Les disciples d’Hippocrate
1980... Japon... faculté de médecine... un groupe d’étudiants... leurs aspirations, leurs craintes, leurs natures, leurs parcours...
Ogino est étudiant en dernière année de médecine. Sa vie est partagée entre ses cours et autres stages aux urgences, ses réunions de militants pro-réformistes, sa petite amie et ses examens. Devant tant d’activités et tant d’heures passées à se forger l’esprit à son métier futur, Ogino commence à s’ennuyer et se met donc à observer ce qui se passe autour de lui, et essaye de comprendre les aspirations et motivations de ses collègues. Alors Ogino se laisse aller, arrive en retard aux consultations, se relâche pendant les opérations de chirurgie, et dans la foulée met enceinte sa copine. Devant cette situation, il prend la décision de faire avorter sa compagne dans une clinique privée. Mais cette décision est bien plus lourde de conséquences que l’état de santé de la petite amie d’Ogino. En effet, dès cet instant Ogino va douter et se demander s’il est constitué du bois dont on fait les médecins...
Dans sa première partie, le film est quasiment un documentaire. On y apprend entre autres choses, que le scanner fut développé avec les fonds de la société de disques EMI, qui a subventionné les recherches avec l’argent qu’elle avait gagnée en distribuant les disques des Beatles. De là à ce que les médecins se mettent à plaisanter en disant que si ce n’était pas des albums des Beatles, mais un groupe japonais à la place, le scanner n’aurait jamais vu le jour, il n’y a qu’un pas à franchir ; d’ailleurs il l’est ! Ce n’est qu’au moment où la jeune amie d’Ogino avorte, que la fiction prend le pas sur le documentaire. Et ce n’est qu’à cet instant que le spectateur s’aperçoit que ces étudiants sont en proie au doute. Que ce soit Ogino, ou bien la seule étudiante qui a choisit la médecine comme on choisit un melon au marché, ou encore le meilleur ami d’Ogino qui souhaite devenir docteur dans le seul but de reprendre la clinique privée de son père. Chacun cherche ou plutôt se convainc que ses choix de vie présente et surtout future sont les bons, et chacun se motive comme il peut, selon sa nature ; chacun doit trouver sa propre vérité sur le métier de médecin. Blaise Pascal écrivait in Les Pensées au sujet de la vérité :
"Rien n’est plus étrange dans la nature de l’homme que les contrariétés que l’on y découvre à l’égard de toutes choses. Il est fait pour connaître la vérité ; il la désire ardemment, il la cherche et cependant, quand il tâche de la saisir, il s’éblouit et se confond de telle sorte qu’il donne sujet de lui en disputer la possession."
Mais avant d’aller plus loin, il me semble nécessaire d’approfondir certains dogmes, et notamment sur Hyppocrate. Considéré comme le père de la médecine et de la Tradition médicale moderne, Hippocrate vécut plusieurs siècles avant Jésus Christ (4 pour être exact). Sa médecine est basée sur l’altération des humeurs de l’organisme. Selon plusieurs historiens, Hippocrate fit des voyages en Inde et est encore aujourd’hui considéré comme le plus grand médecin de l’Antiquité. [1]
Entre 1839 et 1861, Emile Littré entreprit de traduire les oeuvres d’Hippocrate. Parmi ces textes , se trouve la traduction officielle du Serment d’Hippocrate (il est à noter que ce texte est accepté sous forme de serment en France depuis les XVème et XVIème siècles) :
"Je jure par Apollon médecin, par Esculape, Hygie et Panacée, par tous les dieux et toutes les déesses, et je les prends à témoin que, dans la mesure de mes forces et de mes connaissances, je respecterai le serment et l’engagement écrit suivant :
Mon Maître en médecine, je le mettrai au même rang que mes parents. Je partagerai mon avoir avec lui, et s’il le faut je pourvoirai à ses besoins. Je considérerai ses enfants comme mes frères et s’ils veulent étudier la médecine, je la leur enseignerai sans salaire ni engagement. Je transmettrai les préceptes, les explications et les autre parties de l’enseignement à mes enfants, à ceux de mon Maître, aux élèves inscrits et ayant prêté serment suivant la loi médicale, mais à nul autre.
Dans toute la mesure de mes forces et de mes connaissances, je conseillerai aux malades le régime de vie capable de les soulager et j’écarterai d’eux tout ce qui peut leur être contraire ou nuisible. Jamais je ne remettrai du poison, même si on me le demande, et je ne conseillerai pas d’y recourir. Je ne remettrai pas d’ovules abortifs aux femmes.
Je passerai ma vie et j’exercerai mon art dans la pureté et le respect des lois. Je ne taillerai pas les calculeux, mais laisserai cette opération aux praticiens qui s’en occupent. Dans toute maison où je serai appelé, je n’entrerai que pour le bien des malades. Je m’interdirai d’être volontairement une cause de tort ou de corruption, ainsi que tout entreprise voluptueuse à l’égard des femmes ou des hommes, libres ou esclaves. Tout ce que je verrai ou entendrai autour de moi, dans l’exercice de mon art ou hors de mon ministère, et qui ne devra pas être divulgué, je le tairai et le considérerai comme un secret.
Si je respecte mon serment sans jamais l’enfreindre, puissè-je jouir de la vie et de ma profession, et être honoré à jamais parmi les hommes. Mais si je viole et deviens parjure, qu’un sort contraire m’arrive ! " [2]
De ces lignes on peut déduire plusieurs idées intéressantes. Le Serment d’Hyppocrate définit donc les devoirs et obligations des médecins envers leurs maîtres, leurs confrères, leurs malades et surtout envers la société. Par ailleurs il précise aussi l’importance du secret professionnel.
En d’autres termes, les actions d’Ogino et ce serment sont en directe confrontation, et donc il ne peut mentalement se dire : "Je vais être médecin !!". Plus simplement, Ogino n’est pas fait pour ce métier, il s’en doute, mais n’arrive pas à s’en convaincre. Pourtant ce qui se passe dans sa vie devrait le convaincre : l’avortement de sa compagne, la façon de le cacher à ses amis, sa non-prise de responsabilités durant l’hospitalisation de cette dernière, alors qu’elle risque de mourir. Plus le film avance, plus Ogino devient sûr et certain de s’être trompé de voie, et c’est une des raisons pour lesquelles il sombre dans une crise de folie passagère. La folie ne prenant pas sa source dans le doute, mais bel et bien dans la certitude. Ce n’est pas moi qui l’affirme mais Nietzsche.
Outre les théories énoncées ci-dessus, Hipokuratesu tachi soulève quelques autres problèmes et notamment celui de la motivation. C’est d’ailleurs l’un des héros de Black Jack (Osamu Tezuka) qui a cette phrase très très juste : "Avant, la motivation des étudiants c’était guérir les gens. Maintenant c’est l’argent !" En effet, plus d’un étudiant abandonne la médecine au cours de son cursus. De ce phénomène découle une pénurie de chirurgiens aujourd’hui (en France en tout cas), les étudiants se refusant de sacrifier encore 3 ou 4 années de leur vie. Bien sûr d’autres facteurs rentrent en ligne de compte, par exemple les divergences d’opinion entre les militants de la réforme médicale. D’un côté ceux qui pensent qu’il faut guérir la société pour guérir les patients ; et de l’autre ceux qui souhaitent améliorer le système comme le jeune Noguchi.
Je pourrais continuer mais il commence à se faire tard et puis je ne vous ai pas encore parlé du casting, ni même du réalisateur. Dans le rôle principal, c’est le jeune Masato Furuoya qui nous gratifie d’une belle composition. Il joua par ailleurs dans Itsuka darekaga korosareru de Yoichi Sai (Marks et Doing Time).
L’une des trois chanteuses des Candies, Ran Itô vient elle aussi apprendre la médecine, aux côtés d’un Ichiro Ogura vu dans un film de Kon Ichikawa, le bien nommé Matatabi. Mais le film attire la sympathie aussi par ses caméos. Dans le désordre, nous avons le droit à la présence d’Akira Emoto, grand monsieur devant l’éternel. Pour vous convaincre de son talent voyez Revolver ou Sumo do Sumo don’t. Et plus discrètement mais si empiriquement, nous avons le plaisir de contempler Seijun Suzuki en voleur nocturne de sous vêtements.
Kazuki Omori participa à l’aventure Godzilla, puiqu’il est accessoirement le réalisateur de Godzilla Vs Biollante (1989) et Godzilla Vs Mothra (1991), mais aussi de Shoot !, comédie s’il en est, mettant en scène SMAP et Miki Mizuno sur un terrain de football. En 2001, il signe Saiaku, comédie bancaire avec Kenji Sawada et Naomi Nishida. La même année (2000) il réalise en parallèle le dessin animé Kaze no mita shonen et la parodie de comédie musicale tamil - le très grand Muthu - intitulée Natu Odoru ! Ninja Densentsu, littéralement : "La Légende du Ninja dansant" (tout un programme !!).
Hipokuratesu tachi est un film en deux parties. Il y a tout d’abord la première heure qui s’apparente plus à un documentaire qu’à une réelle fiction ; mais le film reste abordable et devient quasiment un chef-d’œuvre, une fois passée cette première heure justement. Ne vous laissez donc pas avoir pas l’orgie de renseignements techniques de cette première moitié. Soyez patients et vous serez récompensé au centuple, et serez sans nul doute submergés par les aspirations, les craintes, les parcours de ces étudiants.
NB : l’acteur Masato Furuoya (Maakusu no Yama, WhiteOut, Arashigaoka) s’est donné la mort le 25 Mars 2003, à l’âge de 45 ans...
DVD | Pioneer - ATG Collection | Image et son remasterisé, mais ne figurant qu’en Mono. | En suppléments des bios des acteurs et de l’équipe, et une bande annonce.
Pour les collectionneurs, Hipokuratesu tachi existe également en LaserDisc, mais uniquement dans le 1er coffret consacré à l’ATG - Art Theater Guild - aux côtés de Kazoku Game.



