Dead or Alive 2 - Tobosha, Dead or Alive 2: Birds
Scénario de Masa Nakamura
Avec Sho Aikawa, Riki Takeuchi, Edison Chen, Kenichi Endo, Ren Osugi,
Tomoro Taguchi, Shinya Tsukamoto
Bon, vous savez tous sans doute déjà que DoA2
n'est pas vraiment une suite de Hanzaisha - de toute façon,
comment cela aurait-il été possible??? D'un autre côté, on se dit
que si Miike avait vraiment souhaité faire une séquelle "dans les
règles" (une notion qui ne doit même pas faire partie de son
vocabulaire), il aurait sans doute trouvé un moyen. Mais peu
importe finalement, l'essentiel c'est que Dead or Alive 2: Birds,
suite ou pas existe. Soutenu par la plume de Nakamura Masa, le scénariste
du magnifique Bird People in China, le miracle DoA2
est de réussir à réunir toutes les facettes du réalisateur surhumain.
L'impression qui se dégage du film, aussi bien dans sa structure
que dans son visuel, est d'être une véritable fusion des mondes
multiples créés par Miike tout au cours de son œuvre. Un peu comme
si, avec l'aide de ses différents scénaristes et de ses acteurs,
Miike avait créé un livre de règles définissant des rapports à l'image
et à la narration complètements nouveaux, et que, pour la première
fois, un maître de jeu avait réussi à en réunir les enjeux et les
possibilités au sein d'un scénario unique et définitif.
L'intérêt de définir Birds
comme le deuxième épisode de la trilogie DoA en devenir,
c'est donc de pouvoir profiter des dérèglements mis en place dans
le premier opus, et de les pousser encore plus loin, tout en jouant
dans un registre beaucoup plus calme et poétique. Grâce à la présence
renouvelée de Riki Takeuchi et de Sho Aikawa dans les rôles principaux,
le film peut se permettre encore plus facilement une exploration
immédiate de nouveaux territoires sur des bases acquises au cours
de Hanzaisha, sans recourir à la moindre mise en place traditionnelle.
Là où Hanzaisha détournait le concept de scène d'exposition, Birds
se contente de suggérer le même éclatement de mise en place sans
recourir à la même vitesse narrative, bien au contraire. Ici, tout
est condensé en quelques minutes au rythme trompeur, avec l'aide
d' "images-clés" incroyables dont le sens ne sera révélé que plus
tard dans le film. Le résultat, c'est une mise en condition directe
et en douceur qui immerge immédiatement le spectateur dans le (plus
ou moins) nouveau monde de Sho et Riki: il ne s'agit plus ici
de règles, mais de véritables postulats qu'il n'est plus nécessaire
de justifier. Comme les plumes qui nous emmènent superbement vers
le visuel du titre, il suffit alors de se laisser porter par un
vent de folie douce, pour se retrouver dans un territoire inconnu
et pourtant tellement familier…
Sho Aikawa interprète Mizuki, un tueur à gage engagé
par Shinya Tsukamoto en personne (qui livre d'ailleurs ici une
performance mémorable d'hystérie) pour assassiner
un chef yakuza, dans le but de déclencher une guerre entre les différents
clans locaux. Seulement, une fois derrière le viseur de son fusil
à lunettes, Sho se fait voler le plaisir de l'exécution par Riki
Takeuchi, qui débarque arme au poing dans la ligne de mire et descend
non seulement la cible, mais tous ceux qui l'accompagnent. Sho décide
quand même de s'attribuer la paternité de l'assassinat et va récupérer
son argent chez Tsukamoto avant de prendre un bateau pour s'enfuir
et rejoindre l'île sur laquelle il a grandi. A bord, il retrouve
Riki, en fuite lui aussi vers la même destination, qui s'avère en
fait être un ami d'enfance, orphelin tout comme lui. Alors que l'étau
se resserre sur leur identité en ville, les deux tueurs revivent
avec nostalgie bon nombre de moments de leur enfance, s'attardant
sur les instants qui les ont menés à leur situation actuelle. Avant
de se remettre au boulot en duo, nostalgiques et portés par leurs
ailes de toujours, et d'affronter leurs adversaires avec une perception
de la vie légèrement modifiée…
Autant ne pas prendre de détours pour dire ce que
je pense de DoA2: non seulement c'est sans aucun doute le
meilleur film de Miike à ce jour, mais c'est sans doute l'un des
films les plus importants de ces dernières années, point barre.
Jusqu'ici, les films de Miike nous ont touché pour des raisons différentes:
Fudoh et Full Metal Gokudo frisent la folie furieuse,
alors que Bird People in China et Audition surprennent
par leur subtilité et leur retenue. Visitor Q opérait déjà,
à sa façon, cette intégration miraculeuse de l'excessif dans un
poème hautement symbolique. Mais DoA2 va beaucoup
plus loin.
Cela fait plusieurs années déjà que l'on parle d'assimilation en
ce qui concerne les différents types de "contre-cultures" au cinéma.
Ainsi, Blade et Matrix constituent-ils une première
étape dans cette intégration à un niveau culturel globalement admis
comme étant "supérieur" (quant à savoir si une telle supposition
est justifiée, c'est un débat auquel nous ne nous livrerons pas
ici). Fudoh et même Dead or Alive vont très loin
dans ce sens, en empruntant au manga là où les films précédents
empruntaient aux comics. DoA2 tape dans tous les registres,
mais on ne peut pas parler ici d'emprunt tant l'univers qui en découle
est cohérent. Dans sa partie centrale, qui est aussi la plus importante
du film, DoA2 se concentre sur la nostalgie de Sho et Riki
par rapport à l'innocence (relative) de leur enfance. Dans
leurs attitudes et leurs jeux, on retrouve une ressemblance avec
les yakuzas désillusionnés du Sonatine de Kitano. Mais ici,
le ton est différent. Là où Kitano revivait l'innocence avant de
mourir sous le poids de sa culpabilité, les héros de DoA2,
bien que tout aussi coupables, sont incapables de mourir et de quitter
le poids de leurs regrets. Il ne leur reste plus par conséquent
qu'à assumer leur immortalité (statut qu'ils achèvent d'obtenir
en tant qu'icônes improbables et pourtant récurrents) et vivre
leur nostalgie jusqu'au bout.
Au-dessus de la meute, tel des anges complémentaires (l'un blanc,
l'autre noir), Sho et Riki ne sont jamais condescendants pour
autant. Ainsi, ce n'est pas par mépris qu'ils se mettent en guerre
définitive contre leurs adversaires, mais, comme souvent au Japon,
par "inexorabilité". Une fois leur état supérieur de perception
atteint, ils ne peuvent d'ailleurs s'empêcher d'avoir un pincement
à la compréhension (traduite visuellement avec une beauté incroyable)
que leurs ennemis ont été, comme eux, des enfants.
Certaines personnes reprochent
à DoA2 d'être trop violent. Il est vrai qu'on a droit à toutes
sorte de scènes ultra-violentes (de la nécrophilie à l'éclatement
de la tête de nain en 3D), mais, un peu à la manière de Battle
Royale, ces scènes trouvent leur justification dans le contre
pied mis en avant, et par conséquent acquièrent un caractère indispensable
à la cohérence de l'ensemble. En réussissant ce tour de force incroyable,
Takashi Miike prouve qu'il est non seulement un fou génial, mais
un véritable cinéaste, doublé d'un auteur. Lui même double entité
enfant/adulte (poète/provocateur; nostalgique/révolutionnaire),
il s'illutre parfaitement dans le couple Sho/Riki, plus indivisible
encore que dans le premier opus de cette saga qui changera à jamais
l'histoire du cinéma de genre. Lui même supérieur et
pourtant tellement humain.
Autant dire que nous avons hâte de goûter au troisième épisode…