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Chine | Festival du film asiatique de Deauville 2007 | Rencontres

Zhuang Yuxin | Yan Bingyan

"J’ai au fond de mon coeur une conception particulière de la relation entre l’être humain et la société que j’aimerai exprimer."

La vision de Teeth of Love (2006), premier métrage du réalisateur chinois Zhuang Yuxin issu de la sixième génération [1] et diplômé de la fameuse Beijing Film Academy, s’est avéré d’une grande maturité. Malgré la banalité d’un sujet mainte fois traité, il nous livre une vision originale du lien que tissent amour et douleur, à travers le portrait d’une femme évoquant la persistance du souvenir. Il n’en fallait pas moins pour nous convaincre d’aller à sa rencontre, à laquelle se joignit Yan Bingyan, actrice au charme troublant et véritable révélation du film.

Sancho : L’idée originale de votre film peut d’une certaine façon se résumer au symbolisme que vous utilisez pour traduire les relations qu’entretiennent amour, douleur physique, et souvenir. D’où vous est venue cette idée ? Cela fait-il appel à des expériences personnelles ?

Zhuang Yuxin : Je me suis beaucoup inspiré de mon entourage, notamment de la biographie d’un ami, mais également d’événements que j’avais vécu. Néanmoins pour moi ce qui compte le plus c’est l’imagination. L’examen de la douleur m’a beaucoup intéressé. Je pense que la douleur est une richesse, ainsi qu’une jouissance.

Dans la première partie du film, qui décrit l’adolescence de Qian Yehong dans les années 70, celle-ci semble ignorante de sa propre féminité. Etait-ce le cas de la jeunesse féminine de l’époque ?

Zhuang Yuxin : Tout à fait. C’était une époque asexuelle. Dans le film, la jeune fille qui se nomme Lin Jie se fait rejeter par toutes ses camarades car elle expose cette féminité, et se fait traiter de salope car elle a eu une relation avec un garçon de sa classe. Qian Yehong au contraire voudrait rester asexuée. Elle cache sa féminité à travers son apparence de garçonne et de meneuse de gang.

Dans votre description de la vie de votre héroïne, vous avez évacué tout enjeu et contextualisation politique. Ce parti pris a-t-il pour but de vous démarquer du cinéma réaliste vos contemporains ?

Zhuang Yuxin : D’une certaine façon, il est vrai que je ne suis pas entièrement satisfait par le cinéma de mes confrères. Néanmoins je ne cherche pas à faire un film différent des leurs, mais plutôt à adopter une perspective nouvelle à laquelle je tiens profondément. J’ai au fond de mon coeur une conception particulière de la relation entre l’être humain et la société que j’aimerai exprimer. Je crois que l’art n’a aucune place dans la critique politique. L’art, qu’il soit communiste ou anti-communiste, doit se concentrer sur l’être humain.

Ce film n’est pas une tragédie. A travers les événements qu’elle a subie dans un environnement particulier, l’héroïne s’est enrichie et a appris sur elle-même et sur les autres. Je pense que la relation entre l’être humain et son environnement n’est pas absolue ou stricte. Il y a différentes possibilités dans cette dynamique. Ce qui m’intéresse c’est d’explorer ces possibilités.

Dans le film vous incarnez trois étapes de la vie d’une femme. Quelle a été l’étape la plus difficile à interpréter, et comment avez-vous abordé chaque période de sa vie ?

Yan Bingyan : Compte tenu de mon âge, et ayant une trentaine d’années, c’est évidemment la période de l’adolescence qui fût la plus problématique à interpréter pour moi. J’étais assez hésitante au début, surtout que nous n’avions pas les moyens d’engager de très bons maquilleurs. C’était ma grande crainte, car au cinéma la moindre ride est visible (rires).

Par ailleurs, le film met davantage l’accent sur la psychologie et l’état d’âme du personnage, et à mon âge je pouvais encore me souvenir de cette époque, de la gestuelle et de la façon de parler, ce qu’une jeune fille d’aujourd’hui ne pourrait pas faire. En plus je suis Pékinoise donc il ne m’était pas difficile de jouer ce rôle. Dans la première partie du film, mon personnage est inconsciente de sa féminité et en même temps fière de son asexualité. Qaund le garçon qui lui avoue son amour décède accidentellement, elle comprend qu’elle est une femme et finit par l’accepter. Mais la mort du garçon est pour elle un regret qu’elle ne pourra jamais effacer.

C’est comme lorsque l’on perd une dent, celle qui repousse ne sera jamais la même. C’est pour cela que dans la deuxième partie elle libère sa féminité avec l’homme qu’elle rencontre, même s’il est plus âgé. Elle le prend dans ses bras, le réconforte, et s’occupe elle-même de son avortement. Elle libère ainsi la souffrance accumulée dans son coeur. Après de telles expériences, elle subit un étourdissement, quand elle doit vivre avec cet homme qu’elle rencontre et qu’elle décide d’épouser. Mais elle se rend compte qu’elle ne peut supporter de vivre à ses côtés et élever son fils.

La société chinoise est réglée suivant le modèle confucéen et patriarcal, hors on voit que les hommes s’effacent tous, c’est la femme qui prend les décisions et mène sa vie.

Zhuang Yuxin : Je pense que la façon dont les hommes dominent en Chine est différente de celle en occident. Auparavant la société occidentale aussi était très patriarcale. Mais je pense que cette domination s’exprime de façon différente en Chine. A première vue les femmes semblent avoir une place supérieure mais ce n’est pas le cas. Néanmoins ce n’était pas le propos de mon film. Je me suis attaché à une femme pour étudier la relation entre l’amour, la douleur et la mémoire ; et c’est ma vision de cette femme en particulier. Ce film est nécessairement le regard d’un homme sur une femme, aussi je ne peux me mettre à la place d’une femme et faire un film féministe. Ce point a aussi été un sujet de discussion entre nous ( avec l’actrice Yan Bingyan - NDLA).

On perçoit l’esthétique de votre film comme assez éloignée du cinéma réaliste. On a presque parfois l’impression d’une esthétique proche du cinéma européen.

Zhuang Yuxin : En fait je n’aime pas le style documentaire ou réaliste. J’ai effectivement vu de nombreux films européens dont ceux de Fassbinder et de Bergman que j’apprécie beaucoup. Mais je ne souhaitais pas imiter leur style, simplement je me suis imprégné de leur travail. En fait j’aurais voulu accentuer encore davantage ce côté stylisé dans mon film. Je suis sensible à l’imaginaire et aux choses subjectives. Comme le disait Fellini : le rêve est la seule réalité.

Interview réalisée le 1er avril 2007 lors du 9ème Festival du Film Asiatique de Deauville. Un grand merci à Aka6T pour les photos.

[1On nomme ainsi les cinéastes chinois post-massacre de Tiananmen (1989). On les qualifie également de cinéastes urbains, car ils tournent en ville, souvent clandestinement, des sujets contemporains ; mais le terme reste vague tant la diversité est grande parmi ces auteurs.

- Article paru le samedi 21 avril 2007

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