Distance
Tsushi, Masaru, Makoto et Kiyoka ne se connaissent pas vraiment, et pourtant, ils se retrouvent une fois par an. Ce qui les réunit ? Ils ont tous les quatre perdu un être proche (sœur, frêre, mari ou femme) trois ans auparavant, au cours du suicide collectif des membres d’une secte qui avait tenté d’empoisonner un des réservoirs d’eau potable de Tokyo. Depuis, ils se rendent chaque année sur les lieux de la tragédie pour payer leurs respects aux morts. Cette année, quand ils reviennent du pique-nique qui accompagne leur recueillement, ils ont la mauvaise surprise de découvrir que leur voiture a été volée. Ils sont rejoints par Sakata, qui était quant à lui un membre de cette secte mais qui s’est enfui avant le drame, et dont la moto a, elle aussi, été dérobée. Le soleil s’apprête à se coucher, et la gare est beaucoup trop loin pour que le groupe tente de s’y rendre à pied, en dépit de l’insistance de Makoto. Ensemble, ils vont donc passer la nuit au cœur de la forêt blessée, dans la maison abandonnée qui servait de lieu de vie à la secte, et tenter de panser leurs blessures respectives...
Distance est le septième film du jeune réalisateur japonais Hirokazu Koreeda. Après, entre autres, Maborosi (1995) et Afterlife (1999), l’auteur s’attaque une nouvelle fois aux "contrecoups" d’une tragédie, prenant cette fois pour cadre un événement qui se rapproche de celui vécu par les Japonais au moment de l’attentat échoué perpétré par la secte Aum.
Distance est un film qui peut facilement, à premier abord, paraître trop hermétique, et c’est pourtant dans cette démarche d’austérité volontaire que réside sa force, et par conséquent son intérêt. Long et lent, le film se paye de plus le luxe de n’avoir aucun accompagnement musical. Pendant les trois premiers quarts d’heure, il faut bien avouer qu’on redoute un peu l’heure et demie restante. Mais ce silence est au contraire bénéfique au film, puisqu’il place le spectateur (si tant est qu’il rentre dans le film, sinon je pense que ça doit être dodo immédiat) dans un état d’attention relativement rare, qui lui permet de saisir plus facilement tout ce qui se cache derrière les paroles des protagonistes, dans leur silence et dans leurs attitudes. Une fois le groupe installé dans la cabane, le spectateur a un peu l’impression de s’installer avec eux, partageant la même gêne inconfortable, et d’attendre que l’un d’entre eux prenne la parole pour que chacun puisse lâcher ce qu’il a sur le cœur.
Dans sa structure, Distance reste étonnamment lisible en dépit de flash-backs plutôt brutaux sur le passé de chacun des quatre proches regrettés (le personnage joué par Ryo faisant l’objet du deuil de deux des protagonistes, Sakata y compris). Pour une fois, la présence de ces retours en arrière apporte un véritable plus à la narration, car ils ne se contentent pas de souligner les paroles des survivants. Au contraire, l’opposition des souvenirs et de la réalité permet de mettre en lumière la différence qu’il peut y avoir entre l’image que l’on aimerait garder de quelqu’un et sa véritable personnalité. Menteurs par nécessité plus que par pathologie, les personnages deviennent tous attachants à leur façon, même si certains se révèleront beaucoup moins courageux que d’autres.
Habilement réalisé, Distance porte bien son titre en ce sens où c’est non seulement la distance que les héros prennent par rapport à l’événement qui leur permet de retrouver une certaine paix intérieure, mais aussi grâce à la pudeur avec laquelle Koreeda filme l’échange qui a lieu entre ses protagonistes, dans lequel la notion de jugement n’intervient jamais. Il faut dire aussi qu’il est aidé par un casting irréprochable, au sommet duquel trônent l’inévitable Susumu Terajima (Aniki, mon frère, Sonatine) - qui se révèle excellent dans son rôle d’homme faussement endurci, constamment à la limite d’une rupture émotionnelle - et bien sûr Tadanobu Asano (Shark Skin Man and Peach Hip Girl, Gojoe, Focus, Tabou) - qui s’affirme décidemment comme l’acteur le plus doué de sa génération. Ici, son interprétation d’un homme rendu timide et humble par un sentiment de culpabilité qu’il est incapable de partager ouvertement, est tout simplement merveilleuse de nuances et de subtilité. A noter qu’on retrouve avec plaisir l’envoûtante Ryo (Gemini) dans un rôle court mais significatif.
La forêt dans laquelle se déroule la narration est aussi un atout majeur du film, car sa tranquilité renforce encore la sensation d’apaisement qui nous gagne au long de l’histoire. Koreeda la filme comme un acteur de plus, lui laissant souvent un cadre fixe et large pour exprimer, silencieusement, toute sa beauté et sa séreinité.
En raison de ces nombreuses qualités, Distance parvient donc, paradoxalement, à créer une réelle proximité entre le spectateur et les différents personnages, et c’est cette intimité "insidieuse" qui fait que le film, pas plus marquant que ça à première vue, s’installe confortablement dans un coin de votre mémoire, pour y rester plus longtemps que vous n’auriez pu le croire.
Distance, qui a été montré à Cannes en Sélection Officielle cette année, n’est pour l’instant disponible sur aucun support, mais devrait être distribué dans les salles françaises dans les mois à venir.


