Adieu ma concubine
Pékin, 1924. Désormais trop grand pour être caché dans le bordel où sa mère travaille, Douzi entre à l’académie de maître Guan pour apprendre l’opéra chinois. Frêle, il est protégé par Shitou avec lequel il se lie d’une amitié fusionnelle, au cours d’un apprentissage très sévère. Adultes, Douzi et Shitou deviennent célèbres sous le nom de Cheng Dieyi et Duan Xiaolou, en interprétant les rôles principaux de l’opéra Adieu ma concubine, ceux du roi Chu et de sa maîtresse Yu. Leur amitié et leur art vont être troublés par les bouleversements traversés par la Chine.
Revenant sur de nombreux épisodes tragiques de l’histoire de la Chine et traitant du thème de l’homosexualité, le film sera censuré en Chine.
Adieu ma concubine se déroule avec en toile de fond la période la plus tumultueuse de l’histoire de la Chine au XXème siècle, entre 1924 et 1977. Le film est organisé en séquences associées à certaines dates cruciales de cette époque : la prise de Pékin par les Japonais, leur défaite, l’arrivée au pouvoir des communistes, la révolution culturelle... Elles coïncident avec des moments forts de la vie de Cheng Dieyi et Duan Xiaolou.
Chen Kaige évite le piège de la reconstitution historique, qui peut parfois étouffer un film, en donnant la primauté à ses personnages et non aux décors et accessoires. Un soin particulier a cependant été accordé aux costumes de scène, qui sont magnifiés par la restauration du film.
Le cinéaste tisse une trame complexe de bouleversements culturels, politiques et personnels et établit des parallèles entre le théâtre et l’histoire, entre l’ordre de l’art et le chaos de la vie réelle, personnelle et sociétale.
La naissance de l’amitié entre Douzi et Shitou à travers les épreuves traversées lors de leur apprentissage de l’opéra de Pékin est la partie la plus poignante du film. La violence des relations sociales - ici entre les élèves et un maître tout puissant - fait penser à celle régnant dans Epouses et concubines.
L’entente entre les frères de scène est mise à l’épreuve par le mariage entre Duan et une prostituée, Juxian. Gong Li fait merveille dans ce rôle, le personnage de Juxian nécessitant un jeu intense dans lequel elle excelle.
Le trio se trouve dans une situation impossible : Cheng Dieyi et Juxian aiment le même homme. Le caractère profondément égoïste du premier s’expose au grand jour. Cheng Dieyi est incapable d’être heureux pour son ami et il est aveugle aux malheurs de la population chinoise sous le joug des japonais, pour qui il joue. Cet épisode constitue le ventre mou de l’œuvre.
Leslie Cheung crève l’écran, livrant une performance pleine de nuances et de complexité émotionnelle. Le dévouement de son personnage à l’opéra est un masque dissimulant des troubles intérieurs, conséquence d’une enfance caractérisée par des douleurs physiques et des traumatismes émotionnels. Les circonstances de la fin tragique de Leslie Cheung, qui décédera 10 ans plus tard, donnent à Adieu ma concubine une dimension supplémentaire.
La frontière entre leur art et la vie est floue et elle s’efface lors de la scène finale d’Adieu ma concubine. Cheng Dieyi et Duan Xiaolou sont non seulement des interprètes, mais aussi leurs personnages. Ce thème est rendu encore plus sensible par ce brouillage des frontières.
L’émotion ressentie par le spectateur lors des années de formation des deux amis fait son retour à l’époque de la révolution culturelle. Celle-ci prend une résonance particulière car Chen Kaige a fait l’expérience de cette révolution dans sa chair. Si ses personnages se dénoncent les uns, les autres, Chen Kaige [1], a trahi son père.
La boucle est bouclée. Symboliquement, maître Guan, sous la férule duquel Douzi et Chitou ont étudié, décède peu avant la révolution culturelle, qui représente la négation de l’ordre traditionnel. L’orphelin adopté par Cheng va devenir leur bourreau. A contrario, malgré la dureté de l’enseignement, Douzi et Chitou seront toujours reconnaissants à maître Guan de leur avoir enseigné l’art de l’opéra de Pékin.
Adieu ma concubine est disponible chez Carlotta dans une Édition Prestige limitée (4K Ultra HD + Blu-ray + goodies), en 4K UHD et en Blu-ray.
[1] Une jeunesse chinoise, chez Picquier





