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- Interview du 10 mars 2005
- Interview du 5 février 2002

 

La dernière fois que nous vous avions rencontré, c'était à l'occasion de la sortie en salles d'Audition, le premier de vos films distribué en France. Depuis beaucoup de vos réalisations sont sorties, sur les écrans et en DVD - les trois Dead or Alive, Visitor Q, Gozu, Bird People in China, Fudoh… avez-vous l'impression que le regard du public français sur vous a changé au cours de cette période ?

Je ne sais pas… Les journalistes français - et même plus généralement le public français - ont vraiment l'œil aiguisé. J'ai toujours l'impression d'être un peu mis à nu, puisque finalement je me dis "mais ils ont tout compris ! ". Ils posent vraiment des questions très pointues, très précises, et du coup j'ai toujours une certaine pression à répondre aux interviews des journalistes français, parce que c'est toujours un peu impressionant pour moi…

Est-ce que vous avez l'impression que l'hommage qui vous est donné à Deauville cette année est représentatif de votre œuvre ?

Oui, je trouve que c'est une très bonne sélection. En tout cas moi je m'y sens très à l'aise, je trouve que c'est une sélection qui est cohérente. Je me suis dit en voyant la liste : "ah ben tiens il y a celui-là et celui-là aussi, et s'ils mettent celui-là il y a aura peut-être tel autre film…", et je n'ai pas été déçu. Non, je trouve que c'est plutôt représentatif, donc je suis assez content.

A l'exception de Fudoh pour une fois, contrairement à la plupart des festivals jusqu'à maintenant, l'accent n'est pas mis ici sur la violence de vos films. Pourtant, bien que je ne pense pas que ce soit un point sur lequel on puisse vous attaquer, cette violence semble vraiment essentielle dans votre œuvre. Que ce soit dans Ichi the Killer ou plus récemment Izo - où la question est posée de savoir "est-on brutal parce qu'on est un homme, ou est-on un homme parce qu'on est brutal", on a l'impression que la violence est essentielle dans votre portrait de l'homme. Est-ce que vous n'avez pas l'impression que les gens qui vous interrogent sans cesse sur la violence dans vos films n'assument pas eux-même cette violence inhérente à l'homme, et qui n'est donc pas remarquable ?

En effet l'un des commentaires les plus courants lorsque l'on parle de ma filmographie, c'est que ce sont des films violents, et on parle souvent de violence gratuite. Or moi j'ai une explication qui est paradoxalement très technique et très matérielle à ça. Tourner une scène de violence, d'action ou de combat, c'est quelque chose qui ne va pas sans une affection finalement, une affection assez forte entre deux comédiens ou au sein même de l'équipe. Il faut vraiment qu'il y ait un climat de confiance qui règne, parce qu'il y a d'autres scènes à filmer après, et donc on ne peut pas s'amocher pour de vrai. Ce qui fait que l'on tourne des scènes qui sont le plus réaliste possible, et vraiment à la limite des capacités physiques des acteurs. Donc ce sont quand même des scènes qui sont très éprouvantes pour eux, qui demandent une certaine osmose entre les deux acteurs, ou plus d'acteurs s'il y en a plus. Et puis le cameraman, le chef opérateur qui va assister à la scène, va vouloir tout faire pour ne pas décevoir les acteurs qui se seront beaucoup donnés ; du coup il va essayer de se positionner dans des angles, qui vont faire que la scène va être la plus violente possible à l'écran, qu'il y ait vraiment un rendu à l'image qui soit percutant. C'est toute une émulation entre les membres de l'équipe, qui fait que tourner une scène d'action, une scène de violence est vraiment très agréable. Moi je prends beaucoup de plaisir à tourner ces scènes là, et c'est tout le paradoxe. C'est une situation un peu ironique, car tourner une scène de violence donne à l'écran quelque chose d'assez aggressif, quelque chose d'assez froid même parfois peut-être. Or sur le lieu de tournage et en tant que réalisateur, constructeur d'un film, d'une image, c'est quelque chose qui est absolument excitant, palpitant. Donc je sais que l'on me fait souvent le reproche d'en montrer beaucoup, d'en montrer trop puisque c'est vrai qu'après tout l'acteur principal pourrait donner un coup et son adversaire tomber tout de suite, et cela mettrait fin immédiatement à la scène de violence. Mais moi j'aime tellement ça, que j'ai envie qu'il y en ait encore plus et de plus en plus, donc c'est pour ça qu'il y a peut-être beaucoup de violence dans mes films…

Tout cela est très cohérent avec Ichi the Killer, dans lequel le héros reproche à l'un de ses adversaires le fait qu'il n'y ait pas d'amour dans sa violence…

Je pense que finalement la violence dans mes films, est quelque chose qui n'est pas très représentatif de la violence des êtres, des humains en général. Il y a des choses qui sont mille fois plus effrayantes et plus violentes et plus grotesques dans le quotidien, qui ne s'expriment pas au travers d'un acte physique. Je pense que mes films ne montrent pas cette violence là, c'est quelque chose de complètement décalé par rapport à cette violence réelle, qu'il peut y avoir entre les êtres.

Du coup ce que vous aimeriez sans doute, c'est que les spectateurs, plutôt que d'essayer de comprendre cette violence, passent plus de temps à profiter de vos films et à les ressentir ; est-ce pour ça qu'au terme d'Izo, au bout de deux heures de massacre tout de même, vous demandez littéralement au spectateur comment il a vécu sa vie, et ce qu'il a vu ? C'est à dire ce qu'il a retenu de votre film, en dehors du simple enchaînement graphique de violence ?

Outre l'aspect très violent du film, c'est vrai que je m'interesse aux motivations des personnages, de chacun d'entre nous. Cette fin là qui est un peu différente de la fin que j'avais imaginée dans le scénario initialement, qui n'est pas tout à fait conforme au scénario qui s'est un petit peu modifié au cours du tournage, je n'ai pas d'explication théorique à en donner. Ce qui est sûr c'est que pour moi, cet aspect violent est vraiment secondaire.

Pourtant cette question revient dans plusieurs de vos films. On a l'impression que vous avez souvent envie de demander aux spectateurs où ils en sont à un moment donné, et que vous-même avez besoin de savoir où vous en êtes dans votre parcours.

Il est vrai que finalement, la démarche de mes films est de me poser des questions, à moi. Ce sont ces questions que je me pose, qui aboutissent quelque part au résultat que l'on peut trouver à l'écran. Je n'ai pas du tout la prétention de poser des questions au public, en leur demandant où ils en sont, ce qu'ils font, etc… c'est vraiment un questionnement tout à fait personnel. A chaque fois que je réalise un film, je me dis que peut-être cela va me donner une réponse, qu'il va aboutir sur quelque chose. Je crois peu aux films porteurs de messages, qui soit-disant véhiculeraient une réponse à un questionnement partagé par d'autres personnes. Je trouve que c'est une démarche qui est plutôt prétentieuse, et que l'on ne peut pas prétendre détenir une vérité quelconque qui pourrait comme ça, être diffusée à travers le cinéma. Pour moi, ce sont plutôt chacun de mes films mis bout à bout qui peuvent témoigner de mon parcours, des questions que je me pose au fur et à mesure que j'avance et auxquelles finalement, je n'arrive vraiment pas à avoir de réponses. Je reconnais les revendications des réalisateurs et je reconnais qu'ils puissent avoir envie d'avancer un point de vue, mais je trouve que souvent les messages ont tendance à asséner des vérités que personne ne partage…

Vous vous orientez en partie vers un cinéma plus populaire, de divertissement plus explicite, avec Chakushin Ari et Zebraman notamment, et bientôt Yôkai daisensô

C'est vrai que je veux faire du divertissement ; en même temps je ne sais pas s'il faut vraiment en parler comme ça. Je pense que même en faisant des films populaires et grand public, on peut exprimer un certain nombre de choses. Je voulais aussi quelque part prouver qu'il était possible d'exploiter des registres tout à fait différents, même en faisant des films parfaitement grand public. En l'occurrence pour Yôkai daisensô, ce sont des enfants qui tiennent les rôles principaux. Le film se déroule de façon assez normale jusqu'à ce que finalement, il y ait une fin un petit peu inattendue. Le grand-père du petit garçon meurt, or c'est quelque chose qui arrive à tout le monde, et le petit garçon devient un peu le héros du film. Et puis finalement j'ai voulu montrer comment il était devenu et donc on passe à dix, vingt ans plus tard ; il y a donc une sorte de cohérence là dedans. Et puis il m'a quand même fallu deux-trois ans pour pourvoir m'affirmer en tant que réalisateur capable de pouvoir faire autre chose que des films marginaux. Je pense que j'y suis arrivé, et là c'est la première fois que je peux me dire que je suis vraiment satisfait d'un film. J'ai l'impression que ces 10-20 dernières années aboutissent enfin à quelque chose, à un vrai résultat, et que c'est un peu le début d'une autre période, d'une autre phase. C'est une étape, quoi. Je pense que vous devriez le voir : c'est la première fois que je peux vraiment être fier de quelque chose, sans me demander si ça va plaire ou ne pas plaire. Je ne peux pas du tout pronostiquer sur les critiques que je vais avoir par rapport à ce film là, mais je peux dire quoiqu'il arrive, que Yôkai daisensô c'est moi.

Akatomy

Entretien réalisé le jeudi 10 mars 2005 au 7ème Festival du film asiatique de Deauville, à l'occasion d'une retrospective Takashi Miike. Traduction effectuée par Léa Le Dimna, que l'on remercie tout particulièrement pour la qualité de son travail et sa gentillesse.
Photos prises par Kizushii.