Lady Yakuza : La Pivoine Rouge
Le jeu de la dame.
Au milieu de l’ère Meiji, Ryuko Yano, fille du chef du clan Yano, voit son destin basculer : son mariage est annulé suite à l’assassinat de son père. Elle se réinvente en tant que joueuse itinérante sous le pseudonyme d’Oryu la Pivoine Rouge, parcourant le Japon pour se venger et avec pour objectif de reformer son clan. Son seul indice pour retrouver l’assassin est un portefeuille retrouvé sur le lieu du crime. Son chemin croise celui de Naoji Katagiri, tout juste sorti de prison, qui intervient pour la sortir d’un mauvais pas. Le destin de Ryuko Yano et Naoji Katagiri est désormais lié, créant la double tension qui anime le film.
La scène d’introduction, mémorable, place le spectateur face à Oryu en kimono noir sur fond rouge, comme s’il était lui-même le chef de clan recevant un salut formel. Cette scène, suivie d’une partie de cartes, le plonge immédiatement dans le monde des yakuza qu’il découvre à travers les yeux de l’héroïne.
Vous tenez tête aux Yakuza, mais vous restez une femme. Cette réplique de Ken Takakura capte l’essence du conflit de l’héroïne, Oryu, interprétée par Junko Fuji. Le film tient sa force de l’équilibre délicat maintenu entre les deux facettes de l’héroïne : impitoyable dans son rôle de yakuza, elle reste aussi une figure féminine luttant pour s’imposer dans un monde d’hommes. Son personnage est d’autant plus fascinant qu’elle est confrontée à des défis supplémentaires. En tant que femme, elle doit toujours prouver sa légitimité dans un monde où la domination masculine est la norme. Révélateur de cette situation, Ken Takakura intervient à deux moments clés où l’héroïne, malgré tout son cran, semblait perdue.
Lady Yakuza : La Pivoine Rouge appartient à la veine des ninkyo eiga ou films de chevalerie, qui offrent une vision idéalisée des yakuzas. Ces derniers sont à l’origine spécialisés dans les jeux, et leur nom vient d’une combinaison de cartes perdante (8-9-3), symbole de leur déclassement dans la société japonaise. Ils y sont présentés comme des figures régies par un code d’honneur strict, le jingi, même si, ressort classique du genre, certains ne le respectent pas et doivent donc être châtiés par leurs pairs.
En ce milieu de l’ère Meiji, où la société japonaise connaît d’importants changements sociaux et des bouleversements économiques, le yakuza qui trahit le code d’honneur, est un ancien samouraï. Le film pose une question centrale dans ce genre : peut-on être à la fois une hors-la-loi et une figure morale ? La réponse, typique du ninkyo eiga, est oui – à condition de respecter le code d’honneur des yakuzas.
Le casting est l’une des grandes réussites. Fuji Junko apporte une présence à la fois élégante et déterminée dans le rôle principal. Ken Takakura - le Charles Bronson japonais ou l’inverse - spécialiste des rôles de shinbo tateyaki [1], s’impose naturellement par sa seule présence. Yakuza/chevalier errant, il a trahi le code et cherche sa rédemption.
L’alchimie entre Fuji Junko et Ken Takakura fonctionne parfaitement, créant une double tension. À l’écran se joue la confrontation entre leurs devoirs : l’obligation de vengeance de Ryuko et la solidarité de Naoji envers son ami, qui pourrait être lié au meurtre. Ces devoirs (giri) entrent en contradiction avec les sentiment (ninjo) amoureux à peine suggérés mais palpables, qui naissent entre eux. La retenue sentimentale est l’une des caractéristiques du genre.
La mise en scène est d’un classicisme classieux. La pivoine, alternativement blanche et rouge, est un motif présent dès le générique et récurrent tout du long du film. Il ne s’agit pas d’un simple artifice esthétique, mais d’un véritable fil conducteur symbolique. La pivoine blanche évoque la pureté et la féminité de Ryuko, tandis que la pivoine rouge, teintée du sang que son père a versé, incarne sa transformation en Oryu la vengeresse. Le premier combat fait appel à quelques ralentis aussi élégants que sa protagoniste principale et l’assaut de la demeure du yakuza félon offre des combats plus frénétiques dans un climax final traditionnel du genre.
Lady Yakuza : La Pivoine Rouge inaugure une série de huit films qui s’échelonneront jusqu’en 1972. La Toei, avec la Daiei, domine la production des films de yakuza mais doit réinventer sa formule face à la concurrence de la télévision. Confier le rôle central à une femme (Oryū) est une stratégie pour relancer la machine. Deux ans plus tôt à Hong Kong, King Hu avait ouvert la brèche avec L’Hirondelle d’or : Cheng Pei-pei y incarnait une femme d’épée aussi habile que redoutable. Oryu ouvrira la voie à d’autres héroïnes vengeresses, dont la plus célèbre est Meiko Kaji, (Lady Snowblood, La Femme Scorpion). Ces films influenceront un réalisateur américain actuel, spécialiste des films post-modernes, que je ne nommerai pas. L’édition en Blu-ray de la série de huit films de Lady Yakuza permet de découvrir les originaux sans filtre.
La série de huit films de Lady Yakuza est disponible chez Carlotta Films en Blu-ray en version restaurée.
[1] Homme fort et persévérant, in Le cinéma japonais, Tome 2 de Tadao Sato.










