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Japon

Kowai Onna

aka Unholy Woman - コワイ女 | Japon | 2006 | Un film de Keita Amemiya, Takuji Suzuki et Keisuke Toyoshima | Avec Kenta Suga, Kôsuke Toyohara, Maki Meguro, Nahana, Noriko Nakagoshi, Shunsuke Matsuoka, Tasuku Emoto, Teruyuki Kagawa, Tokie Hidari, Yûko Kobayashi

Tout comme les grands maîtres de la littérature d’horreur, de Poe à Lovecraft en passant par Edogawa Ranpo, ou Thomas Owen, qui n’ont cessé d’exploiter la forme de la nouvelle ; le cinéma, depuis Histoires extraordinaires (1968) et avant lui le Kwaïdan de Masaki Kobayashi (1964) avait démontré sa propension à transposer l’essence de ces récits, au format court de la pellicule.

Depuis la découverte du triptyque cinématographique 3 histoires de l’au-delà (2002) et la manifestation d’un panasiatisme culturel en matière horrifique, les films-omnibus n’ont cessé de se multiplier. Le Japon restant en la matière le chantre du film à sketches de genre ayant depuis testé moult variations, allant des huit histoires de Kaidan Shin Mimi Bukuro (2004), à l’héxalogie Kazuo Umezu’s Horror Theater (2005), en passant par la série des “Kadokawa Horror”.

Présageant certes de qualités aléatoires, ce formatage n’en demeure pas moins un véhicule apte à servir de laboratoire à la créativité de réalisateurs en quête de maturité artistique. Par ailleurs, là où le long-métrage imposerait des contraintes scénaristiques trop ténues, la condensation narrative du court offre un cadre assoupli allié à une certaine liberté d’écriture, et ceux qui savent en profiter nous offrent parfois de réelles surprises.

Même si Kowai Onna est loin du lustre d’une production telle que Three... Extremes (2004) pour citer le plus emblématique des films-omnibus contemporains, il n’en demeure pas moins convaincant face à certaines tentatives du label “Kadokawa Horror”, autre grand pourvoyeur du genre. A la réalisation, cet opus réunit un brelan composé du rénovateur du Tokusatsu moderne et roi de la SF contemporaine Keita Amemiya (Zeiram, Zeiram 2), l’acteur, scénariste et réalisateur Takuji Suzuki, ex-collaborateur du Shinobu Yaguchi période pré-commerciale ; sans oublier Keisuke Toyoshima un habitué du film omnibus (Ten Nights of Dream, Yûrei vs uchûjin, Tales of Terror).

La particularité de ces fables horrifiques contemporaines, dont le titre anglais trompeur Unholy Woman (qui peut se traduire par “femme impie”), est de s’attacher non pas à décrire l’hérésie au féminin, dont la connotation judéo-chrétienne correspond mal au cas présent, mais à dépeindre métaphoriquement la convergence existant - depuis l’origine mythologique du couple primitif du Shintoïsme Izanagi-Izanami - entre la féminité, l’horreur et la corruption. Cette dynamique essentielle à la compréhension des thématiques qui inondent le J-Horror depuis toujours, revêt évidemment un caractère éminemment symbolique.

Mais on est ici bien loin de la figure victimaire et passive. La femme est autant protagoniste que métaphore des troubles et des angoisses primitives éprouvée par notre psyché torturée. Active et prédatrice, elle revêt différentes formes, passant successivement de l’incarnation monstrueuse d’un bakemono [1] dans Kata Kata le premier segment, à la difformité mystérieuse d’une femme-tronc dont le haut du corps enfoui dans un sac cache une funeste perversion dans Hagane, à la mère infanticide dont l’égoïsme et l’exclusivité maternelle emprisonne le fils vers un cruel destin, dans l’épisode conclusif Uketsugu mono.

Kowai OnnaA travers ces trois manifestations de la terreur au féminin - “Kowai” signifiant “qui fait peur” en japonais -, plus que la représentation du shinrei mono (ou surnaturel), c’est celle de nos peurs intimes qu’elle consacre à travers ces trois “contes de la folie ordinaire”. D’une diversité manifeste, Kowai Onna offre à travers chacun de ses courts-métrages d’une longueur approximativement identique, une vision, un imaginaire propre, tout autant qu’une variation dont la source anxiogène demeure identique, celle qui se niche dans l’inconscient collectif. Mélancolique et emplie de désespoir, cette peur tapie dans l’ombre nous accule à la folie, dont le seul échappatoire semble être la mort. Ce qui fait la force, tout autant que la faiblesse manifeste de cette entité filmique, c’est son absence d’unité de style, offrant trois atmosphères bien distinctes, partageant pourtant le fil d’une thématique unificatrice.

En effet, si le métrage inaugural de Keita Amemiya s’appuie sur le classicisme de l’esprit vengeur hantant le lieu d’une mort violente doublé d’un suicide apparent, celui-ci lui consacre pourtant une variation graphique inédite. Les qualités de character designer d’Amemiya, s’expriment dans la mise en scène des apparitions du monstre sous les traits déformés du visage blafard d’une femme vêtue d’une robe rouge carmin, lui conférant un aspect gothique et folklorique étonnant. Un graphisme qui s’emploie à l’utilisation de chromatismes inhabituels, loin des caricatures tristes et ternes des apparitions post-Ringu modernes. Il parvient également à créer une réelle atmosphère lugubre à travers une urbanité désertique, malheureusement handicapée par quelques effets de caméra tapageurs, sans oublier la médiocrité des CGI. Le réalisateur, malgré l’usage d’effets chocs routiniers et à répétition, sauve son métrage par un double-twist final offrant une variation inédite au genre, tout en confirmant la nature intrinsèquement irrationnelle de cette peur intérieure.

Autant le métrage d’Amemiya s’avérait riche en effets anxiogènes, autant Hagane le suivant, tranche par son absence de rythme et sa narration minimaliste et décalée. Un jeune ouvrier soudeur renfermé et inexpressif au possible, interprété par l’excellent Tasuku Emoto (Cycling Chronicles) se voit proposer par son patron de sortir la sœur de ce dernier, dont la photo offre un visage pourtant des plus avenant. Mais lorsque le jeune Sekiguchi se rend au domicile de celle-ci, il découvre une femme aux jambes certes gracieuses, mais au buste emprisonné dans un gros sac de jute, incapable de s’exprimer autrement qu’en secouant un corps tronc. Une relation trouble et fatale s’installe alors entre ces deux êtres singuliers.

S’il ne fallait qu’un métrage pour justifier de la vision de Kowai Onna, alors cela serait sans hésiter Hagane. Si le tape à l’œil de Kata Kata et le classicisme de Uketsugu mono n’en font qu’un produit de genre supplémentaire, Hagane par son absurdité dérangeante, sa délicieuse incongruité, et sa mordante franchise, en font une petite perle qui rayonne au royaume du bizarre, perdue quelque part entre Tsukamoto pour son aspect mi-organique mi-métallique, et Lynch pour son côté insolite et décalé.

Emblématique de la trilogie féminité, horreur et corruption, Hagane par son inquiétante étrangeté lors d’un accouplement contre nature que ne renierait pas le Miike de Gozu, témoigne par son caractère ero-guro manifeste, d’une forme extrême d’angoisse vis à vis de l’autre - revêtant ici le caractère de la sexualité féminine - chez l’adolescent nippon à tendance réclusionnaire.

Uketsugu mono, clôturant le trio, témoigne à partir du récit d’une jeune mère divorcée (Maki Meguro) accompagnée de son jeune enfant, qui décide de quitter le tumulte urbain pour retourner vivre dans la maison familiale aux côtés de sa grand-mère, sans se douter qu’elle se met à reproduire les événements tragiques advenu jadis au sein de la génération précédente. Le métrage semble porter comme un handicap la supervision du créateur de The Grudge, Takashi Shimizu. En effet, Toyoshima Keisuke, en se fondant dans l’univers du maître, semble avoir mis de côté sa personnalité, livrant au final un récit interprété avec conviction, mais à la réalisation plate et sans relief. Illustration de la croyance en l’hérédité de la malédiction, c’est aussi celui qui traduit le plus intensément la violence de l’emprise maternelle d’une mère sur son fils qui, s’il elle s’avère un rempart contre la dureté sociétale extérieure, peut s’avérer oppressante jusqu’à l’étouffement.

Si Kowai Onna demeure trop inégal pour constituer une véritable réussite, outre un second métrage d’une singularité originale, il démontre pourtant la persistance de la vitalité du cinéma d’horreur nippon, au-delà des critères techniques et commerciaux habituellement brandis pour jauger du genre, dans sa capacité à offrir d’éternelles variations, comme autant de détournements des mythes fondateurs, au service d’un imaginaire créatif, s’emparant de la morosité urbaine contemporaine, pour exprimer la perpétuation de nos peurs intimes.

Kowai Onna existe en version Taiwanaise avec sous-titres anglais chez Tai One Multimedia, ainsi qu’en version allemande chez Rapid Eye Movies avec sous-titres allemands, et bien entendu en DVD japonais sans sous-titres.

Site du film (en japonais) : www.kowai-onna.jp

[1Le terme signifie littéralement “une chose qui change”, et constitue une classe de monstres et d’esprits dans le folklore japonais.

- Article paru le jeudi 17 avril 2008

signé Dimitri Ianni

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