Scénario de Toshihiko Matsuo & Toshiyuki
Morioka
Avec Hiroyuki Ikeuchi, Daisuke Iijima, Akira Ishige, Atsushi Okuno,
Saori Sekino, Bob Suzuki, Seiichi Tanabe, Mickey Curtis
Chuji Yonashiro est originaire d'Okinawa. Un père
décédé au Vietnam - c'est ce qu'on dit aux enfants dont le paternel
s'est enfui -, une mère prostituée, étonnée de voir son fils traîner
près d'elle quand il devrait être à l'école
- et ce même en période de vacances scolaires. A dix ans, Chuji
abandonné devient orphelin.
Aujourd'hui à Kanagawa, l'enfant a grandi est cherche son chemin
et son père. Ce dernier, il pense l'avoir trouvé en la personne
d'un SDF sympathique, qui se défend des affirmations du jeune homme.
Le premier, Chuji le choisira inconsciemment le soir d'une double
rencontre. Celle de Tokiko d'abord, cliente du café-concert
dans lequel il travaille, à qui il vient en aide en mettant KO une
rémanence de la présence américaine au Japon. Celle de Kenji Shindo
ensuite, yakuza rebelle du clan Hanamura, blessé et en fuite,
qu'il protège instinctivement de la colère des hommes du clan Okada
pour lesquels notre héros écoule de la poudre de temps à autre.
Chuji ce soir-là, laisse entrer Tokiko et Kenji, chez lui et dans
sa vie. La demoiselle soigne le yakuza, Chuji le dissimule
plusieurs jours. Puis Kenji s'en retourne à ses plans de pouvoir,
et Chuji rencontre à nouveau Tokiko par hasard et se rapproche d'elle
- à moins que ce soit l'inverse. Toujours est-il que c'est elle
qui pousse Yuya, chanteur du groupe "officiel" du bar de Chuji,
à l'inviter à faire ce qu'il fait de mieux, sur scène: laisser libre
cours à sa passion pour l'harmonica…
Je me souviens de la projection de
Ichi the Killer au BIFFF à Bruxelles, en mars 2002,
à l'issue de laquelle une journaliste bien renseignée s'insurgea
contre Takashi Miike (Shinya Tsukamoto, présent lui aussi mais
ignoré, s'endormait en buvant une bière à ses côtés), lui demandant
pourquoi il ne faisait que des films aussi démonstratifs et dégénérés.
Miike médusé de lui rétorquer: "Demandez plutôt aux programmateurs
des festivals, pourquoi de tous les films que j'ai réalisé, ils
ne diffusent que ceux-ci". Bien loin de moi l'idée de critiquer
la veine exacerbée du réalisateur vous vous en doutez, néanmoins
rendons une fois de plus hommage aujourd'hui, au Miike polymorphe
qui se livre régulièrement à qui veut bien s'en donner la peine:
The Bird People in China,
Andromedia, The
Guys from Paradise… et Blues Harp.
Blues Harp, dans lequel Miike s'étale discrètement
sur la beauté de la vie, naissant au contact d'un jeune homme du
nom de Chuji (excellent Hiroyuki Ikeuchi), tellement naturel
et généreux qu'il change l'existence de tous les gens
qu'il croise. Deux personnes en particulier, décident de tenter
de rendre la pareille à l'orphelin altruiste. Kenji d'abord, dont
l'acquittement de sa dette envers Chuji est une question d'honneur,
voit naître en lui un sentiment qu'on ne saurait qualifier que d'amoureux
- bien que le yakuza ne soit pas a priori homosexuel. De
loin, le yakuza insolent se transforme en un homme aimant,
conscient du fait que sa collision avec Chuji ne peut rien apporter
de bon à celui-ci. Pourtant il aime à le voir, lui parler
par personne interposée ("Dis à Chuji que c'est le meilleur"),
s'assurer de son bonheur.
Ce bonheur, c'est Tokiko qui s'y dévoue, l'amenant à exprimer sa
force de vivre en musique, mais aussi à la canaliser pour créer
une vie nouvelle - une fois de plus sans même s'en rendre compte.
Explicitement innocent, Chuji se contente de remercier Tokiko -
enceinte et heureuse - sans cesse, sans jamais percevoir ses propres
bienfaits.
"Do good boys live longer?"
Blues Harp aurait pu constituer une première
initiation à l'univers anti-cinématographique de Dead
or Alive; son ouverture en effet porte la patte Miike, ce
désormais caractéristique maelström d'images et de
personnages, mis en parallèle en musique, et projetés en avant au
travers d'images puisées dans la narration à venir. La musique dans
Blues Harp, son esprit Rock 'n' Roll, n'est cependant
pas qu'un élément de montage mais un personnage à part entière.
Pas une étape narrative importante n'est franchie, sans qu'une prestation
live dans le bar tenu par Mickey Curtis ne l'introduise et
l'accompagne. La musique est un mode d'expression mais aussi de
vie: la liberté. Chuji accepte d'en faire le sien, et Miike
parvient à retranscrire ce choix de façon simple et belle.
Et puis il y a les personnages du film. Certes, Miike ne change
pas son fusil d'épaule en ce qui concerne la destinée des yakuza,
et des gens qui acceptent ne serait-ce que momentanément de vivre
comme eux, et d'appuyer une fois sur la gâchette. Mais Kenji
est tout de même une figure duale sublime, mauvais et bon
à la fois, et les moments qu'il partage - même indirectement - avec
Chuji sont magnifiques. Un lien se crée entre eux de façon si subtile
que le spectateur ne peut s'empêcher de s'en émerveiller. Il en
va de même pour chacun de ces instants de bonheur (notamment
en rapport avec son enfant en devenir), que Chuji accepte sans
les juger, sans réfléchir.
On pourrait reprocher à Miike de jouer le jeu d'une
noire destinée, si son choix n'était pas parfaitement cohérent dans
cet optique de capture de la "vraie vie". A quoi bon revenir sur
les choix que chacun fait de toute façon, puisque ceux-ci bon ou
mauvais, sont tous constitutifs et participent du présent, autant
qu'ils façonnent le chemin en face de nous. Blues Harp nous
le rappelle avec une délicatesse merveilleuse, dont ne peut-être
capable qu'un réalisateur adepte du spectre humain dans sa plus
éloquente complétude, du rire à l'horreur absolue. Assurément
l'un des plus beaux de Takashi Miike, Blues Harp est un "petit"
film, simple et par conséquent essentiel.