"Masters of Horror" épisode 13/13 de la
première saison (Showtime), annulé aux USA et diffusé en Angleterre
sur la chaîne Bravo
Scénario de Daisuke Tengan, d'après le roman de Shimako Iwai
Musique de Kozy Endo Jr. (Kôji Endô)
Avec Youki Kudoh, Michie (Michie Ito), Toshie Negishi, Billy Drago
The sins of the fathers are visited upon the
sons.
Masters of Horror… le projet a priori improbable
de Mick Garris, de réunir tous les plus grands noms de l'horreur
"classique" a vu le jour cette année sur la chaîne américaine Showtime.
13 noms qui sont autant de têtes d'affiche - Romero, Argento, Carpenter,
Hooper, Coscarelli et j'en passe -, pas forcément "bankable"
mais ô combien symboliques en cette période de renouveau horrifique.
Car si ces maîtres, qui ont fait de notre culture ce qu'elle est,
qui ont pour beaucoup posé les bases du film de genre de la fin
du siècle dernier, sont absents des salles obscures, leur influence
a rarement été aussi palpable que ces dernières années. Au milieu
des ces 13 patronymes, synonymes d'autant de cauchemars, un se détache
particulièrement du lot : celui de Takashi Miike. Seul asiatique
du lot, l'un des seuls réalisateurs découvert dans les années 90
(aux côtés de Lucky McKee), seul metteur en
scène non dédié à un genre. Mais Mick Garris ne s'est pas trompé
dans son choix : Miike est certainement le plus grand réalisateur
"de genre" en activité, étant donné qu'il s'est quasiment attaqué
à tous les schémas existants, les passant sous la moulinette si
particulière, du quasi-néophyte. Pas que Miike soit novice en matière
d'horreur, non, mais l'homme ne possède pas un attachement particulier
pour le genre horrifique. C'est certainement ce qui lui permet de
l'aborder sans idées préconçues ni limitations, pour le meilleur…
et pour le pire. Garris lui a confié la treizième et dernière position
dans cette première saison de Masters of Horror ; si l'ami
de Stephen King n'est certainement pas superstitieux, il ne se doutait
visiblement pas de ce qui l'attendait. En début d'année à la vision
d'Imprint, Showtime et Garris annulent la diffusion
de la première incursion télévisuelle anglophone de Takashi Miike,
préférant laisser à Anchor Bay et William Lustig, chargés
de l'exploitation en DVD de la série, le bénéfice d'une sortie non-censurée,
à même de respecter la force morbide de cette œuvre insensée.
Car Imprint, adaptation d'un roman de Shimako
Iwai, est bel et bien une œuvre insensée, et ce d'autant plus qu'elle
a été conçue pour la télévision. On imagine mal cette histoire de
bordel infernal passer en prime time sur une quelconque chaîne
française. Au passage, il est difficile de croire que les anglais
eux, aient fait le choix de diffuser Imprint sur la chaîne
Bravo ; le temps des Video Nasties est donc très largement
révolu…
"What is done here is best done in the
dark..."
Imprint… comment présenter ce film qui,
comme l'exprime si pernicieusement, a posteriori, son titre, laissera
une empreinte indélébile sur ses spectateurs ? Il convient certainement
de préciser que le scénario a été signé par Daisuke Tengan, qui
en tant que fils de Shohei Imamura, a signé un certain nombre de
films pour son père ainsi que pour Kaizo Hayashi, mais est, pour
le public international, intimement lié à Miike pour son travail
sur Audition. Audition,
premier cauchemar "miikien" ressenti dans le monde entier comme
un coup de poing, vrai-faux film d'amour et d'horreur, masculin
et féminin, indélébile lui aussi… Il est à peu près certain que,
pour son exploitation mondiale, Imprint pâtira de sa filiation
avec Audition, qui fera de lui une bête de foire par anticipation,
un freak, que l'on aimera pour sa beauté ambiguë, semblable
à celle de la prostituée interprétée par la troublante Youki Kudoh…
Au dix-neuvième siècle, au Japon. Un journaliste
américain (Billy Drago) écume les îles japonaises à la recherche
de l'amour de sa vie, une prostituée du nom de Komomo qu'il souhaite
ramener avec lui sur le nouveau continent pour refaire sa vie. Parvenu
sur une île dédiée à un certain monde flottant - les artistes en
moins -, il se voit confier pour la nuit aux soins d'une prostituée
difforme, son visage figé dans un demi-rictus, qui va lui conter
le funeste destin de sa bien-aimée, mais aussi lui révéler son secret…
Imprint s'ouvre sur le cadavre d'un bébé
avorté, suivi de près par celui encore gonflé, d'une femme enceinte
confiée à l'oubli des eaux japonaises. Les images sont brèves mais
suffisent à instaurer un malaise inattendu : en brisant d'emblée
un double tabou du cinéma contemporain - et peut-être même de tout
les temps - au travers de ces deux figures "assassinées", Miike
emmène Billy Drago sur les rives d'un enfer certain, incitant le
spectateur à marcher sur ses traces. Imprint se pare alors
d'un rythme étrange qui est celui du conte à tiroirs ; lui-même
conteur, Miike offre à Youki Kudoh l'opportunité de nous raconter
une histoire. La mise en place de cette séance de narration en gigogne
possède un caractère théâtral certain, que ce soit dans le jeu d'ombres
qui accompagne la présentation de cette prostituée défigurée ou
dans le jeu de Drago ; mais ce théâtre est celui de la cruauté.
"I find almost everything strange."
Avec une économie de moyens remarquables, réduisant
son cadre à une poignée de lieux et de personnages, Miike se jette
tête baissée dans un portrait insoutenable de violence injustifiée.
Accusée de vol par la tenancière du bordel où elle travaille aux
côtés de la femme freak, la délicate Komomo est torturée
par des femmes qui lui jalousent sa beauté et sa jeunesse. Les motivations
paraissent légères, les tortures d'autant plus innommables qu'elles
sont simples, essentielles, frontales. Eli Roth et son Hostel
en carton pâte peuvent aller se rhabiller, car, bien plus que dans
tout son travail antérieur, Miike joue avec Imprint la carte
de l'horreur pur (les ongles, au secours!!!). Même un certain
"kilikilikili" semble désormais bien désuet…
A l'image de sa remarquable héroïne, héritière
d'une tradition érotico-grotesque pervertie, Imprint est
une entité multiple, hybride, à la fois conte moral, film d'horreur
et œuvre surréaliste. A la fois parent de Gozu
et d'Audition, il parvient à s'imposer en œuvre délicate
(dans sa précision chirurgicale, dans la beauté de sa mise en
scène, dans la qualité de son interprétation féminine) autant
qu'en film détestable, presque inconscient. Car une fois le fin
mot de l'histoire révélé, la douleur n'est plus le seul malaise
charrié par Imprint : Miike y cumule l'infanticide, le fratricide,
le parricide, l'inceste… le tout dans une recherche absolue de l'enfer,
pour permettre à une âme innocente - la seule dans cet enfer fait
de démons et de trainées, pour reprendre les mots
de Youki Kudoh - de rejoindre le paradis à coup sûr. Imprint
gagne encore en ambiguïté au travers de sa seule faiblesse apparente
: les dialogues prononcés en anglais par les acteurs japonais. Le
film, plutôt que d'être déstablisé, y
trouve un caractère intemporel et irréel, à la fois familier et
inssaisissable.
Après ses incursions réussies dans l'univers du
cinéma grand public, Miike s'en est revenu au cinéma pour adultes,
plus à même de terrifier les foules. Car en flirtant avec l'enfance,
Miike s'est renforcé en tant qu'être humain, a découvert de nouvelles
sources de terreur, parfaitement retranscrites dans Imprint.
S'il est ici capable de tourner le dos à l'enfance avec une
telle violence, lui imposant de façon fantastique l'héritage
de la violence et du pêché, c'est justement parce qu'il
la reconnaît comme essentielle. Le résultat, qui est au film
d'horreur ce qu'Izo
est au film de sabre, est aussi magnifique qu'abject, louable autant
que détestable. Imprint est un film que nul n'est prêt d'oublier;
tout comme ses protagonistes ne peuvent oublier ou ignorer ce qui
les définit, la force qui les a mis au monde et les pousse
à vivre, dans l'enfer transitoire incarné par cette
île de plaisirs et de douleurs. Tout est dans le titre.