Gokudo sengokushi: Fudoh, Graîne
de Yakuza
Scénario de Toshiyuki Morioka, d'après un roman de Hitoshi
Tanimura
Avec Shosuke Tanihara, Kenji Takano, Marie Jinno, Tamaki Kenmochi,
Miho Nomoto, Riki Takeuchi
Il me semble bien que c'est
une histoire que je vous ai déjà racontée (en
introduction de ce site, peut-être?), mais qu'importe,
car il y a des histoires - et des films - dont on ne se lasse
jamais. Celle-ci possède en plus un caractère inititiaque
particulièrement important, et c'est pourquoi je vais tenter
de vous la raconter en remontant le temps de quelques années
- près de 4 pour être précis - et surtout
en omettant les découvertes que nous avons eu la chance de
faire depuis ce jour béni où d'heureux programmateurs
ont mis Takashi Miike (qui ça?) sur notre chemin de
spectateurs...
*****
Vidéothèque
de Paris (ancien nom du Forum des Images), Forum des
Halles, fin août-début septembre 1998.
Plusieurs thématiques pour cette sixième édition
de la seule manifestation cinématographique parisienne digne
de ce nom, l'Etrange Festival: "Cannibales", "Freaks",...
et un certain regroupement intitulé "Familles, je vous
hais!". Aux côtés de Spirit of the Air, Gremlins
of the Clouds (une espèce d'Arizona Dream version
Alex Proyas), de Karakter et de L'Homme qui tuait
les fillettes (Tatsumi Yuichiro), un certain Graine
de Yakuza exhibe, dans les pages du catalogue du festival, un
sabre tenu à hauteur du visage d'un adolescent concentré.
Sous cette photo, le texte suivant:
"Ricki Fudoh est un
jeune homme bien sous tous rapports. Il est beau, studieux en cours
et trés apprécié de son entourage. Mais derrière cette façade se
cache un être tourmenté par la mort brutale de son frère, décapité
par son père, un yakuza sadique. Bien décidé à venger cette mort,
Fudoh monte alors son gang, un composite de collégiennes sexy et
de gamins experts dans le maniement des armes de poing.
Film sombre et d'une extrême cruauté, Graine de yakuza se distingue
par une succession d'épisodes totalement surréalistes, comme cette
scène de meurtre à la sarbacane activée par le sexe d'une jeune
adolescente. Un Must du cinéma déjanté." (copyright www.etrangefestival.com)
Une analyse de texte s'impose pour expliquer l'intérêt
immédiatement sucité...
Le premier paragraphe de ce (beau) résumé est
construit à l'aide de phrases courtes, efficaces, qui s'enchaînent
brutalement pour imposer le caractère inhabituel de l'histoire
présentée. "Jeune, bien sous tout rapports,
beau et studieux" laisse ainsi la place à "tourmenté,
brutale, décapité, sadique". Si on contruit
une seule et même entité à partir de ce paradoxe,
on arrive finalement à des juxtapositions ausi surprenantes
que "son gang, collégiennes sexy, gamins, armes"
et surtout, en tant que dernière tentative d'invitation à
la débauche, dans le second paragraphe: "sarbacane
activée par le sexe d'une jeune adolescente" - premier
paragraphe aidant, on peut supposer cette dernière, collégienne
et sexy de surcroit. Vous êtes peut-être fait de marbre
et d'inhibitions, moi pas. Un billet de plus à acheter pour
satisfaire ma soif de cinéma "déjanté"...
Mais finalement qu'est-ce que
c'est que le cinéma déjanté? Certains Cat
III HK rentrent certainement à l'époque dans cette
catégorie, mais il nous manque encore un bon nombre de données
pour comprendre l'étendue de la problématique soulevée
- une lacune sur le point d'être comblée...
Ecran noir. Premières impressions...
Un homme est accroupi dans des WC sordides, crachant du sang par
la bouche en passant un coup de fil. Des bruits de pas se font entendre.
L'homme se tait. Un second homme apparaît dans la même
pièce, vétu d'un imperméable de pécheur
et d'un bien beau chapeau. Un troisième personnage le suit
de près. Le pécheur s'assied, en silence. Face à
lui, son camarade s'accroupit et pose des lunettes de natation sur
ses yeux. Le pécheur relève la tête, prononce
un mot en direction de la cabine occupée, "montagne"
(???). On lui répond "rivière".
L'instigateur de cet étrange dialogue se lève et fait
feu sur les WC désignés par la réponse, vidant
chargeur sur chargeur alors que la malheureuse cible passe de cabine
en cabine en défonçant les murs. L'homme aux lunettes
s'y met aussi, sort un fusil pour finir le boulot. La cible finit
par mourir, le sol est recouvert de douilles énormes et baigné
de sang. Tout ça n'est pas très réaliste, mais
la vache qu'est-ce que ça tape! On accélère un peu.
Un chef de clan yakuza se voit obligé de tuer son fils ainé
après un excès de zèle qui risque de provoquer
une guerre mafieuse de grande envergure. Le frère du décapité,
encore bien jeune il faut bien l'admettre, assiste à la scène
qui tâche.
Générique.
Des yakuzas rejoignent leur voiture; sur le parking, deux tous petits
enfants les descendent avec des flingues.
Dans une station service, une jeune fille étrangement belle
empoisonne un autre yakuza, qui explose dans un geyser de sang.
La charmante demoiselle abandonne immédiatement son déguisement
pour réveler un costume sailor tout propre et saisir
son cartable, avant de s'en retourner à l'école. Je change de caleçon une première fois. J'accélère
encore, un peu plus loin cette fois.
Une autre jeune fille, qui dégage une aura étrangement
sexuelle, apparaît sur la scène d'une boîte de
nuit à la clientelle exclusivement masculine. L'espace d'un
mouvement de caméra, elle se déshabille et, à
l'aide d'une sarbacane vaginale, crève des ballons sur une
cible. Je ne sais même plus si j'en suis à mon deuxième
ou troisième caleçon. Et la scène de cul entre la nouvelle prof d'anglais (non
Kuro, ce n'est pas Edwige Fenech) et notre charmante hermaphrodite
n'a même pas encore eu lieu!
Que dire de plus, si ce n'est que le reste du film fait déjà
partie de l'histoire...
Je crois, que, avec ces tranches de cinéma,
vous pouvez déjà parfaire votre idée de ce
qu'est un film déjanté. Et pourtant, dés cette
première vision, Fudoh s'impose comme un film terriblement
sérieux.
Sous couverts d'excés "humoristico-glauquo-violents"
caractéristiques des mangas qui l'ont inspiré,
c'est l'histoire épouvantable d'une famille explosée,
dont chaque membre (même un fils coréen illégitime)
est prêt à tuer l'autre pour se faire sa place dans
un univers excessivement violent. La vie des enfants n'y vaut pas
plus que celles des adultes, les femmes se prennent les mêmes
coups que les hommes, les enfants tentent de voler le monde aux
adultes mais ne saisissent pas l'ampleur du sacrifice qu'ils doivent
fournir pour y arriver. C'est aussi et surtout l'histoire d'une
violence qui grandit trop vite, sans doute la seule histoire d'enfance
reniée de Takashi Miike. Qui ça? J'oubliais, je ne
vous ai pas présenté le bonhomme. Mais que voulez-vous,
nous sommes en 1998, et ce nom ne veut encore rien dire pour moi.
Tout ce que je garde en tête, ce sont ces images de manga,
et ce nom de famille - dont je ne connais même pas encore
la symbolique. Fudoh