Tube
Au moment de sa sortie programmée en Corée en mars 2003, Tube devait être pour la compagnie CJ Entertainment, une occasion de rattraper l’échec de ses précédents blockbusters "à l’américaine" - et notamment celui de Resurrection of the Little Match Girl. Le film de Baek Wun-Hak pâtit alors cependant d’un catastrophique incendie criminel dans le métro coréen, ayant fait près de 200 victimes. Sa sortie est repoussée de quatre mois et Tube ne connaît pas le succès escompté. Tandis que l’animation indépendante du Pays du Matin Calme voit son existence remise en cause, c’est par conséquent aussi au tour des trop grosses machines d’entertainment de rentrer en voie de disparition. Analyse en forme d’épitaphe...
"The best way to catch a crazy bastard is to send a crazy bastard."
Tube démarre vite et fort. Faisant pendant de longues minutes des économies drastiques de dialogues, Baek Wun-Hak construit un assassinat nerveux dans le hall d’un aéroport, avant d’opposer les assassins à une horde de SWAT. Prises au dépourvu de façon déconcertante, les unités spéciales de la police de Séoul se font décimer jusqu’à l’arrivée d’un simple détective. Celui-ci se lance dans un face à face effréné contre les criminels, emmenés par un certain T. Empruntant au Heat de Michael Mann la sécheresse de son mémorable gunfight, Tube s’annonce d’emblée sympathique, et pose les bases d’une narration simpliste en faisant naître aux yeux du spectateur, un antagonisme violent entre Jay (le détective) et T.
Se raccrochant sur une phrase mystérieuse de Jay qui laisse entendre qu’il ne sait pas vraiment qui il est lui-même, Tube nous emmène ensuite sur les traces de Kay, une demoiselle dont l’objectif semble être de conquérir notre héros. Celui-ci pourtant ne la connaît pas. Accessoirement, l’antagonisme entre Jay et T est maintes fois revisité en flashback, car les deux hommes se sont déjà jurés, autrefois, que seul l’un d’entre eux survivrait à leur prochaine rencontre. On comprend donc aisément - Jay et T ont tous deux perdus leur moitié du fait de leur adversaire - que le duo antagoniste est condamné à une ultime confrontation. Duel qui aura lieu dans le métro de Séoul, et qui pourrait bien être désespéré si l’on en croit l’attitude de Jay - chien fou à faire pâlir le Martin Riggs de Lethal Weapon premier du nom, prêt à se jeter sous une rame pour appréhender un vulgaire gangster...
Tout ceci vous semble étrangement familier...
Et c’est normal, car vous avez déjà vu les films qui composent Tube un nombre incalculable de fois. A moins que celui-ci, courageux et arrogant, ne tente de s’imposer en tant que conclusion à ses parfois illustres, parfois anodins prédécesseurs...
Passée l’exposition explosive dans l’aéroport, Tube s’affirme rapidement en tant qu’aboutissement d’une narration qui nous est à la fois familière et étrangère. En puisant la force de sa réalisation dans un langage de blockbuster que les spectateurs connaissent sur le bout des doigts, Baek Wun-Hak s’autorise un condensé de narration plutôt osé (qui renvoie quelque peu à l’ouverture du Face/Off de John Woo, et sa bande-son n’y est pas pour rien). Ainsi en l’espace d’un quart-d’heure, l’ampleur de l’enjeu du face à face entre Jay et D est esquissé à grand coups de crayons, grossiers, mais que chacun d’entre nous est capable de compléter inconsciemment pour obtenir une illustration identifiable. Si le procédé est malin, il condamne a priori d’emblée Tube à n’être qu’un film d’action classique et sans âme, puisqu’il emprunte la quasi-totalité de sa personnalité à tous ceux qui l’ont précédé.
Seule originalité au tableau : la relation entre la mystérieuse Kay et notre héros, subliminale, qui semble conclure une trame narrative que nous ne connaîtrons jamais vraiment, au scope bien plus large que les deux heures du film.
Moins d’une demi-heure après ses premières images, Tube est donc déjà, paradoxalement, à la fois mimétique et amnésique.
Reste alors pour Baek Wun-Hak une seule façon de convaincre le chaland : faire preuve d’efficacité dans le traitement de ce film dont on pourrait dire qu’il est inachevé, s’il n’était pas justement qu’un achèvement en manque de commencement. Le bilan est, une fois encore, mitigé. Tube possède quelques scènes de suspense bien construites, mais qui ne parviennent pas à se substituer à un semblant de trame. Trop elliptique, le film enchaîne les moments de bravoure en appliquant à tous les personnages la même technique d’esquisse que pour l’antagonisme Jay / T. Du coup, notre sympathie pour l’ensemble reste superficielle ; et c’est d’autant plus dommage que l’intensité du personnage de Kay, interprétée par la belle Bae Du-Na se prêtait à un véritable développement.
Si Tube reste agréable à regarder, il n’en constitue pas moins un symbole ironique de la démarche désespérée de sa compagnie de production. Comme s’il pouvait servir de conclusion à l’ensemble des blockbusters estampillés CJ Entertainment, Tube n’obtient à aucun moment les galons de film à part entière. Il se limite au contraire à sa propre déconstruction, ainsi qu’à celle de la démarche américanisante du ciné-business coréen. Dommage pour Bae Du-Na donc, mais aussi pour Jay et T. Car si Baek Wun-Hak avait choisi d’abattre les cartes d’un face à face barbare et claustrophobe dans un métro en dérive, Tube aurait pu jouir de son statut "parasite" pour devenir crépusculaire. En l’état, on lui préfèrera l’excellent Phantom the Submarine de Min Byeong-Cheon - film/affrontement extrémiste auquel Tube aurait peut-être dû tenter de s’identifier.
Tube est disponible en DVD coréen, dans une édition double DVD.


