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Irréversible

France | 2002 | Un film de Gaspar Noé | Avec Vincent Cassel, Monica Bellucci, Albert Dupontel

C’est surprenant, tout de même, le temps qu’il nous faut quelque fois pour être capables non seulement d’assimiler un sentiment, mais aussi de l’exprimer, sous une forme ou une autre.

Ce n’est pas la première fois qu’un film s’impose à moi longtemps après l’avoir vu, m’amenant à l’exorciser, en quelque sorte, par écrit. Là où Irreversible diffère du Centre du monde de Wayne Wang cependant, c’est qu’il ne m’a pas fallu plusieurs mois pour me rendre compte que j’avais vu un film qui m’avait profondément touché ; au contraire même, je le savais dès la fin de cette première et unique projection, la semaine de sa sortie en salles l’an dernier. Il m’aura par contre fallu de longs mois pour accepter d’y revenir, d’y réfléchir à nouveau, d’accepter de me remémorer la douleur qui l’a accompagnée. Sans être encore complètement prêt à revoir Irréversible, je crois désormais être à peu près disposé à en parler. Allez comprendre pourquoi j’y tiens autant...

Maintenant que le second long-métrage de Gaspar Noé est sorti en DVD, nul doute que la majeure partie de ses spectateurs potentiels auront vu Irréversible. Je ne sais pas cependant si j’envie ceux qui l’auront découvert chez eux, la télécommande à portée de la main : comment résister à l’envie d’interrompre le supplice, de réduire la durée des premières séquences, du viol du personnage interprété par Monica Bellucci ? Car interrompre, ralentir ou accelérer Irréversible, c’est un peu jouer avec la réalité quelque part - la corrompre à la force d’un temps remodelé, qui "détruit tout" comme le rappelle Gaspar Noé à la fin du film. Je me doute que, pour ceux qui auront vu Irréversible, cette dernière affirmation pourra paraître étrange : en quoi la narration du film correspond-elle à la réalité, dans la mesure où elle est totalement inversée ? C’est là, à mes yeux, l’un des nombreux intérêts de cet exercice de style aussi insoutenable que merveilleux, offert par le réalisateur de Carne et Seul contre tous...

Irréversible, vous le savez probablement tous désormais, est raconté à l’envers. Ainsi le début du film correspond-il à la fin de l’histoire. La violence de ce début/fin est ahurissante, réelle, contagieuse : Noé manipule son objectif avec dextérité, dans un univers propre à renforcer le sentiment de nausée développé par les mouvements incessants de la caméra. A tel point que l’on ressent la panique du personnage de Vincent Cassel, ainsi que la peur insidieuse de son camarade, interprété par Albert Dupontel. Lorsque la violence éclate enfin, la caméra se stabilise un peu, uniquement ravivée par une série de chocs, qui vous font vibrer la moëlle épinière. Puis le temps remonte, d’un bloc. Puis d’un autre. Et ainsi de suite, jusqu’à cet instant de rupture avec la vie, incarné par l’aggression de Monica Bellucci.

La force de cette narration à rebours, est justement qu’elle impose au spectateur une vision purement factuelle des évènements qu’elle expose, de façon morcelée. Si elle crée chez ce spectateur un sentiment de rejet total (la violence étant justement inexpliquée), elle le force néanmoins à considérer la violence pour ce qu’elle est, en dehors de tout parti pris contextuel. Point de glorification si souvent reprochée aux films ultra-violents dans Irréversible : pendant la moitié du film, il est question de mort, de violence et d’agression, sans aucune parure narrative ou de mise en scène propice à un "repackaging" manipulateur. Certes, une telle analyse est paradoxale, et pourtant c’est bien ce qu’il ressort de la première moitié d’Irréversible.

C’est alors que débute la seconde moitié de la narration. Par rapport au déroulement de la séance, nous savons que nous avons dépassé le stade "difficile". La douleur va mettre quelque temps à s’atténuer, c’est indéniable - mais l’essentiel est bien qu’elle soit derrière nous. Et pourtant...

Pourtant cette douleur est à cet instant, "devant" les protagonistes du film. Plus le film approche de sa conclusion "anti-linéaire", plus nos trois héros perdent de vue l’instant où leurs vies vont basculer. Gaspar Noé nous offre une bouffée d’air frais à l’aide de blagues sexuelles entre Dupontel et Bellucci, autrefois amants. L’humour se fait plus léger, les relations moins tendues... et plus le film avance/recule, plus l’ambiance est à l’intimité, à la célébration de l’amour... et bien sûr, à la fin, de la vie en devenir, de cette création qui est, en même temps, une ultime destruction.

C’est à cet instant, lors de ce moment de compréhension qu’Irréversible justifie son titre : à travers un acte à la fois créateur et destructeur, Gaspar Noé condamne le spectateur à se mordre la queue, incapable mais surtout non désireux de redérouler l’histoire dans le bon sens, pour saisir l’ampleur de la perte narrée par le film. La violence du "début", d’injustifiée, revêt un caractère doublement vengeur, à la fois impardonnable et tellement compréhensible. En faisant naître cette colère à la fin, Noé termine de jouer un jeu terriblement méchant avec son spectateur. Il lui donne les clefs de cette heure et demie de colère et de mort, et "objectivise" l’acte de violence, le ternit à la force de réalité et d’amour.

Ce "temps qui détruit tout", que nous assène Noé en stroboscope avant que la lumière ne se rallume, n’est donc pas vraiment le temps que nous connaissons ; il s’agirait plutôt ici du temps cinématographique. Avec Irréversible, Noé vise à nous faire comprendre à quel point le travail conjoint du metteur en scène et de ses spectateurs est un travail autant destructif que créatif. Comment faire le choix de filmer/regarder un viol, une aggression, un meurtre, et de passer à autre chose ? Comment doser/appréhender la transition pour que la douleur provoquée par un tel acte n’apparaisse pas méprisée, amoindrie ? Comment saisir, finalement, l’importance de toutes les transitions qui mènent à un acte de violence, ou même déterminer à quel moment l’engrenage a été enclenché ? Enfin, en tant que spectateur, que choisit-on de retenir d’un film : la fin, le début, ou quelque chose d’impalpable qui échappe au pouvoir de la mise en scène ?

Si Irréversible est renversé mais bel et bien irréversible, c’est justement parce que ce sens de narration - essentiel pour empêcher une signification contextuelle et forcer l’objectivité jusqu’au dernier instant - vise à rappeler l’humain/spectateur à l’ordre, au travers de ces interrogations : il n’y a aucune transition à mépriser, aucun acte à prendre à la légère, aucun détail sans importance.

Parce que certaines choses s’ancrent dans votre mémoire pour toujours.

Parce que la violence n’est jamais une solution en soi.

Parce que l’amour et la vie sont les choses les plus importantes en ce monde.

Enfin, parce qu’un simple moment d’inattention peut vous amener à vous éloigner, définitivement, de la personne qui compte le plus au monde pour vous.

Irréversible est disponible en DVD en zone 2 depuis peu, soit dans une édition double incluant la musique du film ; soit dans un coffret contenant cette double édition, mais enrichie de plus de Carne et Seul contre tous.

- Article paru le samedi 29 mars 2003

signé Akatomy

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