LoveDeath
Faites l’amour pas la guerre !
Trublion du cinéma d’action et seul cinéaste contemporain de l’archipel à s’être correctement exporté en la matière, Ryûhei Kitamura s’est accordé une pause artistique salutaire entre blockbusters de commande (Azumi, Godzilla Final Wars) et aventures transatlantiques qui le titillaient depuis un moment (adaptation en cours de The Midnight Meat Train de Clive Barker) ; sans oublier une improbable et attendue collaboration avec Shunji Iwai pour l’année 2008 (Bandage).
L’empereur de la pose et roi de la steadycam virevoltante, constituant une équipe réduite de fidèles acolytes au sein de sa société de production Napalm Films, puisant au passage dans ses économies glannées en mettant un point final à la saga Godzilla, s’attèle ici à un projet personnel : LoveDeath. Reprenant les méthodes qui avaient fait le succès de Versus, l’auto production, une liberté artistique totale, et une économie de moyens parfaitement mise à profit, Kitamura délaissant le cinéma d’action pur qui l’a porté au pinacle d’une génération frustrée de cinéma bis assumé, signe un film d’amour improbable, entre polar violent, road-movie, et comédie burlesque noire.
Sai, un apprenti yakuza, a le coup de foudre pour Sheila, la petite amie du boss du clan Kurogane, rencontrée un soir dans un bar. Mais la belle disparaît trois jours après pour ne réapparaître que 342 jours plus tard, déclarant qu’elle veut s’enfuir avec lui, et que leurs destins sont liés. Le jeune homme sous le charme a tôt fait de la suivre, mais se retrouve bien malgré lui aux prises avec le clan Kurogane, prompt à ramener la fugueuse, ainsi qu’une importante somme d’argent qui a disparu au passage. Réussissant à prendre la fuite, le jeune couple est rapidement poursuivi par une tripotée de personnages incongrus aux intentions peu louables, dont un couple de policiers véreux, les hommes de main du clan, sans oublier une bande de tueurs incompétents et déjantés à la solde de l’Oyabun du clan.
Après Alive et Sky High, LoveDeath est le fruit d’une nouvelle adaptation d’un manga de Tsutomu Takahashi. Appréciant à juste titre l’univers violent et surnaturel du manga-ka à succès, dont les personnages et figures d’anti-héros peuplent des scénarios inspirés, Kitamura s’attaque cette fois à 69. Point de départ d’une histoire d’amour passionnelle et rocambolesque, LoveDeath marque aussi un véritable tournant dans le cinéma hystérique de Kitamura qui quitte temporairement les rivages de l’action pure, pour filmer un couple en fuite, poursuivi par des yakuza en tous genre et autres flics véreux, au rythme passablement posé (certains diront ennuyeux), émaillé de séquences cultes et de quelques gunfights fulgurants.
Pour celui qui citte A Little Romance (1976) comme l’un de ses films préférés quoi de plus naturel, si ce n’est qu’on est ici en présence d’un cinéaste gavé aux mangas, jeux vidéos, et au cinéma d’action américain à l’esthétique 80’s. Dans une veine “hype” haute en couleur et assumée, Kitamura recycle avec bonheur, à l’image d’un Tarantino japonais dont il se voit bien chausser les bottes, à moins que ce ne soit du côté de Takashi Miike vers qui il semble clairement lorgner ici, dans une approche très décalée de l’univers yakuza. Kitamura s’appuie clairement sur les cannons du film de couple de gangsters en fuite, bien que le duo Sheila/Sai interprété par NorA/Shinji Takeda soit plus fleur bleue que le couple Mickey/Mallory du Natural Born Killers (1994) d’Oliver Stone.
A l’image du carton d’introduction offrant une citation de Tourgueviev - on se serait pas trompé de film par hasard ! -, le message du métrage du maverick de l’industrie nipponne se résume en une phrase (rassurez vous, parfois c’est beaucoup moins !) : l’amour est plus fort que la mort. Cette passion non consommée, qui semble partagée, entre Sai et Sheila résonne comme un hymne à l’amour, à la jeunesse, et à la cool attitude, bien que la jolie NorA soit animée d’intentions initialement plus vénales et manipulatrices qu’en apparence. Mais c’est la persistance de Sai, qui tout comme Christian Slater dans True Romance (1993), qui n’est pas sans analogies avec cet opus, fera tout pour la préservation de cet amour, quel qu’en soit le prix, quitte à défier le destin. Cette touche romantique dont Kitamura parsème le métrage avec quelques moments contemplatifs entre les deux tourtereaux, un brin poseurs (enfin moins que dans Versus tout de même), contraste singulièrement avec le monde des yakuza auquel ils sont confrontés. Certes cette bluette sans consistance en consternera certains, mais les fans apprécieront.
Au romantisme doux, Kitamura oppose la violence et la caricature qui habite les personnages du clan. Du boss pervers brandissant un flingue au canon en forme de vibromasseur, déviance du sex-gun de Tom Savini (aka Sex Machine) d’Une Nuit en Enfer (1995), à moins que cela ne soit un hommage à VibroBoy [1] (1993). Le symbolisme grossier du flingue, objet phallique traduisant la frustration d’un homme incapable d’aimer une femme sans l’instrumentaliser comme objet de plaisir, devient un attribut machiste du pouvoir masculin tout autant qu’un gadget propre à parodier l’univers yakuza.
Car c’est bien une parodie, et de la plus belle facture, que nous livre Kitamura. Singeant parfois un Takashi Miike version Ichi The Killer ou Naniwa yuukyôden (1995), il mélange allègrement les genres, se divertissant dans la caricature allant jusqu’au burlesque tel que cette séquence où le boss cherche son pénis, venant de se faire tirer dessus, pour s’apercevoir que son pékinois vient de s’en repaître. De l’Oyabun pervers auquel le chanteur-musicien Shigeru Izumiya prête sa verve, subissant un éclatage de tronche que n’aurait pas renié Tom Savini, au boss vêtu de gabardines en fourure et conservant soigneusement ses purikura [2] dans un classeur, sans oublier la bande de tueurs dont chacun des membres trouverait aisément un rôle dans le Shark Skin Man and Peach Hip Girl (1998) de Katsuhito Ishii, autre cousin éloigné de ce LoveDeath.
Certes Kitamura ne verse pas dans la provocation iconoclaste et la bizarrerie d’un Miike, malgré la nature graveleuse de ses gags, conservant à l’image de son couple protagoniste une propension à la romance candide et à l’optimisme naïf, comme le démontre l’épilogue bien inutile. A la pureté de l’amour du couple Sheila/Sai, Kitamura oppose la décadence et la caricature de ses poursuivants. L’esprit d’un Tarantino plane tout autant sur ce métrage, tant dans sa capacité à mélanger les genres, comme le fait l’auteur avec le yakuza-eiga, le road-movie, la comédie burlesque, la romance, et même le western (voir l’hallucinant final sur fond de plateau désertique) ; qu’à distiller une forme d’humour noir, très second degré sur lequel joue en permanence le cinéaste. Le découpage du film anormalement long pour une oeuvre de genre (bien au-delà des deux heures) semble d’ailleurs n’être qu’une succession de scènes cultes, entre gags grivois et meurtres violents, prétextes à mettre en valeur quantité de caméos et seconds rôles parfois à contre-emploi (voir l’actrice de j-dorama Kanako Fukaura aux lèvres badigeonnées en dragueuse de superette de parking), sans oublier de jolie tarento de rigueur (Yinling of Joytoy, Miho Yoshioka, Chiharu Kawai...) pour le fan service.
Kitamura l’avoue plus que jamais avec LoveDeath, il est demeuré un grand enfant. C’est d’ailleurs l’effet que produit la vision de ce périple rocambolesque, certes bien lointain d’un duo McQueen/MacGraw dans The Gateway (1972) ou encore du plus récent Sailor et Lula (1990), car d’une toute autre prétention dans son objectif premier. L’auteur n’ayant pourtant jamais caché son attachement pour le cinéma américain, exprimé ici par les Cadillac et autre Corvette rouge (clin d’oeil à Stingray, 1978), qui ajoutent au style coloré et très pop de l’ensemble. C’est finalement d’un grand jeu, voire d’une récréation d’adolescent attardé dont il s’agit ici. Celui d’un cinéaste qui jubile, s’amusant à recycler et détourner les genres sans modération, des personnages de yakuza improbables comme le numéro 2 du clan (Otomo Kohei) qui préfère jouer au bowling pour calmer sa frustration, ou de la bande de tueurs incompétents tous droit sortis d’un braquage façon Killing Zoe, et qui joue à exterminer tous les couples qu’elle croise sans distinction, emmenée par Izam [3] en yakuza androgyne, sans oublier l’inénarrable duo de flics véreux parodiques interprétés par Susumu Terajima et Hiroyuki Ikeuchi (Tokyo Eyes, Blues Harp).
Comme souvent, l’univers Kitamuresque est manichéen et caricatural. Pas d’études psychologiques en vue et encore moins de développement de personnages. Non par simplisme mais davantage pour accentuer une confrontation paroxystique et jubilatoire qui cumule dans un duel d’anthologie où le sens du montage et du ralenti de Kitamura, allié à la musique du fidèle duo Nobuhiko Morino/Daisuke Yano fait merveille.
Véritable hymne à la violence cinétique, le final de LoveDeath vous fera éclater de rire, ou vous laissera sans voix, heureux d’avoir patienté le temps durant, devant le cabotinage d’acteurs “bigger than life” (mention spéciale à l’“énaurme” Eiichiro Funakoshi éclipsant une bonne partie du cast en boss yakuza), et en roue libre. Pour ceux qui voudraient économiser le temps de cette projection il est fort à parier que vous n’irez de toute façon pas jusqu’au bout de cet article ; et si cela s’avérait, alors le sieur Kitamura vous répondra qu’il vient de signer son chef d’oeuvre, et vous invitera à l’instar de Romain Duris dans Dobermann (1996), à vous torcher le cul avec les critiques qui disent le contraire. Vous voilà prévenus !
Site officiel du film (en japonais) : www.lovedeaththemovie.com
En salles au Japon depuis le 12 mai 2007. Hypothétique et très improbable sortie sur nos écrans.
[1] Le court-métrage qui a lancé la carrière de Jan Kounen, avec Gisèle Kerozène (1989).
[2] Contraction de purinto-kurabu ou print-club, sorte de photomaton japonais à base de vignettes miniatures auto-collantes permettant de personnaliser ses photos avec décors et inscriptions ludiques.
[3] Travesti et ancien leader du groupe de “glam rock” Shazna, l’un des “visual kei band” les plus populaires des années 90.