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Japon

13 Assassins

aka Juusan-nin no shikaku / 13nin no Shikaku - 十三人の刺客 | Japon | 2010 | Un film de Takashi Miike | Avec Koji Yakusho, Takayuki Yamada, Yusuke Iseya, Hiroki Matsukata, Tsuyoshi Ihara, Ikki Sawamura, Arata Furuta, Sousuke Takaoka, Seiji Rokkaku, Kazuki Namioka, Koen Kondo, Yuma Ishigaki, Masataka Kubota, Masachika Ichimura, Goro Inagaki, Koshiro Matsumoto, Ittoku Kishibe, Mikijiro Hira

Dans les dernières années du shogunat... Le beau-frère du shogun et seigneur d’Akashi, Naritsugu, commet méfait sur méfait, viole, mutile et exécute selon son bon plaisir, provoque le seppuku de personnalités bafouées et menace la paix du pays. Doi Toshitsura, le ministre de la justice, veut à tout prix mettre fin aux exactions de ce membre indigne de la famille régente, mais ne peut se résoudre à le faire par la voix officielle. Aussi fait-il appel au samurai Shinzaemon, qu’il charge de constituer une équipe pour assassiner Naritsugu pendant son voyage retour d’Edo vers Akashi, avant qu’il obtienne une nomination à même de le rendre plus dangereux encore. La stratégie de Shinzaemon, flanqué de onze lame dévouées, devra prendre en compte l’intelligence d’un ami d’antan, auprès duquel il avait appris le maniement du sabre : Hanbei, samurai à la tête de la garde de Naritsugu.

13 Assassins n’est pas le premier remake de la carrière de Takashi Miike [1] ; néanmoins, en s’emparant du classique d’Eiichi Kudo (1963), le réalisateur, flanqué de la plume de Daisuke Tengan [2], travaille pour la première fois sur un film grand public qui ne soit pas à destination des plus jeunes, et qui de plus s’ancre dans le patrimoine classique du cinéma japonais. Réussite incontestable, jidaigeki virtuose, 13 Assassins est aussi déjà, avant même le désaveu de Shield of Straw lors de la dernière édition du Festival de Cannes, le lieu de l’affirmation d’une triste certitude : jamais Miike ne sera-t-il réellement adopté par le public occidental.

S’il peut dans ses premiers instants intimider le néophyte, avec son contexte historique complexe et ses nombreux protagonistes, 13 Assassins a tôt fait de rassurer, déployant en réalité une trame simple et fluide, dépourvue d’errements superflus et de retournements incessants. Enjeux et antagonismes sont énoncés avec une clarté inhabituelle pour un genre souvent bavard, synonyme de géométries politiques insaisissables, et, la stratégie de Shinzaemon reposant sur un unique pari, une seule véritable prise de décision, le scénario pourra même paraître simpliste. Pour autant, Miike profite de cette simplicité pour laisser ses personnages porter le métrage, dans le dialogue comme dans l’action. Le spectacle découle des choix des personnages, plus qu’il ne les conditionne ; et s’il est vrai que le clou du film est bien sa bataille de plus de trois quarts d’heure, celle-ci n’est que l’expression de la volonté de l’ensemble de ses protagonistes, et non un objectif en elle-même. La preuve étant que Miike n’y recourt à aucun artifice de mise en scène ou de montage, ne s’éloigne jamais de ses héros pour apprécier tel ou tel effet ou se perdre dans la masse, pas plus qu’il ne souligne ou conditionne la dramaturgie par la musique. Cette dernière s’efface même complètement du film, une fois que les treize guerriers (12 samurais et un sauvageon) commencent, un par un, à rencontrer leur destin. 13 Assassins est tout simplement dépourvu d’emphase, intégralement porté par son écriture, ses acteurs, et l’efficacité économe de sa mise en scène.

Il devient dés lors rapidement évident que 13 Assassins est un excellent film. Mais s’agit-il d’un excellent Miike ? Si la réponse est positive en ce qui concerne la version japonaise, la version internationale, amputée d’une vingtaine de minutes, met en lumière une triste entreprise d’étouffement partiel de la personnalité du réalisateur. La quasi totalité des scènes mettant en scène le fantastique sauvage incarné par Yûsuke Iseya, Kiga Koyata, en sont absentes. Or si Miike s’incarne en partie dans le personnage de Shinzaemon, c’est d’autant plus vrai de Koyata. Samurai œuvrant pour les politiques à détruire le rejeton du système tout en faisait preuve d’une droiture exemplaire, le premier évoque la position de Miike aux commandes de films de studio, tentant de conserver sa vision, sa personnalité si particulière, au sein de produits commerciaux [3]. Le second, lui, exprime cette personnalité. Certes, il y a des animaux de synthèse – une marque de fabrique depuis les tortues de Bird People in China -, et quelques cadrages retournés qui rappellent l’expérience Izo, mais c’est bien Koyata qui incarne le héros « Miikeien » par excellence.

Insolent, grossier et sexué, il porte les seuls excès du film – ce qui explique certainement que ses scènes aient sauté pour la distribution internationale. Son ultime et improbable résilience – le trait de caractère par excellence des figures chères à Miike [4] – est la seule exubérance que le montage occidental lui ait laissé, mais elle perd beaucoup de son sens dans l’omission volontaire des précédentes. On pense alors aux films de Jackie Chan, diffusés chez nous à conditions d’être expurgés de leur dimension humoristique. Personnellement, j’aime autant que les films de Miike restent marginaux plutôt que de subir de telles coupes – d’autant plus embarrassantes que l’une des scènes coupées (Koyata ayant brisé de son appétit sexuel toutes les femmes, recroquevillées de douleur devant sa cahute, du village « acheté » pour tenir lieu de champ de bataille, il reporte son attention sur le maire) est la préférée de Miike, reconnaissant à ses producteurs de lui avoir accordé ces écarts !

Soit, le spectateur occidental non avisé pourra tout de même profiter d’un jidaigeki remarquable, jouir de la prestation phénoménale de Koji Yakusho et bondir de bonheur devant sa promesse manuscrite de « massacre totale » brandie face à l’adversaire Naritsugu ; apprécier l’intelligence d’un film qui fait de ses protagonistes, bons ou méchants, de simples lames en mal de conflits ; et voir enfin une épopée qui jamais ne l’étouffe d’émotions préfabriquées, pas plus qu’elle ne croule sous la violence en dépit d’accumuler les morts, trop heureuse d’offrir à chacun l’opportunité de s’accomplir. Quand un massacre s’achève sur un sourire... Mais qu’en est-il de pouvoir apprécier complètement le cinéma de Takashi Miike, dans sa première véritable incarnation populaire ?

13 Assassins est disponible partout - chez nous, c’est Métropolitan Video / Seven 7 qui l’a édité en DVD et Blu-ray -, mais seules les éditions japonaises et coréennes (sans sous-titres) proposent le montage intégral.

[1Cet honneur revient à The Happiness of the Katakuris, qui révisait en 2001 le film coréen The Quiet Family.

[2Daisuke Tengan a déjà travaillé pour Miike sur les scénario d’Audition et Imprint. Il a aussi écrit les scénarios de The Most Terrible Time in My Life, Stairway to a Distant Path ou encore L’Anguille et De l’eau tiède sous un pont rouge, et est par ailleurs réalisateur (Waiting in the Dark).

[3Préoccupation qui parcourt aussi Zebraman 2 la même année.

[4Qui apparaît aussi comme un trait du village d’Ochiai lui-même, destiné à être intégralement reconstruit à l’aide de l’argent offert par Shinazemon une fois la bataille et ses morts oubliés, ainsi qu’exprimé par le maire dans une scène elle aussi coupée.

- Article paru le lundi 24 février 2014

signé Akatomy

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