n[EOn]
Le guide du rêveur à Venise.
Un homme se remémore son arrivée à Venise, en fuite de son mariage, fait le parallèle entre l’histologie de sa ville et sa propre personne, recherche un endroit où il appartient. Et, chemin faisant, croise le chemin d’un être - mieux encore, d’un fragment d’histoire, au sein duquel il se sent capable de se poser et de s’apaiser. Tel pourrait être le résumé de n[EOn], second court-métrage de la carrière de Dave McKean, illustrateur / auteur / musicien / réalisateur, et plus largement créateur de génie.
Les amateurs de « romans illustrés », comme il convient d’appeler la branche des comics dans laquelle œuvre le plus souvent McKean, connaissent certainement l’illustrateur, au travers de ses nombreuses collaborations avec un autre génie - littéraire celui-ci -, Neil Gaiman. Pour son collègue et ami, McKean a signé l’intégrale des couvertures de Sandman ; mais on lui doit tellement plus, de Violent Cases à Arkham Asylum en passant par ce monument qu’est Cages... McKean est un artiste à part, un homme de couches et de superpositions. Le mot histologie convient parfaitement pour décrire son œuvre, amas de layers tour à tour matérielles et numériques, souvent combinées au sein d’un espace virtuel - l’ordinateur - pour créer le temps d’une illustration, un univers unique, cohérent et merveilleux. Peu de gens savent raconter autant de choses en une image que Dave McKean ; n[EOn] offre donc l’opportunité de voir l’homme à l’œuvre sur des compositions en mouvement.
D’emblée, n[Eon] s’affirme comme une œuvre dont seul McKean pouvait accoucher. Les images prennent vie non pas au travers de leur succession, mais grâce à un mouvement qui les traverse, les explore, les divise en fibres et en sous-couches. Ces mêmes sous-couches que le narrateur s’amuse à effeuiller pour partager son amour de Venise, cette ville qui reflète si bien sa propre personnalité, au travers de ses jeux de miroirs et de son architecture, maquillage effectué par l’homme et qui confère à chaque lieu autant qu’à chaque instant, une historicité.
n[EOn] bien qu’œuvre cinématographique, est pourtant avant tout picturale, presque statique. Comme si toute la démarche de l’auteur-réalisateur consistait à explorer et expliciter une image, celle-là même qui résume une vie arrivée au point mort. Il n’est pas étonnant dès lors, que le narrateur trouve confort et réconfort, au sein d’un bref instant, d’une seconde au sein de laquelle il pense pouvoir être heureux. Un instant de bonheur figé en l’apparition d’une femme nue (Eileen Daly, incroyable de beauté), fantôme qui est à la fois l’image d’un passé, d’un endroit et des multiples vies qui l’ont habitées, et promesse perpétuelle d’un avenir pour toujours inaccessible - et par conséquent jamais gâché.
Le plus incroyable dans ce court-métrage, chef-d’œuvre esthétique et narratif teinté de surréalisme, est donc sa logique instinctive. On se reconnaît et s’abandonne avec plaisir et facilité dans l’errance de cet homme, dont la vie est construite, dans son éternité [1], par la répétition d’une même et merveilleuse seconde.
n[EOn] est disponible en DVD zone 2 français, au sein de la compilation éditée à l’occasion des 25 ans du Festival du Court Métrage de Clermont-Ferrand (2004).
[1] En anglais, le « eon » de n[EOn].





