Sancho does Asia, cinémas d'Asie et d'ailleurs
Hong Kong | Festival du film asiatique de Deauville 2005 | Rencontres

Fruit Chan

"Au lieu d’attendre ce moment où les spectateurs vous trahissent, j’ai décidé de les trahir d’abord."

Fruit Chan est certainement l’un des réalisateurs que l’on attendait le moins au générique d’un projet comme Three Extremes ; notre rencontre à l’occasion de sa venue au Festival de Deauville, où étaient présentés aux côtés de l’anthologie, Made in Hong Kong, Little Cheung et Durian Durian, nous a permis d’en savoir un plus sur la genèse de Three Extremes, et sur le rapport de Fruit Chan au marché hongkongais en général.

Sancho : Comment est née votre participation au projet Three : Extremes ?

Fruit Chan : Lorsque l’on m’a proposé de faire ce film, je n’étais pas trop d’accord. L’idée de départ était de faire un film de fantôme, hors ceux-ci sont trop commerciaux et je doutais de pouvoir livrer un film largement différent de ce qui existe déjà. Il est difficile de sortir du cadre traditionnel des films de fantômes, surtout pour un réalisateur indépendant comme moi. C’est pour ça que ma première réponse n’a pas été positive. Peter Chan - le producteur exécutif - a cependant eu une discussion avec moi, et il m’a promis de me laisser une grande liberté pour que je puisse réaliser un film qui ne soit pas un film d’horreur traditionnel ; c’est après cette discussion que j’ai donné mon accord.

Ce qui m’a attiré dans le projet tout de même, c’est que c’est une très bonne idée de réunir trois réalisateurs de générations différentes. Les réalisateurs coréen et japonais (Park Chan-Wook et Takashi Miike, NDLR) sont déjà très connus contrairement à moi, et c’était la première fois que l’on nous proposait de travailler comme ça, ensemble tous les trois, et cette idée m’a séduit. Ca m’a de plus paru une bonne façon de montrer le dynamisme du cinéma asiatique.

Est-ce que dès le départ vous saviez que vous alliez faire une version plus longue du segment que vous alliez proposer pour Three Extremes ?

Ce n’est qu’au cours de l’écriture du scénario que j’ai eu l’idée d’écrire un long métrage. Parce que normalement, les spectateurs sont plus habitués à voir un long métrage qu’un court métrage, et que l’idée du film, son histoire, s’y prétaient bien. L’idée était de faire un film qui puisse se vendre auprès du public, mais qui soit en même temps un film d’horreur sans fantômes. Sur le marché une telle approche comporte des risques ; réaliser un long métrage permettait notamment de les réduire.

Si dans sa forme courte Dumplings est un film d’horreur, ce n’est pas le cas dans sa forme long métrage : il devient alors un film social, centré sur un conflit de générations entre les protagonistes féminines...

Pendant le tournage, nous n’avions pas envie de tourner un film d’horreur dans le sens traditionnel du terme. Tous ceux qui ont participé à Dumplings sont des gens qui travaillent dans le cinéma indépendant, et donc tout le monde avait envie de montrer le côté humain de cette histoire. C’est pourquoi au final, c’est le conflit entre les deux femmes qui l’emporte sur l’horreur.

Que représente aujourd’hui le label Category III pour un film à Hong Kong ? Dans les années 90, il était très lié à la violence et une certaine forme de vulgarité, d’amoralité...

[ Rires] En tournant Dumplings, nous ne pensions pas réaliser un film de Category III. Cette classification vient de la censure hongkongaise, qui a trouvé le thème du film - manger des fœtus en bouillon - un peu trop limite. Il est vrai que, après coup, nous nous sommes rendu compte que c’était effectivement un peu trop limite...

Mais tout le monde était surpris, aussi bien les acteurs que l’équipe du film. Cette catégorisation explique bien certains points de notre société ; elle reflète le fait que, plus la société se développe, plus certains domaines renforcent leur côté conservateur. Hong Kong en est une bonne illustration : c’est une ville moderne mais qui est en même temps restée très conservatrice sur la plan cinématographique. A Taïwan par exemple, Dumplings n’a eu aucun problème.

J’insiste sur le fait que personne ne pensait réaliser un film de Category III ; peut-être Miriam Yeung, qui a un public principalement adolescent, a-t-elle d’ailleurs connu de mauvaises répercutions de ce côté-là...

Ce projet qui était pour vous une opportunité commerciale, vous donne-t-il envie de continuer dans la voie du cinéma commercial, ou au contraire de retrouver celle du cinéma indépendant ?

Dans le passé j’ai eu pas mal d’offres pour réaliser ce genre de films commerciaux, mais j’y avais toujours résisté. Le problème c’est qu’à Hong Kong, nous sommes contraints de faire ce genre de films pour survivre, car le marché des films indépendants est très restreint. Avec des stars et de meilleures conditions de travail - qui ne sont pas possibles avec le cinéma indépendant - c’est bien aussi ! A l’avenir je vais donc essayer de faire un peu plus de films commerciaux. L’essentiel, c’est de quand même garder un style personnel !

... ce que vous avez réussi à faire. Vous êtes quand même content de la présence de Dumplings au sein de votre filmographie aujourd’hui ?

Je ne suis pas 100% satisfait du film, mais j’en suis quand même assez satisfait.

Pouvez-vous nous parler un peu de votre collaboration avec Christopher Doyle ?

Avant, sur le tournage de mes précédents films, les cadreurs faisaient partie de mon équipe. J’étais donc le roi sur le plateau, je donnais des ordres. Chris Doyle étant qui il est - un maître de la photo -, il m’a fallu changer un peu ma façon de travailler. Il est très créatif, surtout dans sa façon de filmer les femmes, et c’est vraiment un grand apport de sa part dans le film. Mais l’inconvénient, c’est qu’il fallait passer pas mal de temps à discuter avec lui pendant le tournage !

Sur un sujet différents, que pensez-vous du travail des réalisateurs de la nouvelle génération en Chine Continentale, comme Jia Zhang Ke qui est lui aussi présent pour le festival ?

Jia Zhang Ke et moi sommes de très bons amis. Son film The Word n’est plus considéré comme un film underground contrairement à ses réalisations précédentes, car il a reçu l’approbation du gouvernement chinois. Peu importe que ce soit un film indépendant ou non ; ce que veut un réalisateur c’est avoir toujours le plus de spectateurs possibles. Donc dans un sens, je suis content pour Jia Zhang Ke parce qu’il est sorti de l’underground, et qu’il aura certainement plus de spectateurs désormais.

Pensez-vous de la même façon, que le fait d’avoir participé à un film « grand public » va donner envie aux spectateurs hongkongais de découvrir vos films précédents, ou est-ce qu’au contraire ils vont attendre de vous plus de films comme Dumplings ?

Ca c’est une question sérieuse, il faut y réfléchir. Déjà pour Dumplings, j’ai essayé de tourner d’une façon qui ne soit pas trop commerciale - pas dans le sens traditionnel du terme. Ce que je veux en réalité, c’est trouver le juste milieu entre le cinéma indépendant et le cinéma commercial. Je suis très conscient du fait que les spectateurs sont toujours très réalistes : le jour où vous tournez un film qui n’est pas de très grande qualité, ils ne vont pas aller le voir. Donc au lieu d’attendre ce moment où les spectateurs vous trahissent, j’ai décidé de les trahir d’abord, en faisant déjà un film différents de mes précédents. J’espère que cela continuera de fonctionner.

Est-ce que le public hongkongais a bien réagi, à Three Extremes comme à Dumplings ?

La réaction du public hongkongais est plutôt bonne ; cependant il y a eu une petite déception de la part du grand public, qui s’attendait à ce que le film ait plus d’impact, qu’il soit plus choquant. Mais il faut rappeler que les cinéastes indépendants ne peuvent jamais faire de films trop commerciaux...

Est-ce qu’il y a aujourd’hui à Hong Kong beaucoup de cinéastes indépendant dans votre situation ?

Il y a très peu de cinéastes comme moi, parce que le cinéma indépendant hongkongais n’a pas encore atteint un stade de maturité. Les films qui sont réalisés par des cinéastes indépendants ne sont donc souvent pas distribués... Pour quelques uns exceptionnellement, il recevront comme moi les propositions de grandes boîtes de production !

Ne recevez-vous pas d’offres de production de l’étranger, pour vous inciter à faire du cinéma indépendant ?

Je n’ai pas assez de temps en ce moment pour accepter ce genre de propositions, car j’ai moi-même trop d’histoires à raconter. Je veux donc faire mes propres films !

Lire aussi l’article sur Dumplings.

Entretien réalisé le samedi 12 février 2005 dans le cadre d’un hommage à Fruit Chan, au cours du 7ème Festival du film asiatique de Deauville. Remerciements au Public Système Cinéma.

- Article paru le mercredi 23 mars 2005

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