Hard Boiled
Attention cet article est hautement subjectif...
Dans notre série "Sancho remonte le temps", il est grand temps que nous nous arrêtions sur John Woo. Et oui, l’homme par qui beaucoup d’entre nous découvrirent vraiment le cinéma de Hong Kong n’avait pas encore eu le droit à un petit article (mais où avons nous la tête, je vous le demande). Alors illico presto essayons de nous rattraper avec un de ses films le plus connu, le gigantesque Hard Boiled (plus classe que A toute épreuve tout de même).
Puisque je parle de remonter le temps, au travers de mon article sur Hard Boiled, je vais tenter de faire partager quelques unes de mes impressions sur ce que j’ai éprouvé à ma première vision du film (c’était il y a quand même dix ans, mais j’ai une excellente mémoire). Mais remontons encore un peu plus loin en arrière. La première fois que j’ai entendu parler de John Woo, se fut lors d’une émission de Canal Plus dont j’ai oublié le nom (une émission fourre tout, soi disant sur les effets spéciaux mais qui parlait aussi de films d’horreurs, de policiers et même des tortues ninja !!! et présentée par une jolie rouquine, du moins dans mon souvenir), émission qui fit un reportage sur un nouveau réalisateur faisant un carton à Hong Kong et qui était en train de révolutionner le polar, avant de montrer un extrait du Syndicat du crime et plus particulièrement la séquence des pots de fleurs. Fan de films où il y a tirs en cascade ( !!!) comme je l’étais à l’époque (je le suis encore, mais maintenant j’aime aussi les mélos indiens), cette séquence m’a scotché (un mec avec deux guns dans les mains c’était du jamais vu), j’ai d’ailleurs aussi montré cette séquence à des amis dont le commentaire fut sans appel "bof, c’est le Walter Hill chinois". (je crois que mes amis étaient fans de Bergman et de Walter Hill donc !!!).
Un peu plus tard, c’est finalement grâce au Cinéphage (les premiers à avoir compris qu’il se passait quelque chose en Asie) que j’allais enfin connaître le cinéma de John Woo. Plus particulièrement lors d’une nuit au Max Linder (certains d’entre vous étaient peut-être dans la salle) présentant Hard Boiled, A Better Tomorrow et Bullet in the Head, et qui allait changer ma vision du film d’action (subjectif, j’ai prévenu)...
Tequila (Chow Yu Fat) est un flic pur et dur qui n’a qu’une seule idée en tête : stopper le trafic d’armes qui inonde la ville et provoque beaucoup de morts. Pendant une tentative d’arrestation qui tourne à l’affrontement avec des revendeurs d’armes dans un salon de thé, son coéquipier est tué. Le chef de Tequila essaye bien de l’écarter de son enquête, mais Tequila qui n’en fait qu’à sa tête, décide de s’en prendre à Johnny (Anthony Wong), un trafiquant d’armes qui essaye de prendre le contrôle du marché. Tequila croise alors la route de Tony (Tony Leung), un tueur à gages qui est en fait un flic infiltré qui essaye de découvrir la cache d’armes de Johnny. D’abord adversaires, Tequila et Tony vont bientôt se lier pour affronter Johnny, lors d’un final apocalyptique (c’est le moins que l’on puisse dire) à l’intérieur d’un hôpital.
Les yeux écarquillés, la bouche grande ouverte, telle est mon expression après dix minutes de film, le temps d’un premier gunfight et déjà je me dis que John Woo a enterré toute la production de films d’action américaine des années 80/90. C’est bien simple, pour moi le film est à mettre à côté du plus grand film d’action de cette période, j’ai nommé Die Hard (d’accord avec moi Akatomy ?). Rien ne pouvait me préparer à un tel choc. Des gunfights comme cela je n’en ai pas vus depuis Peckinpah. Pour moi la première scène d’action de Hard Boiled est peut être même le plus beau gunfight de toute la carrière de John Woo. Bien sûr, l’action pure est trépidante (Chow Yun Fat qui saute au-dessus des tables, qui se laisse glisser sur la rambarde d’un escalier, qui roule sur une table pour atterrir devant son adversaire - que des instants cultes) mais il y a surtout un travail de mise en place au niveau du jeu des regards des personnages, qui permet de les situer dans l’espace, de différencier toutes les forces en présence et de faire monter la pression avant l’explosion de violence. Et pourtant cette première séquence n’est qu’un avant-goût de ce qui va suivre. John Woo ayant tout simplement décidé de pousser l’action dans ses derniers retranchements, chaque nouvelle séquence d’action se doit alors d’être encore plus spectaculaire que la précédente.
A ce titre, la fin dans l’hôpital est un incroyable moment de sauvagerie guerrière, de plus d’une demie heure. C’est tout simplement du jamais vu à l’écran, il n’y a pas une minute de répit, alors que les méchants qui se trouvent dans tous les recoins de l’hôpital, menacent aussi bien les malades à l’intérieur que les flics à l’extérieur, les héros avancent dans les couloirs de l’hôpital en tirant sur tous ceux qui se dressent devant eux. Et comme si cela n’était pas suffisant, les gunfights se transforment en duel entre Tony Leung et Philip Kwok, qui se tirent dessus à bout portant tandis que Chow Yun Fat tente de protéger des bébés, tout en abattant ses ennemis (toutes les figures de style que j’allais découvrir par la suite dans les autres films de Woo sont ici réunies, les croisements de flingues, les glissades, les duels...).
Un spectacle incroyable qui donne l’impression de ne jamais s’arrêter. Le style de John Woo est au diapason de ce déferlement de violence, le réalisateur trouve des angles qui donnent une grande fluidité à l’ensemble des séquences, et les plans s’enchaînent avec une telle précision qu’on a l’impression de virevolter dans l’action. Une impression que je n’ai pas vraiment retrouvée dans les films américains de John Woo, à l’exception de Windtalkers (ça c’est pour dire que j’aime ce film, je sens que je ne vais pas me faire que des amis sur ce coup là), un autre film guerrier particulièrement violent.
Mais heureusement, le film n’est pas qu’une suite de gunfights ; si l’histoire en elle-même paraît conventionnelle de prime abord, elle permet pourtant à John Woo de tracer une nouvelle fois le portrait de deux hommes qui semblent dépassés par le monde qui les entoure, et dont les valeurs profondément humaines, telles que l’amitié et le sens de l’honneur, n’ont plus cours face à une nouvelle race d’hommes sans scrupules, incarnée ici par Anthony Wong. A ce titre le personnage de Tony (extrêmement bien joué par Tony Leung, vous vous en doutiez) est véritablement le pivot du film, à la fois policier, à la fois gangster, c’est un personnage qui a perdu ses repères ; il est à la fois tiraillé par son devoir mais aussi par le respect qu’il porte à un vieux chef de la mafia qui le traite presque comme son fils.
Le personnage de Tequila est tout aussi intéressant, bien que développé sur un registre plus enjoué (la décontraction naturelle de Chow Yun Fat y est sûrement pour quelque chose). Acharné à éradiquer le mal qui ronge Hong Kong, c’est lui aussi un personnage qui croit à certaines valeurs ; tel un chevalier il voit le monde coupé en deux - les bons d’un côté, les méchants de l’autre - et ne comprend pas vraiment les nuances du monde actuel, et surtout pas l’extrême cruauté qui anime les méchants. Ne pouvant respecter sa hiérarchie, sa seule réponse est de finalement répondre avec les mêmes armes et la même violence, face à ce monde qui le dépasse.
Dernier film de John Woo à Hong Kong, Hard Boiled est tout simplement l’un des grands films d’action de ces dernières années et dans son genre, c’est tout simplement un chef d’œuvre.
Hard Boiled existe dans une multitude d’éditions DVD... Mei Ah pour Hong Kong, Criterion pour les USA (une édition épuisée il me semble) et bien sur en France chez HK, très bonne édition qui contient un magnifique documentaire rétrospectif sur le tournage du film, qui fourmille d’anecdotes (indispensable).





