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Japon

La Bête Aveugle

aka Môju - Mohju - Blind Beast - Warehouse | Japon | 1969 | Un film de Yasuzo Masumura | D’après le livre écrit par Edogawa Ranpo | Avec Eiji Funakoshi, Mako Midori, Noriko Sengoku

Eloge des sens oedipien et sadomasochiste...

Aki Shima, jeune cover-girl au corps sublime, est un modèle convoité par bien des artistes... Michio, un sculpteur aveugle, vit seul avec sa mère dans un grand entrepôt transformé en atelier... Michio lors d’une exposition tombe en extase au contact du corps sculpté de la jeune femme. Avec l’aide de sa mère, il enlève Aki en se faisant passer pour un masseur. Il l’emmène dans son atelier afin de réaliser son chef-d’œuvre ; une sculpture parfaite puisque sculptée par un homme dont les mains sont les yeux... Séquestrée, la jeune femme va dans un premier temps tout tenter pour s’échapper de cet endroit cauchemardesque, véritable temple malsain dédié au corps féminin. Puis, au fur et à mesure son aversion pour l’artiste va se transformer en une sorte d’attirance malgré elle, jusqu’à la passion la plus torride... et la plus morbide...

Lorsque Yasuzo Masumura [1] adapte un conte sadomasochiste (paru en 1931) d’Edogawa Ranpo, le résultat tient tout autant de la représentation baroque et onirique que de la fable sexuelle, cruelle et cauchemardesque...

Masumura possédait un véritable don pour créer un univers envoûtant, ainsi qu’un sens inné de la claustrophobie visuelle, bref, un génie de l’image dont les magnifiques plans, travaillés comme de l’orfèvrerie n’entamèrent jamais le fond... Môju est une sorte de rêve éveillé, un voyage dans un endroit hors du temps où règne une atmosphère lourde et tendue.

Michio, homme-enfant à la merci d’une mère castratrice et psychologiquement incestueuse, n’a jamais connu d’autre femme que sa possessive génitrice. Facilement manipulable, il va peu à peu se laisser séduire par Aki. Mais le jeu auquel joue la jeune femme est à double tranchant...

... se débarrasser de la mère de Michio. C’est ce que va tenter la jeune femme, en commençant par rendre cette dernière jalouse. Michio va peu à peu sombrer dans la toile tendue par Aki, quitte à en oublier son œuvre d’art... l’œuvre en question n’en étant finalement qu’à ses balbutiements, même si l’état physique de celle-ci est plutôt bien entamé. Que recherche-t-il ? La beauté parfaite. La représentation visuelle d’un corps humain recréé par les mains d’un homme dont le touché est le plus développé des cinq sens. Mais c’est la découverte du plaisir sexuel qui va véritablement transformer sa "vision" artistique...
Que recherche-t-elle ? Dans un premier temps, la fuite... mais son attirance sans cesse grandissante envers l’artiste malade, va peu à peu l’enfermer dans une recherche du plaisir sans fin...

Môju est une double exploration. Une exploration des sens, au même titre qu’une exploration des tréfonds de l’âme humaine. Un conte sexuel métaphysique, une représentation violente de l’acte sexuel et de l’être humain, esclave de son plaisir. La recherche du plaisir ultime, mêlant intimement douleur et souffrance à la jouissance et à une satisfaction sexuelle sans fin... ou comment la souffrance devient plaisir, à moins que cela ne soit l’inverse...

Irréelle et fantasmagorique, est la mise en scène avant-gardiste de Yasuzo Masumura (Manji, Akai Tenshi), qui ose même flirter avec le grotesque... sans jamais y succomber. Huis-clos cauchemardesque, sorte de Jardin des Plaisirs à petite échelle, Môju enivre le spectateur ébahi par tant de beauté... et d’atrocité. Masumura parvient à rendre le monde dans lequel évoluent ses trois personnages, dépourvu de toute autre vie humaine ; le seul endroit public filmé est le musée... totalement déserté par tout être vivant, si l’on excepte Aki et Michio. Mais le lieu le plus effrayant - et tout autant attirant -, est sans nul doute l’atelier de Michio ; sorte de musée du corps humain, il réduit celui-ci à l’état de parties... jambes, bras, seins, yeux, bouches, oreilles, nez... autant d’éléments anatomiques, exposés aux murs tels des toiles... ou des trophées, comme si Michio souhaitait posséder ce qu’il ne peut voir, en grand nombre et à une échelle démesurée - à l’image du corps sans bras ni tête d’une femme fantasmée, gigantesque... représentation évidente de "la mère", de la femme et de l’amante...

C’est à Eiji Funakoshi que Masumura confia le rôle de l’artiste névrotique. Acteur que l’on pu voir, hormis dans Manji, à l’affiche de deux épisodes de notre tortue préférée, Daikaijû Gamera (Noriaki Yuasa /1965) et Gamera Tai Daikaijû Giron (Noriaki Yuasa /1969). Quant à Aki, c’est la jeune (vingt-quatre ans à l’époque) Mako Midori qui lui prête son joli minois ; de Nihiki no Mesuinu (Yusuke Watanabe /1964) à Mikeneko Hômuzu no Tasogare Hoteru (Nobuhiko Ôbayashi /1998) en passant par le troisième épisode de Goyôkiba, Goyôkiba - Oni no Hanzô Yawahada Koban (Yoshio Inoue /1974) ou encore Yajû Shisubeshi - Fukushû no Mekanikku (Eizo Sugawa /1974), l’actrice, sans être une immense star, tourne aujourd’hui depuis près de quarante ans.

Lorsque la douleur devient jouissance... Môju est cruel, sensuel, beau et effrayant. Yasuzo Masumura signe ici un chef-d’œuvre de cruauté et d’amour, une évocation du plaisir d’une noirceur extrême dont la conclusion, aussi atroce et crue soit elle, nous assène d’une représentation paroxysmique de la jouissance magnifique et monstrueuse...

La Bête aveugle sort en exclusivité au MK2 Beaubourg (Paris 3ème) à partir du 3 août, et sera par ailleurs diffusé au Balzac (Paris 8ème) dans le cadre d’une rétrospective Masumura.
- Voir la bande annonce du film.

DVD (Japon - pas vu) | Toshiba | NTSC | Zone 2 | Format : 1:2:35 - 16/9 | Son : Mono

Ce DVD ne contient pas le moindre sous-titre.

DVD (USA - pas vu) | Image Entertainment (collection Fantoma) | NTSC | Zone 1 | Format : 1:2:35 - 16/9 | Son : Mono | Suppléments : Trailer, biographie et filmographie de Masumura, ainsi qu’une galerie de photos/photos d’exploit’.

Ce DVD contient des sous-titres anglais optionnels.

[1Cf. article Manji.

- Article paru le mardi 15 avril 2003

signé Kuro

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