Scénario de Hitoshi Ishikawa, Yoshinobu Kamo et Ichiro
Ryu
Avec Sho Aikawa, Riki Takeuchi, Terence Yin, Maria Chen, Richard Chen,
Josie Ho, Hiroyoshi Komuro
Yokohama, 2346. La ville japonaise
est sous l'emprise du Maire Woo, dictateur autoproclamé à la tête
de la mafia chinoise locale. Pour régler définitivement les problèmes
de surpopulation, le despote impose aux habitants de Yokohama une
drogue "anti-naissance". Les couples désireux de fonder une famille
se regroupent autour d'une guérilla désorganisée, à laquelle le
cyborg renégat Ryô (Sho Aikawa) décide d'apporter son aide.
Honda (Riki Takeuchi), en tête de la police chargée de faire
appliquer les lois de Woo, tente d'enrayer la rébellion en devenir…
Lorsque Honda se réveille après le rêve de celluloïde
qui marque le début de Dead or Alive: Final, le laps de temps
qui le sépare d'un véritable état de conscience laisse supposer
qu'il peine à reconnaître son environnement immédiat. Il semblerait
même que Honda ne s'éveille réellement qu'au moment où il termine
d'enfiler la parure réversible de Riki Takeuchi, imperméable qui
constitue un lien direct à ses incarnations des deux opus précédents
de la trilogie. De la même façon, Ryô nous apparaît comme par magie,
accroupi sur un ponton délabré au bord de l'eau, dans une continuation
directe du décompte qui initiait Dead or Alive (DoA),
premier du nom - et par la même, notre rencontre avec les premières
incarnations de Sho Aikawa et de son partenaire.
Beaucoup de gens déclarent
que la trilogie DoA n'en est pas vraiment une, le seul liant
entre les trois films étant à leurs yeux la réccurence du duo protagoniste
principal. Pourtant, DoA 2 donnait déjà un certain nombre
d'indices quant à la cohérence de l'édifice iconoclaste construit
par Miike, la réutilisation de Takeuchi et Aikawa s'accompagnant
non seulement de références subtiles à leur première aventure (cf
article sur DoA 2), mais aussi d'une perception affutée
d'une trame supérieure, omnisciente, faisant des deux protagonistes/icônes
les facettes complémentaires d'un Dieu expérimental, impliqué par
incarnations interposées dans le peaufinage d'un monde imparfait.
Après avoir détruit un univers mû par la vengeance et la haîne dans
le premier épisode, les anges/oiseaux - morts ou vivants? - (ré)incarnés
par Takeuchi et Aikawa s'éteignent pour la seconde fois, insatisfaits
d'une nouvelle construction de notre monde, non propice à l'épanouissement
de nos enfants, et par conséquent sans avenir.
Réapparus en 2346, Riki et Sho ont une fois de plus perdu la notion
de leurs existences antérieures. Les rôles que les deux acteurs
tenaient dans le premier opus se sont inversés (Honda est flic
alors que Ryô est un cyborg rebelle, et par conséquent hors-la-loi),
pourtant les traits de caractère propres à chacune des deux entités
ont été maintenus: Honda/Riki fait toujours partie d'une minorité
"importée" (la mafia chinoise) - qui règne cette fois en
maître sur Yokohama -, tandis que Ryô/Sho recherche toujours l'intégration
au sein d'un fac-similé de cellule familiale. La situation du monde
telle que décrite dans DoA 2 - Tobosha s'est aggravée, l'échec
de nettoyage des deux anges ayant débouché, plus de 300 ans plus
tard, sur une "interdiction" indirecte de l'enfance par le biais
d'une drogue imposée visant à contrôler la natalité.
Le titre de Dead or Alive prend, dans ce
troisième et dernier opus, une nouvelle signification. Si l'on considère
qu'un être sans âme ne peut être qualifié de vivant, qu'en est-il
d'une machine? Cette réflexion chère à Mamoru Oshii, James Cameron
et Steven Spielberg, Miike se l'approprie le temps de conclure sa
trilogie d' "intervention divine". Dieu peut-il en effet intervenir
par le biais de machines? Si oui, celles-ci peuvent-elles développer
leurs propres âme et conscience, ou au contraire perdre notion de
leur état de machine? Sous une parure de délire SF/action, Miike
livre discrètement une réponse à ces différentes questions.
Ryô, le cyborg incarné par Shô, s'humanise d'abord au contact d'un
enfant qui ne pourra jamais être le sien, puis d'une femme privée
de sa famille (à l'image de son personnage exilé de Rainy
Dog). L'appartenance à l'humanité selon Miike intervient
donc par celle à la famille (comme dans bon nombre de films du
réalisateur). Honda/Riki ne nous est-il pas vendu comme étant
humain - et amené à le croire lui-même - parce qu'il a une femme
et un fils? Ceux-ci sont d'ailleurs purement figuratifs, simples
constituants de l'illusion vécue par Riki, qui les accepte comme
composantes de l'identité de sa nouvelle incarnation, sans jamais
vraiment avoir de contacts avec eux. Via le personnage de Honda/Riki,
Miike pousse d'ailleurs la réflexion encore plus loin, amenant la
machine à penser qu'elle est devenue humaine quand elle a assimilé
tous les travers de l'homme "vivant" (soif de pouvoir, propension
à la violence et la manipulation, ressenti d'amour mais surtout
de haîne).
La conscience d'état d'incarnation,
mais aussi de machine (dans le sens de création divine),
intervient dans le dernier quart d'heure de DoA: Final, qui
amène Sho et Riki à accepter le caractère inexorable de leur confrontation
- bien que celle-ci ne soit pas "humainement" justifiée, à un niveau
personnel. A cet instant, les incarnations de Sho et Riki se remémorent
leurs coopérations/antagonismes passés, tributaires d'une conscience
partagée, avant d'apparaître comme ce qu'ils sont vraiment, de façon
explicite: deux aspects indissociables d'un même désir d'humanité,
d'une même force supérieure.
Tout cela paraît très sérieux
(et pour cause: ça l'est!), mais Miike maquille astucieusement
l'ambition de son propos en jouant de l'univers cartoon exploité
de façon constante tout au long de la trilogie. Le scénario de DoA:
Final permet au réalisateur de pousser toujours plus loin ses
expérimentations cinématographiques, mais aussi de faire de son
désir d'une Asie "unique" une réalité. A l'image des personnages
du film qui parlent tour à tour japonais, chinois et anglais en
se comprenant parfaitement, DoA: Final est le fruit d'une
collaboration entre le Japon et Hong-Kong, à laquelle se rajoutent
des effets visuels typiquement hollywoodiens. Miike joue avec le
"bullet-time", les changements de vitesse et les combats câblés,
et le résultat est saisissant: de la séquence d'introduction à l'affrontement
final, les scènes d'action de DoA: Final dépotent grave,
dynamisées par la fureur qui caractérisait déjà la conclusion apocalyptique
du premier opus, et à laquelle la partition éclectique de Kôji Endô
prête toute sa force.
Dead or Alive: Final
clot l'univers de la trilogie (de façon merveilleusement phallique
qui plus est, signe que le sexe - en tant qu'acte en partie géniteur
- est bien le garant de notre avenir) sur une signature, une
déclaration d'appartenance à une époque. Une "trace" qui permettra
certainement un jour de rendre compte de l'avance de Miike sur ses
contemporains en matière de conception cinématographique, aux environs
de l'année 2001 - une époque où l'un des plus grands réalisateurs
de notre époque aura tenté, par le biais de trois chef-d'œuvres
indissociables, de déterminer si ses spectateurs sont morts, ou
alors (inconsciemment?) bien vivants.