Sancho does Asia, cinémas d'Asie et d'ailleurs
Taiwan | Festival des 3 Continents 2005 | Rencontres

Tsai Ming-Liang

"Le cinéma peut être aussi bien être fabriqué en série comme des boîtes de conserve, qu’être artisanal, avec un vrai regard, de vrais sentiments."

Rencontre avec un esprit libre. On peut aimer ou pas le cinéma exigeant de Tsai Ming Liang, mais le réalisateur taiwanais a des choses intelligentes à dire sur le septième art. Nous nous sommes entretenus sur les films de la Cathay, dont une rétrospective était organisée lors du Festival des Trois Continents avec son aide, mais également sur son dernier film, le très iconoclaste La Saveur de la pastèque.

Sancho : Quelle est la spécificité du studio Cathay par rapport aux autres studios asiatiques de l’époque ?

Tsai Min Liang : La Cathay a été fondée par un jeune garçon, après des études en Angleterre. Il s’est inspiré du fonctionnement des grands studios américains comme la MGM, et a produit plus de 400 films. Bien entendu, le producteur était un marchand de Hong-Kong, mais les réalisateurs, les acteurs et les techniciens venaient pour la plupart de Shanghai, fuyant les communistes. C’étaient des intellectuels issus des classes moyennes. C’est pour cette raison que contrairement au studio des Shaw Brothers, il y avait relativement peu de film de wu xia pian. Ces films sont inspirés d’une tradition plus littéraire. En même temps, ils étaient plus audacieux, plus "rebelles", à l’exemple des thématiques que l’on peut trouver dans La rose sauvage.

Justement, pourquoi parmi les films de la Cathay, La rose sauvage est-il votre préféré ?

A l’époque, j’aimais ces chansons qui étaient bien faites. Elles ont beaucoup de qualités par rapport à ce qu’elles veulent véhiculer. De plus, la structure du récit est assez aboutie comparée à d’autres films de la Cathay. Mais sa particularité, c’est le personnage de son héroïne. Dans la tradition du cinéma chinois, la femme est représentée comme quelqu’un de docile, vivant dans des conditions difficiles. Elle est victime de pressions, qu’elles soient sociales ou familiales. Or pour la première fois, on montre une femme rebelle qui a cette volonté d’indépendance. Même si à la fin du film, elle est toujours sous cette pression. En outre, si vous suivez la carrière de Grace Chang, c’est la première fois qu’elle joue le rôle d’une mauvaise femme. Jusque là, elle était cantonnée dans des rôles de fille de bonne famille, un peu naive, qui chante des chansons d’amour, avec une part de naïveté. Grace Chang a d’ailleurs beaucoup hésité avant d’accepter le rôle. Bien entendu, dans les films de l’époque les jeux sont exagérés, mais si vous regardez le ton est très juste.

Le cinéma de la Cathay semble très très loin de vos préoccupations cinématographiques, car ce qui vous intéresse c’est le réel, or les histoires de la Cathay sont très posées, avec des messages humains et sociaux très clairs, et tout cela dans un système de divertissement tout proche de celui du cinéma américain. Or vous déclarez aujourd’hui que le cinéma de divertissement ne vous intéresse plus. Comment expliquez-vous votre attachement à ces films ?

Sur les 400 films de la Cathay, je n’en aime finalement que 6 (rires) ! Il faut savoir qu’à l’époque, nous étions dans un cinéma de studio, et il n’existait pas de films d’art et essai. Dans ces studios, vous trouviez des réalisateurs talentueux, comme Fei Mu qui a réalisé Printemps dans une petite ville, mais a été un échec. Pourtant, il y avait un vrai regard d’auteur et du sens. En Europe, il y a déjà eu le néo-réalisme italien, puis la Nouvelle Vague française, et le nouveau cinéma allemand, mais ce qui est certain, c’est qu’en Asie, il n’y a rien de tel. Nous n’avions l’occasion de regarder que du cinéma de style hollywoodien, qu’il soit fait à Hong-Kong, aux Etats-Unis ou en Inde. C’est seulement plus tard, en découvrant le néo-réalisme et la Nouvelle Vague, que nous nous sommes dit que le cinéma pouvait être différent. Il peut être aussi bien fabriqué en série comme des boîtes de conserve, qu’être artisanal, avec un vrai regard, de vrais sentiments. La direction que je prends est différente, mais cela ne m’empêche pas d’aimer et de revoir des vieux Hitchcock.

Lors de votre leçon technique, vous avez fait un constat presque triste sur la possibilité de concilier cinéma de divertissement et d’art et essai. Pourtant, on a l’impression que La saveur de la pastèque est un mélange de ces deux approches. Il y a celle dont vous parliez hier, de donner le temps au spectateur de se regarder en regardant les acteurs, et les intermèdes musicaux, très mis en scène. Cela est d’autant plus étonnant que ceux-ci viennent éclairer les sentiments intérieurs des personnages. Qu’est ce qui vous a décidé à travailler comme cela sur ce film ?

Je suis contre l’emprise du cinéma américain au niveau mondial, mais on ne peut pas nier que nous avons tous regardé des films hollywoodiens. En réalité, cela fait partie de notre vie quotidienne. Le cinéma hollywoodien propose des histoires, de l’action, de l’aventure..., qui seront catégorisés pour faciliter la lecture du public. Celui-ci n’aura pas besoin de réfléchir. Je trouve plus intéressant de donner au public un autre regard possible, comme si le cinéma était d’une certaine façon un miroir de notre propre vie. Or dans celle-ci, on peut très bien écouter de la musique classique en regardant un téléfilm porno. Si dans La saveur de pastèque, je travaille sur différents genres, c’est aussi une façon de réfléchir sur l’utilisation des genres dans le cinéma commercial, de les transgresser. Je mélange tout ce qui est possible, afin de trouver une autre vision.

Dans votre recherche du réel, n’était il pas inévitable que vous vous intéressiez au cinéma pornographique ?

En Asie, dans les boutiques de location de vidéo, il existe toujours une petite salle pour les films pour adulte. Nous avons l’impression d’être les seuls à regarder ces films, car nous y sommes toujours seuls. Mais si on réfléchit bien, tout le monde en a déjà vu. On prend rarement la peine de discuter de ce genre, il s’agit seulement d’un produit de consommation. En Asie, depuis la puberté jusqu’à la vieillesse, jamais on ne va parler de la sexualité, de notre propre corps. Et lorsque les adolescents, garçons et filles, découvrent la masturbation, ils ont toujours cette impression de culpabilité, qu’il s’agit de quelque chose de sale. Et pourtant, chacun de nous est issu de la sexualité. Je trouvais intéressant de regarder une partie de nous, du monde à travers le cinéma pornographique. On peut mener des réflexions sur nous même, nos traditions, sur le regard que nous portons sur notre corps. Mon travail consiste à savoir comment utiliser la caméra pour regarder le corps en face, et je dois reconnaître qu’il est très difficile de le faire. Il est également difficile d’en discuter. A partir du moment où on commence à aborder certains sujets, on vous traite de pervers. De la même manière, si vous avez un personnage homosexuel dans un film, vous êtes tout de suite catalogué comme un film gay. C’est absurde. Les humains sont très conservateurs, ils veulent absolument catégoriser les choses afin de trouver leurs propres repères. Hier à l’issue de la séance, une spectatrice est venue me voir et m’a demandé si je pensais avoir fait un film porno. Je lui ai demandé en retour si elle pensait qu’il en s’agissait d’un. "Justement, je ne sais pas" m’a-t-elle répondu. Je lui ai dit bravo, enfin vous vous posez des questions

Ce qui est assez impressionnant c’est qu’au travers de votre dernier plan, qui est de la fiction, on se rend compte qu’il aura beaucoup plus de réalité que le film porno dans lequel joue le protagoniste, même s’il n’y a à peu près rien de plus réel qu’une pénétration. Comment avez vous eu l’idée de conclure le film sur cette image, que l’on l’aime ou pas, d’une force redoutable sur le sujet de la sexualité, de l’amour, de ce que peut représenter le contact entre deux personnes ?

Effectivement, je trouve que les gens sont plus cruels dans la réalité que dans la fiction. Il est très difficile de faire un film plus cruel qu’une certaine partie de la réalité. Moi, je voulais savoir si mes acteurs allaient pouvoir faire face à cette scène, arriver à ce stade de cruauté. Cette cruauté, elle est due au regard des autres envers ces deux personnes. C’était mon premier soucis, est-ce que les acteurs, une fois le film sorti, vont pouvoir faire face ? Après la projection à Taiwan, les journalistes, qui auparavant voulaient savoir si cette scène était truquée, ont arrêté de poser ces questions. Ils pensaient que les acteurs s’étaient sacrifiés pour le film. Mais en réalité ils sont très professionnels, ils savent où va mener le film. Dans quel sens il va être mené. Ils font simplement leur travail d’acteur. La plupart des films sont faits dans un confort absolu et les gens n’osent pas aller de l’avant, montrer certaines parties du corps, parce que l’on a peur de la représentation de soi. On s’est rendu compte qu’il y avait une barrière au niveau de la liberté de création. Il faut aller au-delà des conformismes. Lorsque je crée un film c’est une conversation avec moi, pour laquelle je sens une nécessité absolue que l’image va avoir un impact. Et je ne me soucie pas de ce que la société, mes parent vont penser, si je vais offenser une religion... Il faut simplement que je sois honnête avec ma création.

Votre film parle des sentiments et des rapports humains, et j’en suis ressorti avec un sentiment de violence.

Peut-être parce que quand j’ai fait ce film, j’avais un sentiment de colère vis-à-vis de mon environnement. Depuis plusieurs années que je crée avec ce groupe de personne, nous sommes conscients de notre travail, de l’énergie que l’on peut fournir, de son but. Or nous sommes souvent attaqués, méprisés. Il y a une grande part d’incompréhension, mais aussi de médisance et de méfiance par rapport à notre travail.

On a l’impression que vous voulez punir le spectateur taiwanais ou chinois. Vous l’attirez en salle avec un sujet un petit peu racoleur, et pendant tout le film on n’arrête pas de naviguer entre introspection et comédie. Par contre à la fin il n’a plus le choix, il est obligé de se poser des questions par rapport à lui même. Est-ce que l’on vous a fait ce reproche de manipuler le spectateur ?

Dans mes films, il n’y pas d’identification avec les spectateurs, on regarde toujours de loin. Dans La saveur de la pastèque, cette distanciation est créée par les numéros musicaux. Lorsque le spectateur entre dans le personnage, il est troublé par la comédie musicale, qui le fait resortir du film. Par cet effet de distanciation, le public peut avoir un espace pour réfléchir à ce qui se passe sur l’écran. Souvent, le public n’aime pas cela, car il est habitué à un certain type de cinéma, où il s’identifie avec un personnage. Certains partent avant la fin et ceux qui viennent voir un film porno sont obligés d’attendre, car les scènes ne sont pas très fréquentes.

Pourquoi la pastèque ?

Les journalistes m’ont souvent posé cette question, du coup je n’ai plus envie de répondre. Mais simplement de vous la retourner, à vous : pourquoi la pastèque ? L’été prochain, lorsque vous mangerez une pastèque, vous vous direz peut-être, "je sais enfin pourquoi la pastèque". C’est bien d’avoir ces interrogations en regardant ce film.

On se demandait si c’était parce qu’elle est constituée à 90% d’eau et que cet élément est très présent dans votre cinéma, où parce qu’elle est utilisée pour les bruitages de scènes pornographiques...

Je dis souvent à mon public qu’il faut croire ce que l’on ressent. C’est le point essentiel, car si l’on sent ou comprend le film d’une certaine manière, c’est parce qu’avec notre bagage, notre expérience, on regarde mon film sous cet angle. Il faut faire confiance à ses interprétations.

Interview réalisée le samedi 26 novembre 2005. Remerciements à Vincent Wang, producteur exécutif du film et traducteur de talent, ainsi qu’à l’équipe du Festival des 3 Continents.

- Article paru le mercredi 7 décembre 2005

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