Shin Dong-il
Shin Dong-il a eu les honneurs du Festival des 3 Continents, où son dernier film Bandhobi a reçu la Montgolfière d’Or, mais ses films n’ont pas encore été distribués dans l’Hexagone. En attendant, je vous invite à rencontrer un cinéaste engagé, qui nous a parlé de son parcours et surtout de son dernier long-métrage.
Sancho : Comment êtes-vous devenu réalisateur ?
Shin Dong-il : Lors de mon année de terminale, j’ai vu Amadeus et Mission que j’avais beaucoup aimés. J’ai été ensuite actif au sein d’un ciné-club. La Corée vivait une époque charnière avec la fin de la dictature militaire, et j’ai alors découvert que l’on pouvait faire des films autrement, c’est-à-dire des films politiques puissants. L’homme de fer d’Andrej Wajda a été déterminant dans ma décision de devenir metteur en scène. Après l’université, j’ai rejoint la Korean Academy of Film Art [1], d’où est également issu Bong Joon-ho. J’y ai étudié le cinéma puis je suis devenu assistant réalisateur. Mais les investisseurs n’aiment pas beaucoup mes films ; je rencontre beaucoup de difficulté à en faire. En 2001, j’ai pu faire mon premier court-métrage, The Holy Family, qui a été sélectionné en compétition officielle au Festival de Cannes. J’étais très content. Puis en 2005, j’ai pu faire mon première long métrage, Host and Guest qui était également un film indépendant. Bandhobi est mon troisième long-métrage.
Quelle était votre spécialisation à l’université ?
J’ai étudié la littérature allemande. Je pense que ce sont plutôt Franz Kafka, Goethe ou Bertold Brecht qui ont pu m’influencer, surtout ce dernier avec son effet de distanciation [2], comme, je crois, il avait influencé Jean-Luc Godard.
Quelles raisons vous ont poussé à réaliser un film sur le sort des travailleurs immigrés en Corée ?
J’ai toujours été inspiré par les marginaux, les personnes faibles, qui sont en dehors de la société ou qu’elle rejette. J’éprouvais de la compassion pour eux, mais je ne savais pas que j’en ferai un film. A l’origine, le personnage principal était une lycéenne. Puis j’en suis venu petit à petit à parler des travailleurs immigrés parce qu’ils se trouvent au bas de l’échelle sociale en Corée. Lors de l’année de terminale, les adolescents sont dans « l’enfer de la préparation » au bac et la compétition est très rude. Il s’agit d’une période très difficile pendant laquelle ils sont le plus ignorés. Ils ont ainsi un point commun avec les immigrés. Je pouvais donc les mettre en parallèle.
C’est après avoir interviewé un immigré que j’ai décidé d’en faire un personnage principal. Je me suis en effet aperçu que cette personne avait été expulsée de Corée. L’apprendre m’a beaucoup énervé car ce sont également des êtres humains. Et s’ils viennent en Corée avec un visa pour une certaine durée, ils ont dû payer une forte commission au passeur. Ils émigrent en Corée pour gagner un minimum leur vie, mais la réalité est différente. Ils sont plus ou moins forcés de devenir clandestins. Cette question n’est pas encore très connue et j’ai donc souhaité en parler.
Dans le film, Karim est confronté au racisme. S’agit-il d’un racisme économique ou de couleur de peau ?
Ces deux aspects du racisme constituent les deux faces d’une même pièce, mais il s’agit avant tout de la couleur de peau. C’est très bizarre, les gens à la peau foncée sont plus facilement discriminés alors que les Coréens sont plus « dociles » envers les personnes à la peau blanche. Je ne sais pas s’il s’agit d’un complexe, mais c’est la réalité.
Votre film est politique, revendiquez-vous l’étiquette de cinéaste politique ?
Je ne refuse pas ce titre, mais ce n’est pas intentionnel. Je ne fais pas des films à but politique parce que je le veux. Je suis simplement inspiré par la réalité quand j’observe la société coréenne actuelle. Mais cette étiquette de « réalisateur politique » m’est très désavantageuse en Corée. Malheureusement, je l’accepte comme mon sort car j’admets que je suis un réalisateur politique. C’est pour cela que mon film a été interdit aux mineurs.
Que pensez-vous de cinéastes comme Im Sang-soo, qui font également des films très politiques ?
Im Sang-soo est un cinéaste que je respecte beaucoup, mais qui est plus populaire dans le sens positif du terme. C’est-à-dire qu’il s’adresse à un public plus large. Je pense par ailleurs que notre approche est différente. Il regarde le monde d’une manière plus objective, ce qui le conduit à une certaine forme de cynisme dans laquelle je ne me reconnais pas. Mais comme il a un esthétisme très fort, j’aime bien ce qu’il fait.
Etait-ce votre intention de choquer, en faisant tomber amoureux l’adolescente et l’immigré ?
Ce n’était pas intentionnel dans le sens où je ne voulais pas choquer pour choquer. Mais dans le même temps c’est intentionnel car je voulais que cela soit près du réel et que certaines personnes puissent ressentir ce qui découle de cette relation. Beaucoup de spectateurs aiment ce côté surprenant.
Il y a beaucoup d’éléments comiques dans mon film, mais je ne voulais pas faire un film simplement comique au cours duquel les gens puissent rires C’est pour cela qu’il contient des éléments troublants. S’il y a certaines personnes que cela gêne, d’autres en revanche aiment être un peu malmenées. Si j’avais voulu faire un film plus populaire, j’aurais évité de multiplier ces éléments, mais tel n’était pas mon but.
J’ai beaucoup aimé votre personnage féminin. Qu’est ce qui est typique d’une adolescente coréenne de son âge, et qu’est ce qui ne l’est pas ?
D’un côté, elle ressemble à beaucoup de lycéennes coréennes : elle a envie d’apprendre l’anglais comme ses camarades de classe, elle a des désirs, des rêves tout à fait normaux. Mais elle a aussi un côté original : elle est très positive et je pense qu’elle fera partie des personnes qui dirigeront le pays dans 10 ou 20 ans. En 2008, il y a eu des manifestations à la bougie en Corée pour protester contre l’importation de bœuf américain et ce sont les lycéens qui ont lancé le mouvement. Beaucoup de personnes ont dit que le film avait annoncé la participation massive des lycéens à ce mouvement. Je pense que ce sont les personnes les plus aptes à clamer leurs sentiments de liberté et à les défendre. Bien sûr, certaines personnes ont affirmé que de telles lycéennes n’existaient pas en Corée. A contrario, d’autres en connaissaient dans leur entourage. Il n’y en peut être pas énormément, mais je suis sûr qu’il y en a. Je pense que la société s’améliorera s’il existe beaucoup de filles comme elle.
Le film parle de l’amitié entre un travailleur immigré et une lycéenne, mais au début celle-ci éprouve une sorte de mépris à son égard. Pour moi, Bandhobi est une histoire d’apprentissage. J’avais réalisé ce film à l’intention des lycéens et des lycéennes coréens. Du coup l’interdiction au mineur m’a déçue. En revanche, sa présentation à Nantes dans la section jeunesse m’a vraiment fait plaisir.
Pourquoi le film a-t-il été interdit aux mineurs ?
Parce que mon film est gênant selon l’explication la plus superficielle. Il y a bien sûr deux scènes qui sont très sensibles, mais elles ne gênent pas que les mineurs, elles gênent aussi les adultes. On m’a dit qu’elles pourraient choquer les mineurs. Mais je pense que ce n’est pas du coup le cas, car même s’ils n’en ont pas fait l’expérience, ils ont une certaine connaissance de la vie sexuelle. Je ne vois pas en quoi cela peut les choquer. On a également mis en avant le risque que les adolescents copient les scènes du film. Moi, je pense qu’ils sont suffisamment adultes pour savoir ce qu’il faut copier ou pas. A mon avis, la raison réelle, qui a été passée sous silence, est que les adultes craignent que les adolescents soient influencés par le film. Je n’ai pas eu de chance de tomber sur un gouvernement coréen très conservateur, presque d’extrême droite.
Je me demandais si le film était organisé autour des scènes de repas ? Pourquoi leur avoir accordé autant d’importance ?
Ce n’était pas intentionnel. Les scènes de repas sont très importantes dans mes films et pas seulement dans celui-là. Cela vient du fait que les personnages sont ensemble, donc communiquent et se regardent les yeux dans les yeux. Les gens peuvent devenir amis ou se comprendre mutuellement. Ces scènes me viennent naturellement.
Le film ne donne pas une bonne image des coréens. Quelles ont été les réactions des spectateurs coréens ?
Les spectateurs qui ont aimé mes films précédents m’ont soutenu. Les personnes qui n’aiment pas le gouvernement l’ont aussi apprécié car il dénonce sa politique. Sinon, d’autres ne l’ont pas aimé en raison de cet aspect politique. Si le film était resté limité à l’histoire d’amitié, ils l’auraient trouvé vraiment très bien. Les avis sont partagés, mais comme il y a peu de réalisateurs qui font des films engagés, certains spectateurs attendent de voir mes prochains films. Mais je regrette surtout beaucoup que des personnes aient massacré le film sur Internet sans l’avoir vu. Quand je lis leurs commentaires, je sais qu’ils n’ont pas vu Bandhobi et je le regrette.
L’interview a été réalisée dans le cadre du Festival Un État du monde... et du cinéma au Forum des images.
Remerciements à Nathalie Benady pour avoir rendu possible cette interview et à Yejin Kim pour sa traduction.
Photos de Shin Dong-il : Kizushii.
[1] L’équivalent de la Femis en France.
[2] "Un effet de distanciation est un procédé utilisé dans le cadre d’une narration fictionnelle, ayant pour objectif d’interrompre le processus naturel d’identification du lecteur ou du spectateur aux personnages auxquels il est confronté" - Wikipedia.


