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Land of the Dead

aka Le Territoire des morts | USA | 2005 | Un film de George A. Romero | Avec Simon Baker, Asia Argento, Dennis Hopper, John Leguizamo, Robert Joy, Eugene Clark, Pedro Miguel Arce, Joanne Boland, Krista Bridges

« They’re coming to get you, Barbara... »

... vous connaissez la suite. Les morts refusent de rester couchés et reviennent à la vie. Ils envahissent les USA, le monde... une maison isolée, un centre commercial et un bunker souterrain servent successivement de refuge à une poignée de survivants... Si les trois premiers films de Romero, indispensables, s’inscrivent dans une simili-continuité narrative, Land of the Dead, quatrième opus tardif, se contente d’en reprendre la mythologie et de l’adapter à notre époque. Il considère le phénomène de zombification comme acquis - ce qu’il est, sur les écrans comme dans la salle - et s’attache à clôturer une saga comme il en existe peu, gore et sociale à la fois.

Dans un futur proche... Les zombies sont partout. Les hommes vivent regrouper dans une ville isolée de l’extérieur par des fils électrifiés, protégés par une armée formée spécialement à l’affrontement des « marcheurs ». Riley fait partie de ces hommes qui sillonent les environs de la ville recluse, pour récupérer de la nourriture, des médicaments et des munitions. Ce soir, Riley commande ses hommes et notamment Cholo pour la dernière fois, car il compte bien mettre les voiles pour un lieu tranquille, où il n’y a rien ni personne, quelque part dans le grand nord, au Canada. Mais dans les rangs des morts-vivants, une révolution gronde... Les ersatz d’humains semblent parvenir à communiquer, à apprendre de nouveau. Menés par Big Daddy, un gigantesque pompiste black qui ne supporte plus l’élimination systématique des siens, ils se rendent vers la ville pour livrer bataille. Pendant ce temps-là, Cholo se rebelle contre Kaufman, maître autoproclamé du bastion urbain, dérobe un véhicule armé et menace de bombarder la tour maîtresse de la ville, ultime illusion d’une société de confort, superficielle et égoïste. Riley, chargé d’empêcher Cholo de mettre son plan à exécution, emmène Slack, une prostituée qu’il a libérée d’un détestable jeu de massacre, et son protecteur, le simplet Charlie, dans cette ultime mission. Une nuit au cours de laquelle pourrait très bien se jouer le destin de l’humanité...

Tout est dans le titre

Romero n’a jamais caché son affection pour le cinéma de genre et ses préoccupations sociales, bien incapable de livrer un simple divertissement. Même dans ses œuvres les plus marginales comme Knightriders, résonne l’écho d’une Amérique partagée, que ce soit entre ses couleurs, entre ses mythes ou entre ses classes sociales. Car selon l’adage, Romero a vu l’ennemi, et il n’est autre que nous-mêmes. Land of the Dead en est la plus cinglante illustration. Pas de sens caché ici : le cinéaste règle ses comptes avec ce territoire américain qui est devenu celui des morts. Ou, plus globalement, de l’illusion de vie.

Une illusion de vie qui hantait déjà le centre commercial de Dawn of the Dead, avec ses zombies au comportement modifié, leur instinct de survie animal étant remplacé par un instinct de consommation. Ici, le zombie est plus complexe, car il tente à nouveau d’imiter la vie. Comme le déclare Riley, c’est finalement ce que la plupart de ses compatriotes tentent de faire. Pourquoi sinon, se réfugieraient-ils dans un simulacre de la gloire passée de l’homme, un temple voué au bien-être illusoire ? Toujours est-il que ce simulacre pour être justifié, nécessite un contrepied : celui de la misère et de l’exclusion. Une exclusion qui est double, puisqu’elle touche à la fois les pauvres et les zombies, de manière à peine différenciée.

« That’s alright, that’s okay, you’re gonna pump our gas someday ! »

Il n’est pas étonnant finalement que la figure patriarche choisie pour mener la révolution zombie - le bien nommé Big Daddy - soit un vestige de la toute-puissance américaine. Un pompiste. L’image même de l’américain nécessaire et délaissé, transition oubliée entre le pouvoir (l’essence) et l’illusion de son appropriation (le consumérisme). Une force motrice, au sens propre comme au figuré, de l’économie contemporaine, à même de faire plier autant de gouvernements que de citoyens.

Là où Romero est plus intelligent encore, c’est dans le rapprochement qu’il opère, explicitement, entre le zombie enrichi et l’humain appauvri. N’y a-t-il pas quelque chose du non-mort chez Charlie, sniper simplet qui veille sur les hommes ? N’y a-t-il pas dans sa supériorité, la même ironie que dans la puissance nouvelle d’une classe ouvrière ? Tout Land of the Dead est construit ainsi, sur une analyse aussi pertinente qu’évidente d’une situation socio-culturelle instable, d’une réalité manipulée d’en haut pour donner l’illusion d’une protection, vue d’en bas. Une protection qui, quand elle se révèle être fictive, divise un pays et le retourne contre lui-même.

Dans la mise en scène de cette analyse pessimiste, Romero excelle à tous les niveaux. Sa construction narrative tout d’abord, se révèle concise et précise, et l’homme comme toujours, parvient à livrer un film que l’on sait à l’image de ce qu’il voulait. L’exposition est sublime, partielle et pourtant globale avec une économie de moyens qui a toujours été, chez Romero, particulièrement remarquable. La focale du réalisateur s’adapte du contexte aux protagonistes pour définir les rapports de force et les enjeux du film le plus rapidement possible, sans aucune fioriture. Le temps de quelques déplacements géographiques, Romero parvient à dresser le portrait d’une époque, de ses peurs et de ses vices, sans jamais oublier sinon d’être drôle, au moins d’être caustique. Car il plane tout de même sur Land of the Dead l’ombre de l’appréciation des mythologies américaines, de la culture biker (Knightriders toujours) au western ; des élans d’affection qui allègent quelque peu le ton du film et lui évitent d’être pleinement nihiliste.

Il est impossible enfin de terminer cet éloge sans parler des similitudes entre Land of the Dead et le dernier film en date de Carpenter - qui devait à l’origine signer la bande-originale -, Ghosts of Mars. Au-delà du personnage de Big Daddy, figure explicitement commune, les deux films partagent une esthétique et un objectif semblables, ainsi qu’une partie de leur narration et de leurs actions. A ceci près que Ghosts of Mars était moins contextuel, ou tout du moins plus sournois. Un rapprochement d’autant plus intéressant que le monument jouissif de Carpenter est considéré par beaucoup comme une adaptation officieuse de Resident Evil aka Biohazard, dont l’existence doit tout à Romero, pourtant évincé de l’adaptation du jeu bestseller de Capcom. Une façon de plus pour Romero de boucler la boucle. Car Land of the Dead est bel et bien affaire de cycle. Les zombies se mèlent aux humains, puisque l’évolution des uns les rapproche de la bêtise des autres. Et Ben, survivant/victime de Night of the Living Dead, de se réincarner en Big Daddy pour mieux se retourner contre ce qu’il a, un jour, naïvement défendu. Nous n’en attendions pas moins du grand retour de Romero au "genre qu’il a créé" : un détournement sans concession du système qui lui a permis de réaliser ce rêve, que l’on partage avec lui depuis qu’il l’a fait germé en nous, il y a quelques décennies de cela.

Land of the Dead est sorti sur les écrans français le 10 août 2005.

- Article paru le mercredi 10 août 2005

signé Akatomy

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