Yûsaku Matsuda
La tâche qui m’incombe n’est pas aisée ; tenter de vous faire découvrir l’une des plus grande star du cinéma japonais, qui est un parfait inconnu dans nos contrées. Sato dans Black Rain (Ridley Scott), c’était lui. En une quinzaine d’années, Yûsaku Matsuda réussit à devenir le gendre idéal en même temps que le rebelle dont rêvait d’être chaque japonais. Portrait d’une étoile filante...
Yûsaku Matsuda est né le 25 août 1950 à Shimonoseki (préfecture de Yamaguchi), près d’Hiroshima. Alors âgé de 17 ans, il part vivre chez sa tante à San-Francisco où il entreprend des études à l’université. L’expérience s’avère être éprouvante pour le jeune homme (victime du racisme anti-japonais d’après-guerre, mésentente avec sa tante...). A bout psychologiquement et physiquement, il subit une appendicectomie, si bien qu’il décide de rentrer au Japon... Durant ses années d’université il rejoint une troupe de jeunes acteurs (au sein de laquelle il rencontrera sa première femme). Au printemps de 1972, il passe haut la main l’examen qui lui permet d’entrer dans la très renommée compagnie théâtrale "Bungaku-za".
L’année suivante, il est retenu pour interpréter G-Pan (Blue Jeans), un jeune policier, dans la très populaire série télévisée Taiyo ni hoero. Il quitte ce dorama (de l’anglais "drama") abattu par un malfrat, d’une manière fort remarquée par le public et la profession tant son interprétation est "sublime" (la séquence de sa mort est devenue un classique du petit écran nippon). Toujours en 1973, il décroche le premier rôle d’un film d’action/SF, Ohkami no monsyo, qui narre les méfaits d’un loup-garou sur un campus (Hmm...). Le public s’éprend de Matsuda qui devient la nouvelle "action star" du moment, il se retrouve alors cantonné dans le même style de rôles ; "[...]Yûsaku Matsuda jouait toujours des rôles de jeunes hommes un peu sauvages et à la longue, je trouvais cela lassant. Je sais que dans la vie, il était d’une grande gentillesse, mais à l’écran c’était redondant de le voir jouer toujours le même type de voyous." [1]
Si vous parlez à un japonais (en l’occurrence, surtout à une japonaise !) de Matsuda, deux mots reviendront le plus souvent : Tantei monogatari ("Histoire(s) de détective" en français). Il y interprète Kudo, un détective qui ne se déplace qu’en scooter... Cette série comportait une bonne dose d’humour et des enquêtes qui passionnèrent le Japon durant 27 épisodes, du 18 septembre 1979 au 1er avril 1980. Plus de 20 ans après, Tantei monogatari bénéficie de re-programmations télévisées et de diverses ressorties vidéos (renseignez-vous dans les quelques video-clubs japonais de Paris, ça vaut le détour !) ; la demande et le succès sont tels qu’en 1998, deux épisodes sont montés et diffusés en salle. Inutile de préciser que ce fût un carton. En 1980/81, il fait une gigantesque tournée à travers tout le Japon en tant que... chanteur ! Et oui, en plus d’être une star de cinéma et du petit écran, Matsuda enregistre huit albums entre 1976 et 1987.
Après avoir joué dans six films plus ou moins inégaux de 1973 à 1976, il se retrouve dans une superproduction de la compagnie Kadokawa [2]. Ningen no shômei ("Proof of the man" aux USA, où le film bénéficie d’une sortie dans une version tronquée de 30 minutes !), réalisé en 1977 par Junya Sato et adapté d’un roman de Seiichi Morimura, relate l’enquête menée conjointement par la police new-yorkaise et la police tokyoïte pour retrouver dans quelles conditions un jeune afro-américain s’est fait assassiner dans un grand hôtel de la capitale japonaise... Même si Ningen no shômei est un film de commande, certaines séquences n’en demeurent pas moins magnifiques et le jeune Matsuda (à peine 27 ans) n’a pas à rougir devant Mariko Okada, George Kennedy, Toshiro Mifune et j’en passe, tant la distribution du film est impressionnante (sans oublier la magnifique chanson "Mama", interprétée par Joe Yamanaka).
Yûsaku enchaîne alors les rôles ; deux films en 1978, quatre en 1979 -dont l’excellent Midarekarakuri ("Meurtre dans la maison de poupées") de Susumu Kodama- puis en 1980, après deux caméos dans des films oubliables (l’un des deux est un soft-porn...), il interprète l’un des rôles clefs de sa carrière dans le film (très sombre) Yaju Shisubeshi ("La bête doit mourir") de Tohru Murakawa ; Kunihiko Date (Matsuda), un journaliste revenu traumatisé du Viêt-Nam, est suspecté dans une affaire de meurtre... Rien de très original si ce n’est la prestation de Matsuda qui s’investit à fond dans la recherche du personnage. Se trouvant physiquement trop éloigné de l’idée qu’il se fait de Date il doute, puis, suit un régime qui lui fait perdre dix kilos (et ce malgré le fait qu’il soit déjà très mince) et subit une opération dentaire ; la transformation le satisfait et son personnage est fantômatique et inquiétant. Yaju Shisubeshi est un tournant dans la carrière de Matsuda ; il décide de s’impliquer à 100% dans ses rôles. Sa deuxième femme, l’ancien mannequin Miyuki Kumagai (devenue Matsuda), raconte à son propos qu’il "était" un acteur en ce sens qu’il n’était jamais lui-même, y compris en famille il jouait le rôle de "Yûsaku Matsuda chez lui" (ce qui, soit dit en passant, prouve plus une certaine pudeur qu’un état constant d’acteur ) ; "[...]il ne s’est jamais habitué à l’embarras que peut générer la vie de couple. [...]Faire l’amour est plus simple que d’accepter le regard de l’autre lorsque l’on se brosse les dents." [3].
A partir de 1980 donc, Matsuda change de registre et se voit confier des rôles plus consistants qui demandent un réel travail de comédien ; des films comme Kagerô Za (1981) de Seijun Suzuki -un auteur dramatique rencontre une femme mystérieuse dans le Tokyo des années 20 qui lui dit qu’ils mourront à leur prochaine rencontre-, ou le génial Kazoku Gamu ("The Family Game"/1983) de Yoshimitsu Morita produit sous l’égide de l’ATG [4] , certainement la plus grande prestation de Matsuda qui interprète ici un professeur engagé par une famille pour préparer leur fils cadet aux examens de fin d’année ; le comportement du prof devient rapidement étrange et influe sur cette tranquille petite famille... (il est d’ailleurs à noter que le père est interprété par Juzô Itami, réalisateur -entre autres- de Tampopo, Minbo no onna,...). Sorekara, toujours de Yoshimitsu Morita (1985), dans lequel Matsuda incarne un homme qui tombe amoureux de la femme de son meilleur ami... Il y gagne en maturité et signe une interprétation remarquable. En 1986, il passe à la fois devant et derrière la caméra en remplaçant au beau milieu du tournage un réalisateur démissionnaire ; A Homansu, tiré d’un manga (Bande-dessinée), raconte l’histoire d’un "homme" sans passé ni souvenirs qui se retrouve mêlé à un contentieux entre yakuza... C’est la seule et unique réalisation de Yûsaku Matsuda.
Le 9 juillet 1987, il rencontre Ridley Scott qui prépare alors un film dont l’action se situerait entre les Etats-Unis et le Japon ; Scott à propos de Matsuda : "Je savais intuitivement qu’il était Sato dès que je l’ai vu, avant même que nous parlions. J’avais eu le même sentiment la première fois que je vis Rutger Hauer."... La nuit du 29 septembre, Matsuda est hospitalisé d’urgence ; deux jours après, les médecins lui apprennent qu’il est atteint d’un cancer de la vessie, il leur demande alors s’il peut suspendre son traitement pendant un an : "Je travaille sur un film américain et cela fait des années que j’attends ça...". Il donne la priorité au film pensant que son cancer est bénin. Le tournage de Black Rain, qui commence le 28 octobre 1988, est assez éprouvant ; les équipes japonaise et américaine ne fonctionnent pas de la même manière, des membres de l’équipe sont remplacés en cours de tournage, les voyages incessants -Osaka, New-York, Los-Angeles, Hong-Kong-... Malgré tout, Yusaku est fier de participer à un film américain, qui plus est avec Ken Takakura et, plus étonnamment avec Andy Garcia avec lequel il se lie d’une très forte amitié ; "[...] Andy va devenir un très grand acteur[...] Il me comprend. C’est mon meilleur ami.". Le tournage se termine le 14 mars 1989. Yûsaku n’a pas parlé de son cancer à sa femme pour ne pas l’inquiéter (alors qu’il urinait du sang pendant le tournage...). Lorsqu’elle l’apprend, elle pense elle aussi qu’il peut être guéri. Black Rain est présenté au Festival du film de Tokyo le 5 octobre 1989 sans Matsuda, alors souffrant. Le même jour, Mitsuru Kurosawa, son manager, reçoit une offre provenant d’Hollywood ainsi qu’un scénario. Yûsaku, visiblement heureux lui demande : "Pas d’audition cette fois ?"... Il succombera à son cancer le lendemain à l’âge de 39 ans.
Qui sait quelle carrière aurait pu suivre Matsuda ? Peut-être serait-il devenu, et ce près d’une décennie avant Chow Yun-Fat, Jet Li et consorts, la star asiatique incontournable des années 90... mais avec des si... L’année dernière son fils Ryuhei, à fait forte impression dans le sublime Gohatto (Tabou) de Nagisa Oshima , reste à savoir s’il suivra la voie tracée par son père... en tous cas, les japonais l’ont déjà adopté.
Filmographie :
Ohkami no Monsyo (1973)
Tomodachi (1974)
Ryoma Ansatsu (1974)
Abayo Dachikou (1974)
Bouryoku Kyoushitsu (1976)
Hitogoroshi (1976)
Ningen no Shômei (1977)
Mottomo Kiken na Yugi (1978)
Satsujin Yugi (1978)
Midarekarakuri (1979)
Oretachi ni Haka wa nai (1979)
Yomigaeru Kinrou (1979)
Syokei Yugi (1979)
Rape Hunter Nerawareta Onna [cameo] (1980)
Bara no Hyouteki [cameo] (1980)
Yaju Shisubeshi (1980)
Yokohama B.J . Blues (1981)
Kagerou-Za (1981)
Kazoku Game (1983)
Tantei Monogatari (1983)
Sorekara (1985)
A Homansu (1985)
Arasigaoka (1988)
Black Rain (1989)
[1] Nagisa Oshima , HK n°14, propos recueillis par Stephen Sarrazin.
[2] Entre 1976 et 1992, Haruki Kadokawa, président de la compagnie d’édition Kadokawa Shôten, produisit des adaptations cinématographiques de leurs best-sellers ; résultat : de gros succès au box-office, l’émergence de nouvelles stars, des castings impressionnants, des films à gros budgets et surtout un grand coup de pouce à l’industrie cinématographique japonaise.
[3] Propos tirés du livre "Shikyu no kotoba" de Miyuki Matsuda.
[4] ATG = Art Theater Guild.




