Zuido Gensou - Tonkararin Yume Densetsu
+ Kikuchi-jou Monogatari - Sakimori-tachi No Uta
+ Onna Kunishu Ikki
Scénario de Takeshi Yasunori d'après un roman de Fujita Goro
Avec Mikijirô Hira, Toru Emori, Renji Ishibashi, Jinpachi Nezu, Ren
Osugi, Mihoko Abe, Noriko Aota, Ayumi Asakura, Kenichi Endo, Yoshio
Harada, Mie Hata, Kazuki Kitamura, Naoto Takenaka, Yutaka Yokota
Si Takashi Miike a grandi à Osaka, sa famille est
originaire de la région de Kumamoto, dans le sud de l'île de Kyushu.
Sans doute est-ce pour cette raison que le réalisateur a accepté
de se pencher le temps de trois moyens-métrages (1)
- regroupés sous l'intitulé Kumamoto Monogatari (ce qui
signifie "histoires de Kumamoto") - sur les mythes et histoires
de cette région du Japon.
Ce triptyque atypique tourné en vidéo, voit dans un premier temps
Miike adapter sa réalisation non seulement à un ton quasi-pédagogique,
mais aussi à une approche théâtrale de la mise en scène et de la
narration. Si les deux premières histoires sont en effet
enrichies de-ci de-là d'effets de synthèse, elles jouissent d'une
approche studio à peine dissimulée; ainsi fumées et effets de lumière
live sont-ils abondamment employés pour pallier l'utilisation
d'un format "électronique", et conférer aux projets une aura empreinte
de traditions.
Il y a 1500 ans, au bord de la rivière Kikuchi.
Confiée à la protection d'une mystérieuse caverne par ses parents,
une petite fille parvient à échapper à la mort, et les soldats de
la Cour Impériale de Yamato qui ont exterminé sa famille sont décimés
par une divinité incarnée en dragon.
Vingt ans plus tard, la petite fille est devenue une femme, chargée
de la protection de la caverne et de son Dieu. L'histoire se répète
et les hommes de Yamato sont à nouveau envoyés pour venir à bout
de son peuple; un soldat seul, tente de s'interposer pendant que
notre héroïne protège l'antre du dragon…
The Tonkarin Dream Legend est comme son
nom l'indique une fable onirique, qui tient autant du jidaigeki
que du théâtre. Miike juxtapose en effet sur ses plateaux enfumés,
rituels dansés et combats de sabres. Alors que les premiers accompagnés
d'une musique superbe, sont presque enfantins dans leur naïveté
(tant formelle que picturale), les seconds renvoient - dans
leur violence et leur éclairage - au Samurai Resurrection
de Fukasaku ou encore à la plastique saturée du remake de
Jigoku réalisé par Teruo Ishii en 1999.
Sans vergogne comme à son habitude en matière de synthèse, Miike
fait intervenir créatures numériques approximatives et autres dragons
géants. Ainsi le mot clef de ce premier sketch de Kumamoto Monogatari
est-il la poésie, le contenu primant très largement sur la forme
à la manière d'un Green Snake par exemple. Ceux qui ont vu
ce chef-d'œuvre de Tsui Hark comprendront que le film fait fi de
sa texture kitch et de ses lacunes techniques, pour imposer
la foi en une certaine mythologie comme unique vecteur de conviction;
libre donc à chacun d'adhérer ou non à la légèreté de The Tonkarin
Dream Legend.
* * *
Kikuchi-jou Monogatari - Sakimori-tachi No Uta
/ The Song of the Defenders
Aux environs de l'an 660, Paekche l'un des royaumes
coréens - connu au Japon sous le nom de Kudara (c'est
d'ailleurs ainsi qu'on y réfère dans The Song of
the Defenders) - est placé sous l'administration
de la Chine, suite à l'invasion de l'armée de l'empereur
Gaozong. Au cours des derniers jours d'existence du royaume, des
intellectuels et aristocrates coréens se réfugient
au Japon qui soutenait Kudara contre la Chine.
C'est un tel intellectuel, témoin de la chute de Kudara qu'il
n'a lui-même pas pu éviter, qui sert d'épine
dorsal à The Song of the Defenders. Cet homme qui
a tout perdu - son pays, sa famille - décide de combattre
aux côtés des Sakimori ("les défenseurs
de première ligne"), dans l'île de Kyushu
qui est la plus proche du continent "ennemi". Le Japon
en effet redoute une invasion conjointe des chinois et des coréens,
et envoie ses soldats et ses paysans défendre les côtes
du pays. Au contact de l'intellectuel de Kudara, Kurota le véritable
héros de l'histoire va apprendre la valeur de son acte patriote,
au travers de l'amour qu'il porte à sa famille, loin des
siens pendant trois longues et calmes années...
The Song of the Defenders quelque part,
est encore plus déroutant que The Tonkarin Dream Legend.
Miike y use encore de synthèse bas de gamme au cours d'une
introduction qui, si l'on en croit l'intervention explicite d'un
figurant (trait second degré caractéristique du
réalisateur), devait être à l'origine en
3D polarisée. Intervention étonnante en l'état,
mais qui a le mérite de préciser une fois pour toute
la cible de Kumamoto Monogatari: les enfants. (2)
L'enjeu de ce sketch est donc purement pédagogique, au niveau
humain tant qu'historique. Au travers du personnage de Kurota on
découvre la valeur du sacrifice réalisé par
les Sakimori : bien que l'envahisseur ne soit jamais venu,
ces hommes ont, pendant trois ans, protégé leur pays,
en dépit de l'ennui et de la douleur provoquée par
la séparation avec leur famille et leur terre. De par son
objectif narratif, The Song of the Defenders apparaît
donc plus naïf encore que son prédecesseur. Miike parvient
tout de même à livrer quelques plans superbes dès
qu'un enfant rentre dans le cadre - preuve s'il en est, que le réalisateur
sait s'adapter à toutes les cibles et tous les sujets.
* * *
Onna Kunishu Ikki / Women of the Revolt of the Clans
Au terme d'une période d'anarchie féodale, certains daimyos
(grands feudataires) au XVIème siècle entreprennent de conquérir
les terres de daimyos plus faibles - aidés en cela par l'arrivée
des armes à feu européennes sur l'archipel. Oda Nobunaga, daimyo
de la région de Nagoya à l'est de Kyoto, est le premier à tenter
de concrétiser un désir d'hégémonie. En 1568, il vient à bout des
rémanences de l'Empereur et du Shogun; son assassinat en 1582 met
fin à son rêve, mais celui-ci est repris par Toyotomi Hideyoshi.
Hideyoshi en 1587, parvient à unifier le Japon occidental; trois
ans plus tard, c'est l'intégralité du pays qui tombe sous sa férule,
marquant ainsi la fin d'une période de guerre pour l'archipel. Women
of the Revolt of the Clans se déroule justement en 1587 dans
la région de Higo, à un moment charnière de l'histoire du Japon.
Narimasa Sassa et son armée d'une dizaine de milliers d'hommes,
sont chargés par Hideyoshi de faire tomber les derniers clans lui
résistant. Seul le château de Tanaka se dresse encore sur son chemin,
abritant les 900 hommes des clans Wani et Ebaru, unis dans une lutte
symbolique pour préserver leur honneur. Si à l'intérieur du château
de Tanaka, la famine commence à se dessiner, il en va de même à
l'extérieur de ses murs. L'armée de Sassa en effet, est prise au
piège par sa taille; d'ici quelques jours elle ne pourra plus subvenir
à ses propres besoins et sera contrainte d'abandonner le siège.
C'est au cours de cet ultime bras de fer que se joue la naissance
de l'Etat japonais, la transition du pays du Moyen-Âge vers l'âge
moderne, dans les mains d'une poignée d'hommes - mais aussi de femmes…
Troisième et dernière séquence de Kumamoto Monogatari, Women
of the Revolt of the Clans s'attribue la moitié du métrage mais
aussi des moyens bien supérieurs aux deux premiers sketches réunis.
Miike abandonne la reconstitution, pédagogique et théâtrale, pour
une véritable narration cinématographique. Bien que ce troisième
segment soit encore une fois réalisé en vidéo, les plateaux enfumés
laissent la place à de véritables décors, les images de synthèse
à une pléthore de costumes splendides. Miike par ailleurs s'épaule
d'un casting épatant (Yoshio Harada, Kenichi Endo, Noriko Aota,
Naoto Takenaka, Kazuki Kitamura…) pour mettre en scène un scénario
historique impeccable.
En l'espace d'une heure en effet, le réalisateur parvient à expliciter
tous les enjeux d'une guerre ambiguë, à l'objectif positif en dépit
d'être comme toutes les guerres, négative de par sa violence meurtrière.
S'y confrontent des conceptions passéistes et modernes de la politique
certes, mais aussi de l'honneur et de l'affrontement guerrier (avec
une intervention remarquablement calculée à l'image des armes à
feu). Et surtout - comme son titre l'indique -, Women of
the Revolt of the Clans insiste sur l'importance des femmes
en temps de guerre.
Miike explicite ainsi que, si les hommes se battent pour mourir,
les femmes quant à elles se doivent de vivre justement pour pouvoir
se battre (le personnage interprété par Noriko Aota en est une
superbe incarnation). Au-delà de son caractère de "pivot" historique,
ce segment est superbe en ce qu'il fait de la femme et non du simple
pouvoir, le véritable enjeu de l'homme. Quoi de plus normal puisque
c'est elle qui pourra prolonger une lignée, et l'inscrire dans les
évolutions d'une nation en devenir.
Les dernières images de Women of the Revolt of the Clans
nous montrent les membres des familles Wani et Ebaru - avec une
mise en avant d'un personnage féminin emblématique puisque doublement
trahie, par les siens et par l'Histoire - approuver ce que sont
devenues leurs terres aujourd'hui. Une façon onirique et symbolique,
de rendre hommage à ces hommes et femmes, témoins d'un Japon révolu
mais qui ont contribué à forger son identité, en combattant avant
d'accepter de disparaître. Hommage doublé de plus d'une véritable
ré-estimation, bienvenue, de la place de la femme dans la société
nippone.
* * *
Si toutes les séquences de Kumamoto Monogatari possèdent
un véritable intérêt, éducatif et/ou historique, force est d'admettre
que la forme des deux premiers rebutera certainement la majorité
des spectateurs "adultes", même parmi les fans de Takashi Miike.
Women of the Revolt of the Clans néanmoins, constitue un authentique
film historique - riche, dense et parfaitement maîtrisé -, qui fait
à lui seul de cette anthologie "de commande", une nouvelle étape
passionnante dans la filmographie du réalisateur.
Akatomy - 30.10.03
(1) "Once a year for the last three years, I've
made films for the Kumamoto Department of Education. […] These films
are made to help support the neighbourhood through rough economic
times."
- Extrait d'une interview réalisée par Patrick Macias: http://www.kino.com/deadoralive/doa_director.html
(2) "It was originally a town called Tamanashi that set up this
project. It was supposed to be a film set in a certain village,
revolving around a number of people. But it was intended for educational
purposes, a film that could be seen by anybody, including school
children, something to promote the area."
- Extrait d'une interview réalisée par Tom Mes: http://www.midnighteye.com/features/iffr/index.shtml