A toute épreuve

Mr Arkadin.

A toute épreuve est mon film préféré de John Woo et l’une des productions les plus réussies de l’ex-colonie britannique. En faisant feu de tout bois pour notre plus grand bonheur, le cinéaste s’offre un passeport pour Hollywood, qu’il rejoint un an plus tard. Le port aux parfums rejoindra la mère parti/patrie 5 ans plus tard.

Tequila, un flic aux méthodes expéditives, veut venger son meilleur ami tué par des trafiquants d’armes lors d’une fusillade dans une maison de thé. Dans le cadre de son enquête, son chemin croise celui d’un mystérieux et élégant assassin, Tony. Le supérieur de Tequila tente de freiner les ardeurs de son subordonné car les gangs de trafiquants ont été infiltrés par des policiers. Des deux côtés de la loi, les hommes font surtout parler la poudre.

Au cinéma, plus le méchant est méchant, plus le film est réussi.

Charismatiques, Tony Leung et Chow Yun-fat sont au sommet de leur art et l’alchimie entre les deux acteurs fonctionne parfaitement. Leur duo, entre tension et complicité, rappelle les grands tandems du polar. Formidable idée de cinéma, l’assassinat dans la bibliothèque établit le lien entre les deux personnages. Antony Wong est parfait dans son rôle de salaud extrémiste/hard boiled.

Pièce maîtresse du film, Philippe Kwok interprète un méchant d’anthologie, tueur sans pitié, mais pas totalement sans morale, comme son patron. Il est en outre coordinateur des cascades tandis que John Woo, fidèle à son habitude, contrôle les scènes d’actions. Et quels affrontements. Le cinéaste hongkongais déploie une imagination fertile pour les mettre en scène.

La séquence d’ouverture dans la maison de thé, ma préférée, est d’une virtuosité folle. Chez John Woo, les corps sont toujours en mouvement. Ils ne semblent pas assujettis aux lois de la physique, sans pour autant voler, comme certains héros de films d’arts martiaux. Ils évoluent dans les trois dimensions. Chow Yun-fat tire en glissant sur le sol - figure wooienne s’il en est -, traverse la pièce sur le dos d’une banquette en plein gunfight...

Ces mouvements sont surdynamisés par la multiplication des angles de vue, des cadrages et l’utilisation fréquente de travellings latéraux. La qualité du découpage rend l’action claire et spectaculaire.

La maison de thé où la séquence a été tournée est l’une des dernières de ce type à Hong-Kong et a été détruite après le tournage. A toute épreuve commence comme il se termine : un monde disparaît dans le chaos.

Plusieurs des combats du film appartiennent au panthéon des scènes d’action, aux côtés de ceux de Police Story de Jackie Chan, de Time and Tidede Tsui Hark, ou encore Mad Max : Fury Road de George Miller.

Figures de style

Chow Yun-fat dégaine bien sûr deux pistolets, prenant exemple sur Lino Ventura dans Le deuxième souffle de Melville, grande inspiration de John Woo. A l’hôpital, Tequila donne comme faux nom, Jeff Woo ! Moins spectaculaire dans les gunfights que le hongkongais, la scène où l’acteur français pointe ses deux colts 44 affiche un découpage au cordeau. John Woo arrive même à glisser une colombe – son oiseau fétiche – via une affiche décorant un mur de l’hôpital.

A tout épreuve se termine dans un climat apocalyptique : aux massacres de civils par les sbires d’Antony Wong se succèdent les explosions dans l’hôpital. A quelques années de la rétrocession, le pessimisme est de rigueur. « La loyauté n’existe plus, il n’y a plus que le fric. », résume l’un des personnages. Vivant dans l’obscurité morale due à son infiltration, Tony rêve de partir en Islande, pays où la nuit ne tombe jamais. Sur le film plane une atmosphère mélancolique – autre point commun avec les films de Melville – véhiculée également par la musique, synthétiseur et saxophone.

A tout épreuve n’est pas le film le plus personnel de John Woo – titre revenant à The Killer - mais le plus abordable pour le grand public. La rénovation 4K lui offre un lifting bien mérité, même si le film n’a pas pris une ride. Elle donne une raison supplémentaire - s’il en était besoin - de revoir ce chef-d’œuvre du cinéma d’action sur grand écran.