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Japon

Meatball Machine

aka Mîtobôru mashîn | Japon | 2005 | Un film de Yûdai Yamaguchi et Jun’ichi Yamamoto | Avec Issei Takahashi, Aoba Kawai, Toru Tezuka, Ayana Yamamoto

They Came from Beyond...

Depuis son cultissime Battlefield Baseball (Jigoku Kôshien, 2003) sorte de pastiche des films à la gloire du yakyû (baseball) en forme de zombie flick croisé d’un musical, l’ancien assistant de Ryuhei Kitamura, Yudai Yamaguchi, s’est fait une spécialité des adaptations de mangas décalés aux tonalités très V-cinema. Il remet le couvert l’année suivante avec le trash et fauché Babaa Zone (2004), autre adaptation d’un manga de Man Gataro, compilé sous forme de cinq courts-métrages, puis avec les plus récents Purezento (2005), un des six opus de l’hexalogie Kazuo Umezu’s Horror Theater et Sakigake !! Kuromati Kôkô - The Movie (2005), adaptation cinématographique mitigée du manga culte d’Eiji Nonaka.

Le cinéaste habile à tirer parti de budgets dérisoires et offrant un éclectisme certain pour les univers barrés et non-sensiques s’associe à Jun’ichi Yamamoto, réalisateur d’un direct-to-video au nom évocateur de Meatball Machine en 1999, afin d’en réaliser le remake grâce au confort d’une production plus propice à sortir du ghetto du V-cinema.

Alors que de mysterieux parasites semblent s’en prendre au plus dépressifs de la terre, les transformants en organismes mutants avides de cibles à contaminer, Yoji, un jeune puceau introverti se morfond dans une petite usine de pièces détachées comme tourneur-fraiseur. Ses seuls moments de liberté passés lors de sa pause déjeuner à épier sa jeune voisine Sachiko, lui procurent ses émois sexuels. Alors qu’il vient à peine de déclarer sa flamme à la jeune Sachiko, cette dernière se fait infecter par un organisme, accidentellement rapporté dans sa chambre par Yoji qui le croyait inerte, transformant sa bien aimée en une machine à tuer. Le jeune homme désemparé trouvera-t-il le moyen de sauver sa dulcinée ?

Cette histoire d’amour extrème oscillant entre un splatter d’horreur SF et une variation cyberpunk inspirée de Tetsuo et consorts, résume à elle seule toute la créativité débridée du V-cinema nippon dans lequel tous les éxcès sont admis, pourvus qu’ils soient pleinement assumés. Et là n’est pas la moindre des qualités de ce Meatball Machine qui, sous l’apparence d’une amourette contrariée cache un cri de désespoir à la face du monde, d’une réelle noirceur.

Les Necro-Borgs, ces parasites tous droits sortis des premiers Cronenberg, s’attaquent aux êtres les plus déprimés dans une société qui les marginalise. Sachiko est une fille solitaire cachant un terrible secret, alors que Yoji ne parvient pas à exprimer ses sentiments, en décalage avec ses collègues d’usines qui ne pensent qu’à se taper la jeune voisine de l’usine d’en face. La première image du film s’ouvre d’ailleurs sur un noeud coulant, prélude au suicide d’un salaryman anonyme. Une atmosphère de désespoir règne tout au long de Meatball Machine, bien éloignée de l’humour non-sensique des adaptations précédentes de Yamaguchi. Que dire du père qui se voit obligé de contaminer Yoji pour le livrer à sa fille qu’on dirait tout droit sortie d’un livre de photos de Slocombe ? A cela, les réalisateurs ajoutent le cadre d’un Tokyo aux banlieues désolées, peuplées d’usines chimiques et de terrains vagues dépotoirs. Le décor du dantesque combat final, même s’il ne parvient à masquer certaines carrences budgétaires, est à ce titre emblématique de la désolation dans laquelle sont circonscrits les personnages du film.

Ayant par bonheur opté pour des effets spéciaux traditionnels, délaissant le numérique à de rares exceptions près, les cinéastes ont confié au génial Yoshihiro Nishimura la charge de donner corps aux personnages crées par Keita Amemiya. Le réalisme organique de Meatball Machine et ses sphères parasites doivent beaucoup à cet artisan original du cinéma d’horreur fauché qui nous rappelle par certains côtés le Brain Damage (1988) d’Henenlotter, faisant du manque de moyens un stimulant créatif. Officiant volontiers pour le V-cinema (Yôchû no harawata, Koi-suru yôchû de Noboru Iguchi, réalisateur du tout récent remake de Manji) et l’AV, il se fait remarquer pour sa collaboration sur Suicide Club (le long tissu en lambeaux de chair c’est lui !) de Shion Sono, ayant depuis rempilé sur Strange Circus (Kimyô na sâkasu, 2005).

La patte de Nishimura mélange allègrement tous les univers de la SF, du style manga cyberpunk d’Akira (la cape du héros mutant errant dans les ruelles de Tokyo), en passant par les tentacules lubriques dignes d’Urotsukidoji, sans oublier les bestioles parasites fort réussies, véritables vers solitaires de la conscience, et prenant possession du corps et de l’esprit de leurs hôtes ; ou encore d’appétissantes séquences gores (l’énucléation et la scie circulaire étant particulièrement jouissives). L’énergie insuflée par la mise en scène des deux auteurs et la conviction des acteurs transfigurent littéralement l’oeuvre à la naration classique, loin du cinéma expérimental de Tuskamoto, même si elle en emprunte parfois la technique, et s’achemine à un rythme cresendo vers un combat final dantesque (au clin d’oeil discret à Dead or Alive). Du même coup, le manque de moyens et l’esthétique video sont aisément compensés par cette réussite d’ensemble.

Loin de n’être qu’un avatar de l’homme-machine popularisé par le cyberpunk nippon, Meatball Machine se révèle une fable désespérée sur la puissance de l’amour et l’euthanasie, où l’âme japonaise se révèle dans toute sa sincérité, comme pour mieux souligner la rigidité de la société dans laquelle les amants vivent et qui les rejète. En effet, les parasites dont l’origine est révélée par une pirouette scénaristique finale cynique, mais bien inutile, pousse les mutants ainsi contaminés à s’entre-dévorer ; évocation symbolique d’une société moderne à la réalité prédatrice pour les être psychologiquement faibles.

Meatball Machine est une oeuvre d’anticipation d’une honnêteté réjouissante, qui combine avec bonheur l’organique au métalique dans un maëlstrom de violence carnassière autodestructrice, sans jamais relacher la pédale d’accélérateur du rythme d’un film à l’issue fatale, à l’image du désenchantement moderne.

Film présenté au lors du 24ème Festival International du Film Fantastique de Bruxelles.

- Article paru le vendredi 24 mars 2006

signé Dimitri Ianni

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