial avec le touchant Cycling Chronicles (2004), introspection du désespoir d’une jeunesse incomprise, à travers son film le plus abstrait ; le cinéaste âgé aujourd’hui de soixante-douze ans semble toujours animé d’un engagement inaltérable. N’ayant pas hésité à s’endetter lourdement pour la réalisation de son dernier projet, film fleuve de plus de trois heures, sans compter la destruction de sa propre maison secondaire pour les besoins du tournage. Wakamatsu revient donc avec United Red Army sur douze années de luttes radicales étudiantes, ayant ébranlé le pouvoir politique du pays de 1960 à 1972. Il emboîte ainsi le pas à son compagnon d’arme et fidèle scénariste, Masao Adachi venant de signer son grand retour derrière la caméra après trois décennies d’absence, livrant un regard rétrospectif sur trente-cinq ans d’activisme, avec le controversé et provocant Yûheisha - terorisuto (2007), récit de l’emprisonnement de Kozo Okamoto [2].

Les violents bouleversements qui ont secoué l’Europe soixante-huitarde des Brigades rouges des années de plomb italiennes, constituant la toile de fond du réjouissant Romanzo criminale (2006) de Michele Placido, ou encore ceux de la Fraction armée rouge allemande et sa bande à Baader récemment évoqués dans le portrait du polémique et mystérieux Jacques Vergès de L’Avocat de la terreur (2007) de Barbet Schroeder, sont des épisodes biens connus du monde occidental. En revanche les années rouges de l’archipel, qui ont pourtant atteint un degré de violence bien supérieur à certains égards, ayant profondément marqué l’inconscient collectif japonais, sont relativement peu évoquées en occident, tout autant qu’au Japon même, où une jeunesse apathique et gavée à la culture J-pop est maintenue dans un état d’ignorance, face à l’amnésie collective d’un establishment en plein regain nationaliste, peu enclin à réveiller ses vieux démons.

C’est à travers United Red Army, véritable film testament en forme de docu-fiction épousant la tradition du Jitsuroku, que le chantre du “cinéma guérilla” entreprend de retracer l’histoire du Gakusei undo (mouvements contestataires étudiants, 学生運動), tout en faisant la lumière sur l’un des événements médiatiques les plus traumatisants du Japon d’après-guerre, « L’affaire du chalet d’Asama » (Asama Sansô Jiken, あさま山荘事件).

Afin de saisir l’enjeu qu’un tel film revêt pour le cinéaste, à l’heure d’un réexamen général de l’héritage militant, la contextualisation du cinéma de Wakamatsu apparaît comme une étape nécessaire à l’appréhension des enjeux d’un métrage, dont le questionnement revêt une importance particulière, à l’aune de notre ère totalisante ayant depuis longtemps fait le deuil des idéologies.

Bien que la vague contestataire n’épargna aucune des sociétés industrialisées, les caractéristiques du mai 68 nippon comportent des attributs uniques. Son origine remontant aux conditions particulières dans lesquelles s’est développé le pays après la défaite de 1945, aux choix discutables du parti communiste japonais, et aux rapports entre le Japon et les États-Unis après le retour à l’indépendance en 1952. Cette situation fit le lit de la naissance d’une nouvelle gauche, en rupture manifeste avec le parti communiste japonais, accusé de rigidité et de Stalinisme.

United Red Army s’ouvre en pleine effervescence des manifestations contre la signature du nouveau traité de sécurité nippo-américain (ANPO) en 1960, marquée par la mort tragique d’une étudiante de l’université de Tokyo devant le bâtiment de la Diète, Michiko Kanba, le 15 juin 1960. Détaillant les multiples épisodes de la contestation populaire qui gagna peu à peu la majorité des universités du pays, le cinéaste, par le truchement de la voix virile et posée de l’emblématique Yoshio Harrada, acteur et fidèle compagnon du cinéaste, doublé d’un compendium précis d’images d’archives au montage dynamique, dresse un portrait effarant de l’attitude répressive adoptée alors par le pouvoir politique en place, amorçant le terrain d’une compréhension des origines de la radicalisation étudiante.

Cette radicalisation qui s’exprime à travers la puissante Zengakuren (ligue nationale des étudiants, 全学連) se fissure en une multitude de groupes radicaux de gauches, reconnaissables à leur casques de couleurs [3], signe de leur obédience politique. Dans le courant des années 60, la mobilisation de la jeunesse fut sans précédent, stimulée par de nombreuses causes qui agitaient la société japonaise de l’époque : opposition à la guerre du Vietnam (très médiatisée dans l’archipel), protestation contre la construction du nouvel aéroport de Narita et ses combats contre les expropriations des paysans de Sanrizuka (largement documentées par le cinéaste Shinsuke Ogawa), les mouvements anti-pollution … ; et surtout, la prorogation du traité de sécurité nippo-americain (ANPO) de 1970, qui cristallisa le combat radical étudiant.

C’est à partir de 1967 que la contestation gagne progressivement l’ensemble des universités du pays, amplifiée par le scandale financier à l’université Nichidai, la plus grande université de Tokyo, en 1968. L’un des événements symboles de l’embrasement étant l’occupation de l’université Tôdaï (Université de Tôkyô, emblème des élites nationales) entre janvier 1969 et février 1970, se soldant malheureusement par une violente répression, marquant l’échec du mouvement, et poussant une partie des étudiants à se radicaliser davantage. C’est donc dans ce contexte d’extrême tension doublé d’une pression policière répressive accrue, que les étudiants les plus radicaux, forment la Faction armée rouge (Sekigun-ha, 赤軍派). A l’image de son fondateur historique, Takaya Shiomi interprété par le bouillonnant Tak Sakaguchi (Versus, Battlefield Baseball, Death Trance), ils sont décidés à prendre les armes. Les radicaux affublés des fameux casques rouges (signe de leur obédience Maoïste) entrent alors en clandestinité. De nombreux attentats contre la police, et autres coups d’éclats meurtriers ponctuent ainsi l’année 1970 qui, malgré les manifestations de masse, voit la prorogation automatique du traité ANPO le 22 juin 1970.

En 1971 les luttes intestines aboutissent à la scission de la faction Armée rouge en deux branches : l’Armée rouge unifiée (Rengô sekigun, 連合赤軍), et sa branche internationaliste, l’Armée rouge japonaise (Nihon sekigun, 日本赤軍), emmenée par Fusako Shigenobu surnommée « la reine rouge », dont le cinéaste conserve une affection particulière suite à son séjour en Palestine. Cette dernière quitte le Japon pour rejoindre les camps d’entraînements du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) de Georges Habache, où la rejoindront quelques mois après les cinéastes Masao Adachi et Koji Wakamatsu pour tourner le documentaire agitprop Armée Rouge - Front de Libération Palestinien - Déclaration de guerre mondiale (1971). Au Japon, la fin tragique du mouvement radical étudiant est marquée par « l’affaire du chalet d’Asama », dans laquelle, en février 1972, se déroule une prise d’otage retentissante aboutissant à l’arrestation des derniers membres de l’Armée rouge unifiée et à la découverte de 14 de leurs camarades décédés dans d’atroces circonstances, suite à des purges internes au mouvement, au travers d’une spirale ritualisée de violence incontrôlée.

Préalablement documenté par le théâtral Hikari no Ame (Rain of Light, 2001), de l’ancien protégé de Wakamatsu le réalisateur pink Takahashi Banmei, et occupant toute la dernière partie de l’œuvre, cet événement fût à l’époque retransmis en direct par toutes les télévisions du pays et provoqua le plus important déploiement de forces policières jamais mobilisé dans l’archipel. Sa sur-médiatisation largement évoquée dans le partisan Totsunyuseyo ! Asama Sanso Jiken (The Choice of Hercules, 2002) de Masato Harada, célébrant certes l’institution policière, mais non exempte de critique vis à vis de l’absurdité d’un système hiérarchique paralysant ; provoqua une véritable onde de choc dévastatrice pour la gauche, qui demeura anéantie sous les décombres du chalet d’Asama durant de longues décennies. Le cinéaste confiant volontiers (lire l’interview du réalisateur) la persistance toujours actuelle des traces de cet épisode, dans l’incapacité des japonais à manifester une quelconque opposition envers la politique du gouvernement dominant. La position du Japon envers la guerre en Irak est à ce titre symptomatique, et les rares critiques, voir le cas de Bashing (2005) de Masahiro Kobayashi, y trouvent bien peu d’échos.

Depuis L’Amour derrière les murs (1965) où plane l’ombre d’Hiroshima et la critique du parti communiste japonais, à L’Extase des Anges (1972), film le plus audacieux jamais co-produit par l’ATG (Art Theater Guild), et manifeste révolutionnaire poétique inouï, l’évolution de l’œuvre du cinéaste épouse un cheminement parallèle à la vigueur des contestations estudiantines allant crescendo, démontrant une conscience aiguë des enjeux sociétaux qui se jouaient alors, tout autant qu’une réelle sympathie, pour une génération en rupture avec un passé coupable, et en quête de changement. Une génération malheureusement prédestinée au formatage propre à alimenter les desseins d’entreprises mastodontes aux visées économiques impérialistes.

La véritable force du cinéaste de l’underground est d’avoir su capter l’air de son temps. Grâce à un système de production aux contraintes budgétaires dérisoires, à des délais de tournage extrêmement courts, et a une totale liberté d’écriture, celui-ci colle au plus près de la réalité de son époque. Œuvrant pourtant dans la fiction du genre pinku, cela n’empêche pas l’auteur de réagir, tel un jazzman improvisateur, aux événements en temps réel.

Ainsi, juste après l’attentat au poste de police de Shinjuku, le 24 décembre 1971, il demande à son scénariste Masao Adachi la réécriture complète du script de L’Exstase des Anges. Sex Jack (1970) se déroule avec en toile de fond le premier détournement d’avion au Japon, effectué par des membres de la Faction armée rouge (appelé groupe Yodogo) le 31 mars 1970, emmené par Takamaro Tamiya [4]. Le héros de La Saison de la Terreur (1969) se fait exploser à l’aéroport de Haneda à la toute fin du film, symbole des protestations étudiantes contre le départ du premier ministre Satô pour le Viêtnam en 1967. Les exemples de cette nature abondent dans l’œuvre pléthorique du cinéaste.

Quand il ne met pas directement en scène l’actualité brûlante de l’archipel, il se penche sur les phénomènes sociaux, décryptant le mal-être d’une jeunesse en perte de repères dans Vierge violée cherche étudiant révolté (1969). Usant de faits divers emblématiques, tel que le meurtre des huit étudiantes-nourrices à Chicago par le tueur en série Richard Speck, comme source d’inspiration de l’un de ses joyaux, Les Anges Violés (1967), il offre un portait sans fards de l’inadéquation d’une jeunesse au prise avec une « société camisole de force ». D’une rare acuité, doublée d’une cruauté objective, la violence du cinéma de Wakamatsu se révèle être un prisme réflecteur de la répression d’une société intransigeante et castratrice de toute forme d’individualité, tout autant que le miroir violent d’une jeunesse en quête désespérée de changement.

D’un cinéma pinku à un cinéma comme arme politique, Wakamatsu aura laissé une trace indélébile sur ces années rouges, non sans influences, sur le paysage cinématographique nippon, réclamant aujourd’hui une relecture à l’aube d’une historicisation récente du mai 68 japonais.

C’est donc dans ce contexte particulier qu’il convient d’apprécier l’effort entrepris avec United Red Army pour restaurer une vérité historique, celle que l’auteur a personnellement recueillie auprès de Kunio Bando [5] il y a maintenant plusieurs années ; tout autant que nous interroger sur les origines d‘une dérive meurtrière. S’il convient de mettre en perspective United Red Army avec son œuvre des années rouges, c’est avant tout avec L’Extase des Anges qu’il convient de le faire, chef-d’œuvre visionnaire du maître dont il reprend ; non sans une certaine ambiguïté nostalgique, la chanson emblématique d’ouverture « Ici est le front silencieux », lors de la rencontre entre Mieko Toyama (Maki Sakai) et Fusako Shigenobu (Anri Ban), en plein questionnement sur l’avenir et le sens à donner à leur engagement radical. La chanson se termine d’ailleurs ironiquement sur la première apparition d’Hiroko Nagata à l’écran, brillamment interprétée par Akie Namiki, dont la troublante ressemblance avec son personnage accentue l’intensité de jeu.

Bien que non directement lié aux événements tragiques des purges d’Asama, Wakamatsu mettait déjà en scène l’auto-destruction d’un groupuscule faisant sécession par désir d’accomplissement dans l’action armée. L’aveuglement du leader du groupe des Quatre Saisons (Ken Yoshizawa) pouvant se lire comme une métaphore de celui dirigé par Tsuneo Mori (Go Jibiki) et Yoko Nagata. Par ailleurs, l’auteur y décrit parallèlement et pour la première fois, la manipulation et la prise de pouvoir au sein de l’organisation par une femme, au travers de l’instrumentalisation de sa sexualité. Cette prise de pouvoir féminine ne s’avérait-elle pas davantage qu’un symbole à la lumière des relations troublent qu’entretenaient les deux co-leaders de l’Armée rouge unifiée ? Cette relation, très brièvement évoquée par un plan de coupe vers la fin du film montrant les deux leaders après avoir quitté le groupe, dans un lit d’une chambre d’hôtel peu avant leur arrestation, jette un trouble sur la dérive autodestructrice du groupuscule, sans oublier le rôle de Nagata réprimant toute forme de féminité apparente chez les jeunes étudiantes activistes.

Mais si L’Extase des Anges prônait la destruction de l’état, United Red Army se veut une relecture objective et distanciée des événements survenus dans la froideur et la rudesse des camps de montagne. Dépouillé de tout le discours propagandiste de Armée Rouge déclaration de guerre mondiale, F.P.L.P., l’auteur souhaite avant tout expliquer les raisons d’un dérapage, sans pour autant en absoudre les auteurs. Aussi prend-il le temps de rétablir la chronologie précise des faits aux travers d’images d’archives richement documentées, en montrant l’éclatement progressif de la Faction armée rouge suite à la pression policière. Et quand les éléments d’archives viennent à manquer, celui-ci reconstitue dans une sobriété sans éclats ni spectacle, les faits historiques. Cette distance qu’il s’impose, et qui permet de rendre compte plutôt que de juger, est le signe manifeste d’un auteur en quête d’introspection vis à vis d’un idéalisme de jeunesse, ayant gagné en maturité et en sagesse ce qu’il a perdu en souffle créatif et en bouillonnement.

United Red Army n’est pas pour autant un échec, bien au contraire. Dans sa forme narrative classique, et malgré sa longueur excessive, le spectateur est invité à revivre ce tourbillon de révoltes sans temps morts ; le cinéaste optant pour un montage efficace et un rythme soutenu tout en maintenant une tension palpable qui ira crescendo. La légèreté et l’énergie avec laquelle il filme certaines scènes d’action, dont la prise d’otage, précédée de contemplatifs instants lors des marches lentes en pleine tempête de neige, métaphore de l’aveuglement du groupe, rehaussés par la musique sublime de Jim O’Rourke [6], constamment présente mais jamais envahissante, démontre qu’il n’a pas perdu un style “guérilla” qui faisait l’essence de son cinéma... un cinéma du mouvement et du chaos par dessus tout.

Si le portrait d’Hiroko Nagata, dont l’interprétation puissante, à la mesure du personnage, est réussie, on regrettera la description trop superficielle de Fusako Shigenobu survolant le métrage, et dont la ravissante Anri Ban se montre peu crédible, face au poids de l’emblématique figure incarnée par la « reine rouge », dont la médiatique arrestation en novembre 2000 à Osaka, exerce toujours une grande fascination. Il est d’ailleurs stupéfiant de constater que dans les deux cas - l’Armée rouge unifiée et l’Armée rouge japonaise - le pouvoir ultime fût exercé par des femmes, suprême paradoxe japonais. Si dans le premier cas celui-ci est du pour partie à la défection de ses leaders emblématiques et à leur emprisonnement [7], dans le second, l’ancienne employée de Kikkôman, en fît l’acquisition légitime par une réelle détermination doublée d’une grande intelligence.

Même si le réalisateur tente de masquer toute subjectivité, on tend néanmoins à percevoir au final Nagata comme l’être démoniaque que la presse japonaise s’était employée à décrire, au détriment de son engagement politique. Celle d’un être jaloux, cruel et machiavélique, mais la réalité ne serait-elle pas plus complexe ? Certes la séquence au cours de laquelle elle annonce sa volonté de rompre avec Sakaguchi tempère ce jugement, lui restituant une part d’humanité, mais pour s’en assurer il aurait fallu pouvoir aborder l’histoire individuelle du personnage, objectif qu’un unique métrage, dont l’ambition s’attache avant tout à décrire un destin collectif, rend parfaitement irréaliste.

La violence des tortures générées par l’autorité conjointe de Mori et Nagata enjoignant les membres de l’organisation aux convictions d’apparence les plus faibles, à faire leur autocritique est montrée de façon froide, évitant le sensationnalisme, bien loin des débordements outranciers de Kichiku (1997). Le registre obituaire tenu par le cinéaste, à mesure que s’égrènent les morts dont les inscriptions lapidaires s’affichent à l’écran, renforçant la funeste tragédie. Seule l’éprouvante auto flagellation de Toyama au cri déchirant de désespoir, force le trait dramatique ; une disparition qui affecta profondément l’amie lointaine, Fusako Shigenobu.

Cette forme de terreur mimétique semblable aux purges Staliniennes ou Maoïstes prennent un relief particulier dans la géographie confinée des montagnes. Cette obscurité des cabanons éclairés de quelques bougies renforce ce sentiment d’isolement dont on perçoit l’effet catalyseur d’un phénomène particulier : Uchigeba (内ゲバ) ou “destruction de l’intérieur”, qui contamina les leaders dans leur lutte pour la préservation de leur pouvoir. Dans un pays pour lequel l’affirmation de soi relève de l’épreuve, la primauté du groupe tend à éliminer ce qui ne lui ressemble pas. L’incapacité d’expliquer le sens réel d’une autocritique proclamée comme règle, souligne un peu plus la folie contagieuse ayant contaminé l’autorité de la bande, nous confrontant par là même avec notre part d’ombre et d’irrationnel.

A la lumière de ces tortures ayant souillé la pureté des intentions originelles du groupe, le vœux jusqu’au-boutiste des cinq derniers combattants, à l’approche de l’assaut final, résonne comme une rédemption. Rédemption salvatrice face à leur coupable lâcheté, faute paradoxalement bien plus grave que le meurtre, dont le cinéaste livre symboliquement toute la sincère et poignante vérité, par l’entremise du plus jeune des frères Kato, âgé de seize ans à l’époque des faits.

Avec United Red Army, Koji Wakamatsu, en adoptant la perspective d’une jeunesse radicale d’une raisonnable distanciation, montre avec vérisme et acuité la dérive d’un mouvement confronté aux événements historico-politiques qui ont achevé de transposer les velléités impérialistes d’un pays sur le terrain économique, au prix de coupables compromis politiques. Réhabilitant le combat juste contre un état oppressif, d’une jeunesse bouillonnante d’espoir incapable de canaliser son projet révolutionnaire, il démontre la vanité de tout égoïsme, soulignant par là même que la véritable essence du révolutionnaire est dans l’abandon de soi, leçon qu’il nous avait déjà offerte à travers l’enragé Sex Jack.

Interrogeant la jeunesse de son pays en quête d’identité, tout autant que notre conscience politique, à la lumière des changements sociétaux qui bouleversent notre époque, United Red Army marque une étape décisive dans le réexamen d’un héritage occulté des mouvements radicaux étudiants. Une belle preuve salutaire de vitalité de la part d’une des rares voix ouvertement contestataires du paysage cinématographique nippon.

Note : pour approfondir le sujet, à signaler une longue et passionnante interview (en anglais) de la grande spécialiste des mouvement de la nouvelle gauche japonaise des années 60/70, le professeur Patricia Steinhoff :

- part 1 - finding the topic
- part 2 - the birth of a movement
- part 3 - the movement goes underground
- part 4 - the japanese red army
- part 5 - what did it mean ?
- autres sources documentaires

United Red Army a été projeté le vendredi 18 avril au Goethe-Institut de Paris dans le cadre de la reprise de la section Forum international du nouveau cinéma de la Berlinale 2008.

Sortie nationale en salles le 6 mai.

Site officiel : www.united-red-army.com

[1Ici est le front silencieux est une chanson écrite par Masao Adachi et composée par Michiyo Akiyama, interpétée par Rie Yokoyama en ouverture de L’Extase des Anges (1972), et reprise dans United Red Army. Traduction par Shoko Takahashi.

[2Membre de l’Armée Rouge Japonaise et seul survivant des trois auteurs de l’attentat qui fit, le 30 mai 1972, 26 morts et une centaine de blessés dans le hall de l’aéroport de Lod-Tel-Aviv, il vit toujours au Liban où il est considéré comme un héros de la cause arabe.

[3L’extrême variété des groupuscules est telle qu’il est plus que difficile de s’y retrouver même pour un spécialiste, à l’image de cette page (uniquement en japonais) qui, même si elle ressemble à un catalogue Playmobil, fait l’inventaire précis des divers casques, et de leurs appellations respectives.

[4Membre fondateur de la Faction armée rouge et ancien amant de Fusako Shigenobu, il dirige le détournement d’avion vers la Corée du Nord, avant d’intégrer les services secrets nord-coréens.

[5Membre de l’Armée rouge unifiée (Rengô sekigun) et condamné à perpétuité pour le meurtre de deux policiers, il était le tireur d’élite lors de la prise d’otage du chalet d’Asama. Il rejoignit l’Armée rouge japonaise (Nihon sekigun) de Fusako Shigenobu en 1975, à la faveur d’une prise d’otages organisée par l’ARJ. Il est toujours activement recherché.

[6Musicien et producteur phare de la scène alternative et expérimentale de Chicago, il s’est depuis quelques années installé au Japon où il y passe six mois de l’année. Grand amoureux du cinéaste, il a également participé à la musique du dernier film de Masao Adachi, Yûheisha - terorisuto, signée par l’immense Otomo Yoshihide et produite par Atsushi Sasaki (label oto-mo/HEADZ).

[7L’arrestation dans un chalet de montagne de Daibosatsu de 53 membres le 3 novembre 1969 qui préparaient un attentat contre le premier ministre japonais, porta un rude coup à l’organisation amputée de la plupart de ses membres actifs.

- Article paru le vendredi 25 avril 2008

signé Dimitri Ianni

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