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Japon

Gamera the Brave

aka Gamera : The Little Braves - Gamera : Chiisaki yusha-tachi | Japon | 2006 | Un film de Ryuta Tazaki | Avec Ryo Tomioka, Kanji Tsuda, Kaho, Susumu Terajima, Tomorowo Taguchi, Kaoru Okunuki

Coming out et apogée du Gamera Dilemma.

Nous sommes en 1973 et la préfecture de Shima est sous l’assaut des redoutables Gyaos. Gamera, terrassée, n’a d’autre solution que de se sacrifier sous les yeux médusés d’un petit garçon. La tortue géante, gardienne de l’univers, explose, emmenant les infâmes reptiles carnassiers dans l’autre monde avec elle.
33 ans plus tard. Le petit garçon a eu le temps de devenir un homme, un mari, un père, un veuf. C’est le premier été que Kosuke Aizawa passe sans sa femme Miyuki, le premier été que Toru, son fils, passe sans sa mère. Un jour, alors qu’il s’apprête à aller à la plage avec ses camarades de classe, le regard de Toru est attiré pour la seconde fois par une lumière scintillante rouge, en provenance d’un îlot. Toru nage jusqu’au point lumineux, qui s’avère être un étrange caillou, sur lequel se trouve un œuf qui éclot dans ses mains. C’est une tortue qui en sort, et Toru l’appelle Toto - le surnom que sa mère lui a toujours attribué.
Rapidement, il s’avère que Toto n’est pas une tortue comme les autres. Elle grandit très rapidement, est capable de voler. Ce qui fait dire à Mai, jeune voisine et amie de Toru sur le point de se faire opérer du cœur, que Toto n’est autre que Gamera. Toru refuse d’admettre que son Toto soit un kaijû... mais si c’était la vérité ? L’arrivée à Shima d’une créature baptisée Zedus, peu de temps après le démantèlement de L’UOTF (Unusual Organisms Task Force, l’unité chargée de la défense de la population contre les kaijû), sans emploi depuis le sacrifice de Gamera, lui donnera l’occasion de découvrir la véritable nature de Toto...

A brief history of violence.

Depuis ses débuts en 1965, la série Gamera, créée par la Kadokawa pour tenter de contrecarrer la suprématie de Big G - Godzilla - a toujours eu du mal à affirmer son orientation, oscillant entre les épisodes sombres et violents (Gamera vs Gyaos, Gamera vs Jiger) et des épisodes tournés vers le jeune public (Gamera vs Viras) quand ils ne sont pas simplement puérils (Gamera vs Zigra). Pourtant siège d’un certain renouveau du kaijû, la série dite « classique » des Gamera s’éteind en 1971 avec une certaine déchéance de son héroïne éponyme. Pas que l’orientation infantile soit une chose à blâmer en elle-même, le problème est que la créature n’est jamais cohérente, pas plus que l’univers dans lequel elle évolue. La tortue qui affronte le premier Gyaos serait en effet incapable de danser en entonnant son propre thème musical, comme elle le fait dans Gamera vs Zygra... L’instabilité de Gamera réside donc dans son historique, remarquable dans une certaine violence (les Gyaos capables de s’auto mutiler pour assurer leur survie, la brutalité des affrontements des épisodes sombres), nettement moins remarquable dans sa façon, primaire, de s’adresser aux plus jeunes. Incapable de choisir une orientation, la série ne s’achèvera jamais véritablement, laissant le destin d’une Gamera transformée en prétexte de destruction de maquettes en suspens, la faute aux soucis économiques de la Kadokawa au début des années 70.

Puis en 1995 - zappons le « faux » épisode de 1980, aberration faite de stocks shots sur laquelle nous reviendrons un jour - Shusuke Kaneko se penche sur l’histoire de Gamera, réécrit cette historicité instable de la gardienne de l’univers en en faisant une combattante totale. Kaneko puise dans les épisodes les plus sombres de la série classique, en ressort l’effroyable Gyaos, pour transfigurer le kaijû eiga, le remettre au goût du jour, le rendre lus spectaculaire certes, mais aussi plus adulte. Ce qui ne veut pas dire pour autant que l’homme délaisse les enfants ; ils occupent au contraire dans sa trilogie un rôle central, entités communiquantes et innocentes, forcément alliées de Gamera puisqu’avenir de l’humanité. D’ailleurs les relations des enfants avec Gamera et Iris qui sont au centre de l’incroyable Gamera 3 : Revenge of Iris sont certainement la matière première d’inspiration de Gamera the Brave, même si celui-ci s’avère moins complexe, puisque moins préoccupé par une frontière floue, flottante, entre le bien et le mal. Gamera the Brave lui, est donc à la fois héritier de Kaneko et de la série classique, dans ses veléités infantiles. Ryuta Tazaki se propose de revenir en arrière, débutant son histoire en 1973, à peu de choses près à l’époque d’un hutième épisode avorté (Gamera vs Leoman), pour poser de nouvelles fondations pour la série, mais aussi affirmer définitivement ce que l’on pourrait appeler « le dilemme de la tortue ».

Gamera est mort, vive Gamera !

Ce n’est pas innocent si Gamera the Brave débute en 1973, avec la mort du Gamera originel, celui-là même qui s’est abaissé au xylophone sur le cadavre de Jiger, aux mains des Gyaos. En confrontant de façon extrêmement brutale - Gamera se fait, à peu de choses près, dévorer vivante - la tortue au plus agressif de ses ennemis historiques, Ryuta Tazaki lui offre l’opportunité de redorer son blason, se sacrifiant dignement au combat telle une véritable guerrière. De quoi clore un chapitre en beauté, offrir à Gamera un enterrement qu’elle n’avait jamais eu puisque Kaneko lui, dans sa superbe, avait tout de même omis de prendre en compte son passé. C’est ici chose faite avec une ouverture en forme de conclusion tardive donc, qui tisse tout de même dans sa violence, une filiation certaine de reconnaissance avec le revival Kaneko. Tout le monde est content.

This isn’t Kansas anymore, Toto.

« Notre » Gamera enterrée, il convient donc de la ramener à la vie, de la redéfinir. Symboliquement, Tazaki invente et détruit l’UOTF (cf. résumé) pour renforcer l’impression de fin d’une époque, et permettre à Toto de prendre son envol. Littéralement d’ailleurs, et c’est tant mieux : car dans cette première partie étonnante - surtout pour qui ne connaît que les films de Kaneko - le réalisateur se sort avec brio de cette description d’une amitié contre nature. Si la relation qui unit Toru et Toto n’est pas sans rappeler celle, antagoniste, au cœur de Gamera 3, le spectacle est ici sans aucune ombre, léger et humoristique. Outre le premier vol d’une Gamera encore minuscule, fantastique, la séquence où la tortue affronte les dangers domestiques à coups de flammèches dévastatrice est excellente (mention spéciale par ailleurs au générique de fin et à ses « images de vacances » de la petite Gamera). Tazaki fait preuve d’une certaine intelligence de mise en scène, jouant du hors-champ comme il le fera dans les scènes d’affrontements entre Gamera « ado » et Zedus, et usant aussi de la connaissance qu’ont les spectateurs des capacités dévastatrices de la gardienne de l’univers. Mais Gamera the Brave s’affirme alors, assurément et totalement, comme un kaijû pour les petits.

Un choix critiquable que cette orientation ? Pas vraiment. Car dans toute sa construction - et ce d’autant plus qu’elle commence à la (re)naissance de Gamera - l’histoire/spectacle conçue par Tazaki et les équipes de la Kadokawa possède - car ils la construisent de toute pièce, s’étant affranchis de l’ancienne Gamera - la cohérence qui manque à la série classique. Ici, l’orientation n’apparaît pas comme un faiblesse ou une tentative désespérée de faire des entrées, mais bien comme une carte d’identité, assumée et défendue. En regardant Gamera grandir de façon accélérée au côté d’enfants, non pas jusqu’à l’âge adulte mais jusqu’à une transition adolescente, le réalisateur lui donne une raison de se rapprocher des enfants, de transformer leur affection en sentiment réciproque. D’ailleurs, Toru n’omet pas de sauver la vie à Gamera alors qu’elle n’est encore qu’une grosse tortue de Floride. D’où une certaine volonté de protection en retour. En plus gros.

Le dilemme de la tortue.

Pourtant Toru n’est pas idiot : pas question de délaisser les adeptes de la série, et surtout les spectateurs conquis par Kaneko, qui a ressuscité non seulement Gamera, mais tout un genre de ses mains habiles. Les affrontements sont au rendez vous et tiennent du pugilat, surtout que Gamera s’en prend plein la figure, et que Zedus, créature au comportement presque félin en dépit de sa « réptilinité », est un ennemi aussi bête que brutal et spectaculaire. Les combats possèdent de plus une inertie certaine, car Tazaki gère les silences avec merveille. C’est là que le « dilemme de la tortue » refait surface, incapable d’abandonner la violence lorsqu’elle s’adresse aux enfants, incapable de délaisser les enfants lorsqu’elle s’abandonne à la violence. Mais plutôt que d’avoir l’air accidentel, ce dilemme devient ici identitaire - d’où le « coming out » du titre de cet article - , résumé dans le doute ressenti par Toru quant à la nature de Toto/Gamera, sublimé dans son acceptation finale. Au passage - et c’est pour ça que je pense que Gamera est ici adolescente - Gamera the Brave s’intéresse même à la problématique du suicide, doublé d’une réflexion sur le sacrifice en temps de guerre. Ce n’est pas rien.

Gamera the Brave est un drôle de film c’est certain, peut-être à première vue rien de plus qu’un schéma classique, certes réussi, de kaijû grand public. Mais son appartenance/exclusion à la série Gamera en fait bien autre chose, une œuvre pour tous, hautement divertissante, pertinente à bon nombre de niveaux. Dommage toutefois que Gamera ado, avec ses grands yeux ronds, ait par moments l’air d’une marionnette chaussette... Et si le discours universel du film sur la force de l’enfance vous paraît désuet, c’est que vous omettez que finalement, à côté de la destruction à grande échelle et des hommes vêtus de caoutchouc, le mot clé du kaijû eiga a toujours été la générosité. Une générosité qui se trouve ici incarnée par les enfants qui jouent les marathoniens en relais pour sauver Gamera / Toto (d’où la pertinence des deux titres anglophones du film, puisqu’aussi bien les enfants que Gamera s’avèrent faire preuve d’un immense courage), et qui achève de faire Gamera the Brave une relecture pertinente du mythe de Gamera en forme d’acte de renaissance, qui a le mérite de choisir son camp avec intelligence, sans dénaturer ni le genre, ni l’une de ses créatures phares.

Site officiel : http://www.gamera.jp/. Disponible en DVD au Japon sans sous-titres, Gamera the Brave est par ailleurs disponible pour beaucoup moins cher et dans une copie non seulement superbe mais aussi sous-titrée en anglais, chez Universe à Hong Kong.

- Article paru le jeudi 3 mai 2007

signé Akatomy

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